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J’ai une adresse hotmail et plusieurs belles qualités

Par
Kéven Breton
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Jeudi dernier, je suis passé à un cheveu de perdre mon emploi.

J’attendais patiemment, dans la salle de rencontre, d’entendre ou non mon poste parmi la liste de ceux coupés. À ce moment, je réfléchissais déjà à mon curriculum vitae que j’allais peut-être devoir mettre à jour.

J’ai été épargné. Pas totalement, puisque mon horaire a été amputé de quelques heures. Une diminution représentant l’équivalent de la monnaie que je perds hebdomadairement dans la laveuse. Ceci peut vous paraître peu, mais c’est en fait bien mal me connaître (je vérifie jamais si mes poches sont vides).

Ce moment d’angoisse aura eu le mérite de me faire prendre une décision importante : plus question de mentir, sous la colonne coordonnées.

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Dorénavant, je serai fidèle à moi-même et à côté de l’icône d’enveloppe électronique, j’y inscrirai [email protected]

Il paraît qu’avoir une adresse hotmail, en 2015, c’est une marque incontestable d’amateurisme. Un désavantage flagrant pour les postulants. Un faux pas professionnel impardonnable. L’équivalent de se présenter à une entrevue avec des Ray Bans de couleur.

Auparavant, je souscrivais à ce mythe et je me résignais à employer mon vétuste courriel universitaire dont j’oublie les accès une fois sur deux. Et que je déteste consulter, puisque c’est une véritable torture que de naviguer dans le portail d’usherbrooke de toute façon.

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Le service informatique préférait se permettre ces petites folies esthétiques plutôt qu’élaborer une expérience utilisateur simple.

L’autre option privilégiée, selon mes amis qui possèdent également beaucoup plus de cravates que moi, serait de m’ouvrir un compte gmail. Mais pourquoi est-ce que je devrais succomber à la pression populaire alors que mon compte hotmail répond parfaitement à mes besoins?

Il me permet très adéquatement de conserver mes correspondances avec ces rares gens qui n’ont pas encore leur citoyenneté Facebook.

Il dispose d’un système de tri étonnamment efficace, avec lequel je peux établir mes propres règles de classification. Il compile déjà toutes mes factures électroniques. Et il archive depuis dix ans plein d’information tantôt futile, tantôt FURIEUSEMENT URGENTE COMME CETTE PERSONNE À QUI J’AI PEUT-ÊTRE OUBLIÉ DE RÉPONDRE EN 2008.

Et je n’y reçois que très peu d’offres illicites promettant le crescendo de la taille de mon sexe.

Ce n’est donc pas vrai que la société me forcera à migrer vers le territoire gmail sous de pseudo arguments professionnels. Stop à ce génocide électroculturel. Stop au règne du paraître web (dont celui sur LinkedIn que j’ai déjà dénoncé).

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Il paraît qu’on ne s’abonne pas seulement à gmail par souci d’élégance: que cette option offre également certaines fonctions inédites, comme une “capacité hallucinante à gérer ton agenda de manière intuitive” (j’ai mis ce passage en italique comme si j’allais référer cette citation à quelqu’un, mais non je suis juste de mauvaise foi).

Sauf que moi, j’en ai juste un agenda. Papier. Que j’utilise uniquement pour inscrire des rendez-vous fictifs au marqueur dans des pages aléatoires. Dans le seul espoir qu’un jour, quelqu’un l’ouvre à une page au hasard où il est écrit “Rencontre Enbridge 18:30” et se méduse : “Ce Kéven Breton est bien plus important que sa chevelure négligée le laisse paraître”.

Soyons toutefois clairs : le préfixe de votre courriel, lui, en dit beaucoup plus sur votre personnalité que votre fournisseur.

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Par exemple, j’ai vite compris que ce n’était pas un hasard si les employeurs ne me rappelaient pas, alors que je cherchais un emploi étudiant sous les identités [email protected] ou [email protected] (vibrant hommage à un héros de Diablo II qui avec du recul peut effectivement poser une certaine ambiguïté).

J’afficherai donc fièrement mon adresse hotmail sur mon CV, à l’avenir. Puisque celle-ci n’est aucunement garante de mes compétences (ou de mes incompétences).

Si un employeur l’associe à quelconque stigmate, c’est tant pis pour lui.

***

Pour lire un autre texte de Kéven Breton: Disability Simulator 2000.

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