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J’ai une tache de naissance bleue ; je suis Amérindien, right ?

Être Autochtone en 2017, ça veut dire quoi?

Par
Laurence Du Sault
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Ok, faut que je sois honnête. Je ne sais pas où est né mon père.

Je ne sais pas où est né mon père, je ne sais pas si ses ancêtres étaient algonquins ou iroquois, je ne sais même pas s’il y a d’autres choix qu’algonquins et hurons, ni si ça prend des majuscules. Et ce n’est pas parce que mon père est mort ou a disparu. C’est parce qu’il ne m’en a jamais parlé.

Je suis Québécoise, je suis Québécoise et Autochtone. Pendant longtemps c’est la réponse que je donnais à ceux qui me posaient des questions sur mes origines. Je répondais d’un trait, avec certitude. J’en étais fière, de ma petite part de mystère amérindien.

L’infirmière a montré du doigt la petite tache bleue qui siégeait sur le dessus de ma fesse droite en criant “une petite Amérindienne!”

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Puis est venu le jour où j’ai regardé mon père, attentivement. Mon père avec ses cheveux presque bleus, sa carrure imposante, sa tache de naissance amérindienne. Mon père qui a l’air d’un chef de tribu, mais aussi mon père avec sa piscine hors terre, son gros cabanon et sa famille nucléaire. Ça m’a frappé, soudainement. Une évidence: il n’y avait aucune trace, chez lui, de cette identité amérindienne que je revendiquais pourtant depuis mon tout jeune âge. Et lorsque, intriguée, je lui ai demandé de quelle nation exactement venait son ancêtre autochtone, mon père m’a répondu: «Abénaquis, je pense. Pas sûr. Peux-tu emmener ta sœur aux toilettes, s’il te plaît?» De toute évidence, le sujet était pas mal clos, et il fallait que ma petite sœur fasse caca.

Alors j’ai demandé à ma mère si mon père lui en avait déjà parlé. Elle m’a répondu qu’elle l’avait appris à l’hôpital, le jour de ma naissance… par l’infirmière, qui lui a montré du doigt la petite tache bleue qui siégeait sur le dessus de ma fesse droite en criant “une petite Amérindienne!”

Après recherche Google, j’apprends que cette marque de naissance est un héritage sanguin typiquement asiatique, réminiscence de ces premiers occupants d’Amérique qui arrivèrent par le détroit de Béring et devinrent nos Premières Nations. Sauf que j’ai eu beau m’émerveiller des fonctionnements de l’ADN humain, je ne me sentais pas exactement plus informée quant à ce qu’était la culture amérindienne.

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C’est quoi, être Autochtone, en 2017?

Grâce à une amie productrice, j’ai rencontré Kevin T. Landry. Tous deux travaillaient sur une émission produite par APTN, une chaîne télévisée produite par et pour les Autochtones.

Pour moi, c’est plus une question d’appartenance culturelle que de lien de sang.

«C’est une question à laquelle je n’arrive pas vraiment à répondre», affirme Kevin, lui-même réticent à se qualifier d’Amérindien, même s’il est fier de ses racines micmaques. «Je respecte beaucoup la culture autochtone, et c’est un sujet qui m’intéresse et m’interpelle, mais je l’ai surtout vécue à travers mon métier, à travers des écrans. Pour moi, c’est plus une question d’appartenance culturelle que de lien de sang».

Ivanie Aubin-Malo est une Autochtone de la nation malécite. «C’est que les Autochtones sont très instinctifs, très fluides», me dit-elle. «Historiquement, nous n’avons jamais eu à établir de règles fixes afin de définir l’identité amérindienne. En fait, c’est un peu contre-intuitif».

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La jeune fille, dont le pourcentage de sang autochtone (12,5%) est égal à celui de Kevin, et au mien, soit dit en passant, s’affirme fièrement Amérindienne. Elle suit des cours de Wolastoqwey Latuwewakon, la langue malécite, et parcours les réserves du Canada pour danser dans les Pow Wow, sortes de rassemblements festifs et culturels Nord-amérindiens.

Pourquoi mon père écoutait du Avril Lavigne (pour vrai) pendant que d’autres apprenaient des chansons traditionnelles?

Elle poursuit: «Pour moi, être Autochtone, c’est respecter la terre où tu vis, ta communauté, son passé. C’est participer au collectif. Pour être Autochtone, vraiment, il faut que tu sois accueilli», me dit-elle, les yeux brillants.

Ivanie, Kevin et moi avions tous trois un arrière-grand-parent Amérindien. Aucun de nous ne vit en communauté. Pourtant, de nous trois, seule Ivanie me semblait réellement pouvoir affirmer être Autochtone. Être accueillie. Pour dire vrai, moi, je ne me sentais plus Autochtone, pantoute.

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Pourquoi, alors? Pourquoi mon père écoutait du Avril Lavigne (pour vrai) pendant que la tante d’Ivanie, elle, lui apprenait des chansons traditionnelles?

Ceux qui ne fabriquaient pas de mocassins

Kevin avait appris à 26 ans qu’en lui coulait du sang autochtone. En vérité, me dit le cinéaste, c’est arrivé un peu par hasard; son oncle lui a demandé, tout bonnement, s’il avait «pris sa carte ». Cette carte, c’est celle émise par l’Alliance Autochtone du Québec, qui affirme que tu es Autochtone même si tu vis hors réserve. L’oncle lui précisera plus tard: «si tu veux t’acheter un char, tu peux l’acheter en réserve sans payer de taxes; si tu veux retourner à l’école, tu vas avoir des rabais».

«C’est le premier malaise que j’ai ressenti face à mon lien autochtone», m’explique le cinéaste. D’un côté, la découverte de ces origines qu’il ignorait le captivait; de l’autre, le pitch de vente de l’oncle lui semblait très peu lié à la culture autochtone. Tout comme mon père, l’oncle de Kevin ne semblait pas avoir souvent ressenti l’urge d’aller fabriquer des mocassins dans un wigwam ou de danser dans un Pow Wow.

Je leur en voulais, à ma famille, de ne pas m’avoir réellement éduquée par rapport à mon passé autochtone.

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Le malaise face au partage ou Comment se faire r’tourner d’bord

Dans mon questionnement, je suis allée voir ma grand-mère et je lui ai posé des questions. Elle avait vécu avec mon arrière-grand-père autochtone, elle devait bien savoir quelque chose à propos de mon héritage.

Sauf que de Martha je n’ai jamais pu tirer un mot. Ma grand-maman n’avait jamais été très vocale, mais là, elle semblait carrément inconfortable.

Sur le coup, je n’arrivais pas à dépasser mon incompréhension: pourquoi ce malaise face au partage? Je leur en voulais, à ma famille, de ne pas m’avoir réellement éduquée par rapport à mon passé autochtone. Observe, écoute, retiens, transmets: les quatre piliers de leur éducation traditionnelle, et pourtant ils sont nombreux, autour de moi, ceux qui me disent n’avoir jamais connu leur histoire familiale ou ancestrale.

La culture autochtone prend tellement sa valeur dans la communauté, qu’un simple mariage à l’extérieur de celle-ci peut compromettre l’héritage culturel.

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L’héritage, la honte et la réactualisation

C’est à force de discussion que je me suis fait une idée. Je jasais avec la tante d’une amie, cette semaine, et elle me racontait que sa mère lui avait longtemps caché avoir du sang amérindien. «Elle trouvait ça honteux. Jeune, elle s’était fait traiter de sauvageonne, et pour elle c’est ça que les Autochtones représentaient», me dit Huguette.

C’est pas mal plus grand que le mode de vie de mon père. C’est un enjeu sociétal et historique.

Ivanie renchérit: «Il y a que la culture autochtone prend tellement sa valeur dans la communauté, qu’un simple mariage à l’extérieur de celle-ci peut compromettre l’héritage culturel». On y ajoute toute cette génération de jeunes qui furent retirés de leurs familles par le gouvernement canadien, entre 1880 et 1996, pour être placés en pensionnats où on occultait complètement la transmission de leur héritage. On y ajoute cette honte que nos grands-parents et arrière-grands-parents ont pu ressentir vis-à-vis de leur appartenance et des clichés qui y étaient associés.

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Aujourd’hui je comprends que c’est pas mal plus grand que le mode de vie de mon père. C’est un enjeu sociétal et historique. Maintenant, je comprends que ça va nous prendre des gens remplis d’ouverture, de résilience et, surtout, d’humilité, pour réussir à transmettre, à réactualiser et à honorer la culture autochtone en milieu urbain québécois, et partout au Canada. Et partout, point.

Québécoise, juste ça

C’est hot, être amérindien. De nos jours, c’est clamé avec fierté. C’est même parfois reçu avec un peu d’envie. Tu fais partie de cette minorité visible pratiquement invisible, t’as des ancêtres d’avant nos colons, t’as du mystère pis une tache de naissance bleue pis t’as des cheveux noirs pareil comme Pocahontas; c’est hot.

Sauf que ce n’est pas juste ça, être amérindien.

Maintenant, je sais qu’il y a les Micmacs, les Malécites, les Iroquoiens et les Algonquins, et qu’il a 7 autres nations autochtones reconnues au Québec.

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J’ai compris qu’être Autochtone, c’est connaître son passé, c’est en être brisé, quelque part, et c’est le faire renaître, autre part. Être Autochtone, c’est porter en soi, fièrement, les marques de ta culture. De cette manière-là, tu donnes à ta communauté. Mais pour ce faire, il te faut du tangible, il faut que tu aies touché à cette communauté, et à ce qu’est devenue sa culture, aujourd’hui. Je me suis rendu compte que rien ne me rattachait plus à la culture autochtone que la volonté d’y appartenir. Et ça, c’est hypocrite. Je ne le dirai pas là, mais ça se rapproche pas mal de ce qu’on pourrait appeler de l’appropriation culturelle (ok, je l’ai dit).

Maintenant, je sais qu’il y a les Micmacs, les Malécites, les Iroquoiens et les Algonquins, et qu’il a 7 autres nations autochtones reconnues au Québec. Je sais qu’ils prennent des majuscules quand on parle de la nation ou d’un de ses membres, mais que la minuscule suffit lorsqu’utilisés comme adjectifs. Je sais que l’identité autochtone est un concept fuyant qui prend racine dans le partage d’un passé et la coopération en communauté.

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Finalement, je sais aujourd’hui que je ne me sens pas Autochtone parce qu’il y a une cassure. Il y a un manque de fierté, d’intérêt et de transmission. Je ne suis pas Autochtone, pas encore, mais aujourd’hui il faut que je sois honnête: ça m’aurait fait plaisir, et j’y travaille.