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«J’ai vraiment atteint ma limite avec les mesures de confinement»
«Je n’y crois plus que l’on doit protéger les gens fragiles avec ces mesures, car il y a maintenant trop de victimes collatérales jeunes et autrement en santé, mais qui vont maintenant traîner ces problèmes de santé mentale toute leur vie», clame papparmane, un abonné du subreddit r/Québec qui a publié un message intitulé «J’ai vraiment atteint ma limite avec les mesures de confinement» il y a quelques jours.
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À en voir les réactions sous son message, l’auteur est loin d’être le seul à être «à boutte» des mesures. Au moment d’écrire ces lignes, on compte près de 800 commentaires d’abonnés.
Un certain BoltVital témoigne que sa copine est décédée il y a quelques semaines et que «tout ce qui lui ferait sentir mieux dans ce monde» est «impossible à faire». «Donc je suis juste seul maintenant avec le gouvernement qui me dit: lâche pas», conclut l’internaute.
«J’ai perdu ma fille de 4 ans au début de la pandémie. Arrivé à l’urgence, tous les ORL étaient occupés avec de patients covid, ma fille n’a pas pu avoir les soins à temps. Si tu veux jaser, n’hésite pas», lui répond tsukassa en commentaire.
Si ce fil de conversation ponctué de témoignages qui arrachent le cœur semble anodin dans un océan de contenu sur le web, il est pourtant «un reflet de la société en ce moment» selon la psychologue Geneviève Beaulieu-Pelletier.
Que faire à l’heure où les problèmes de santé mentale sont de plus en plus répandus et gagnent en intensité, presque un an après le début des mesures sanitaires?
On a tenté de trouver la réponse.
La santé mentale avant tout
«Oui, on est en train de gérer une crise sur le plan “physique” avec le virus, mais il y a des répercussions immenses sur le plan psychologique, avoue d’emblée la psychologue Geneviève Beaulieu Pelletier au bout du fil. On sait depuis le début qu’il allait y avoir des impacts psychologiques qui allaient changer avec les différentes étapes de la pandémie, mais là, ça commence à être très, très inquiétant».
Selon elle, un durcissement des mesures en lien avec la deuxième vague à l’automne a été «difficile à surmonter» pour beaucoup de citoyens de la province et l’annulation des rassemblements des fêtes a été un autre coup dur pour la santé mentale. «On savait que janvier et février seraient des mois très éprouvants pour le moral. C’est déjà une période difficile en temps normal en raison du manque de lumière et du fait que les gens sont plus souvent en dedans. Si on ajoute en plus un confinement et un couvre-feu, qui rendent les interactions sociales très restreintes, ça crée un cocktail parfait pour une hausse de détresse psychologique».
«Oui, on est en train de gérer une crise sur le plan “physique” avec le virus, mais il y a des répercussions immenses sur le plan psychologique»
Bien que cette détresse n’épargne aucune tranche de la société, elle semble d’autant plus accentuée chez les jeunes. Dans une récente enquête de l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ), on apprenait que les jeunes de 18-24 ans sont «particulièrement touchés» par la détresse psychologique et affichent des «taux élevés d’anxiété» depuis le début de la pandémie. «Malheureusement, on ne parle pas beaucoup de l’impact de ces mesures sur les jeunes et pourtant, ils sont majeurs», soutient Geneviève Beaulieu-Pelletier.
«Les contacts sociaux en dehors de la bulle familiale sont essentiels dans le développement d’un adolescent. En ce moment, oui il y a quelques occasions de voir ses amis à l’extérieur ou à l’école par exemple, mais les vraies expériences significatives sont quasi absentes du quotidien. C’est donc dur pour eux de se forger une personnalité et de s’épanouir vers l’âge adulte».
Les jeunes de 18-24 ans sont «particulièrement touchés» par la détresse psychologique et affichent des «taux élevés d’anxiété»
Les sports d’équipe, les activités parascolaires et les sorties entre amis sont tous des éléments positifs dans le cheminement de vie d’un adolescent, selon la psychologue. «On voit que quand ils sont privés de ces moments de bonheur là, il y a non seulement des effets néfastes sur le plan psychologique (hausse d’anxiété, de détresse et de problèmes alimentaires), mais aussi sur les performances scolaires. C’est très inquiétant», souligne-t-elle.
En sachant tout ça, est-ce que le maintien de mesures sanitaires aussi strictes est souhaitable à l’heure actuelle? La psychologue ne souhaite pas se prononcer sur le sujet. «Ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’il y ait de plus en plus d’assouplissement des mesures tout en gardant certaines normes sanitaires» amène toutefois Geneviève Beaulieu-Pelletier.
Si on prend l’exemple de l’ouverture des magasins, cette mesure peut sembler absurde pour certains, mais sur le plan psychologique, elle peut littéralement être salvatrice pour plusieurs. «Juste le fait d’avoir la possibilité d’aller acheter quelque chose peut faire un grand bien en ce qui a trait à la santé mentale. Même chose pour ceux en zone orange qui ont la chance d’aller au restaurant. Le bonheur que cela procure peut avoir un impact majeur sur le bien-être».
Aux premières loges de la détresse
«Je n’ai absolument aucun problème avec les mesures de confinement. Je sais qu’elles ont été mises en œuvre pour de bonnes raisons. Mais quand je constate tous les dégâts psychologiques qu’elles causent autour de moi, je n’ai pas pas le choix de dire: là, c’est assez!», lance papparmane, l’auteur du billet «J’ai atteint mes limites avec les mesures de confinement» sur le subreddit r/Québec.
«Quand je constate tous les dégâts psychologiques qu’elles causent (les mesures) autour de moi, je n’ai pas pas le choix de dire: là, c’est assez!»
Le professeur d’université qui souhaite préserver l’anonymat a été témoin à plusieurs reprises de débordements liés à des problèmes de santé mentale en raison de la pandémie. «Un de mes étudiants qui vient de graduer est retombé dans la drogue et a dû aller en désintox. Un autre m’a parlé 1h30 au téléphone pour me dire qu’il faisait des crises de panique. Ma propre fille a commencé à souffrir d’anorexie», confie le père de famille.
Bien qu’il comprenne la nécessité de protéger les personnes les plus vulnérables en maintenant des mesures sanitaires strictes, il n’arrive toutefois pas à saisir pourquoi la «très grande majorité» de la population devrait continuer de souffrir en silence. «On protège peut-être des gens, mais on détruit aussi la vie de beaucoup de personnes par le processus», estime papparmane, qui affirme ne plus être d’accord avec les mesures de confinement. «Par exemple, pourquoi ne pas confiner les gens fragiles chez eux et laisser les autres vivre leur vie? Il faut que le gouvernement change de stratégie, sinon, il va avoir une population gangrenée par les problèmes de santé mentale sur la conscience» laisse-t-il tomber.
Ajuster au cas par cas
«Depuis des mois, on ne prend que des demi-mesures pour aplanir la courbe, comme le couvre-feu, la fermeture des restaurants, des lieux publics, des magasins, etc., mais on ne prend pas les moyens pour l’écraser pour de bon. C’est pour ça qu’on est en confinement depuis presqu’un an», soutient Nimâ Machouf, épidémiologiste à la Clinique Médicale Urbaine du Quartier Latin.
Tout comme Geneviève Beaulieu-Pelletier et papparmane, Nimâ Machouf reconnaît que ces mesures sont «très lourdes pour le mental» et qu’il faudrait revoir le fonctionnement actuel.
«Depuis des mois, on ne prend que des demi-mesures pour aplanir la courbe, mais on ne prend pas les moyens pour l’écraser pour de bon».
«On devrait faire comme certains pays qui ont appliqué la stratégie “0 COVID” et implanter des mesures beaucoup plus strictes, comme la fermeture des frontières et des écoles, pour quelques semaines dans les zones rouges. Comme ça, on restreindrait énormément le nombre de cas, on empêcherait le virus d’évoluer et de se propager et on pourrait recommencer à respirer un peu», explique l’épidémiologiste.
Selon elle, il faudrait également évaluer au «cas par cas» les situations de chaque région et adapter sa stratégie de manière «très locale». «Si par exemple il y a moins de 10 cas par million d’habitants à Sherbrooke, on peut donner du lousse tout en respectant certaines règles (pas de grands rassemblements intérieurs, garder le masque dans les lieux publics, etc.) et contrôler les frontières pour éviter les déplacements interrégions. On n’est pas obligé de mettre tout sur pause juste parce que Montréal est dans le rouge».
Si elle est consciente que cette stratégie serait loin d’être populaire pour les personnes concernées, elle maintient que c’est l’une des façons les plus efficaces de se débarrasser du virus et de retrouver un semblant de vie normale assez rapidement. «Il faudrait donner le choix aux gens: soit vous vous contentez du statu quo jusqu’à l’été et espérez que ça aille mieux, soit vous donnez un coup de quelques semaines et on s’en débarrasse peut-être pour de bon».
Vivement le printemps… right?
Si le tableau actuel demeure assez décourageant, Geneviève Beaulieu-Pelletier indique que le printemps sera potentiellement plus rose. «On va pouvoir aller dehors, ce qui va nous permettre de voir plus facilement les gens et de combler nos besoins fondamentaux de contacts humains. Le soleil et la chaleur ne nous feront pas de mal non plus», confie la psychologue en riant.
Mais pour y arriver, il faut «absolument» que le gouvernement prenne en compte la santé mentale de la population dans toutes ses décisions, croit la psychologue. «C’est simple: plus les mesures durent dans le temps, plus les troubles psychologiques augmentent. Les listes d’attente pour des soins psychologiques débordent qu’on soit au public ou au privé. Certaines personnes vont ressentir les effets de cette pandémie pendant des années. Il faut trouver des moyens pour sauver les meubles et être cohérent avec la réalité qui nous entoure», martèle Geneviève Beaulieu-Pelletier.
«C’est simple: plus les mesures durent dans le temps, plus les troubles psychologiques augmentent».
Au moment de publier ce texte, le gouvernement Legault s’apprête à annoncer «l’allègement» de certaines mesures en zones rouges qui débuteront pendant la semaine de relâche.
Espérons que c’est le début de la fin du confinement et que la COVID ne sera qu’un (très) mauvais souvenir lors de nos conversations de 5@7 cet été dans les parcs.