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J’ai un parti qui ne veut pas mourir

L'édito URBANIA

Par
Jérémie McEwen
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Chaque semaine, pour l’Édito URBANIA, on cède le micro clavier à une personne pertinente, brillante (et un peu fâchée). Aujourd’hui, le philosophe, chroniqueur et essayiste Jérémie McEwen.

J’étais assis par terre, près de la sortie, la tête dans les mains. J’y repense et je me vois comme si je posais pour une caméra imaginaire, bien maladroitement.

Cachant ses émotions comme il pouvait, Bernard Derome venait de laisser tomber que si la tendance se maintenait, l’option du « NON » allait l’emporter. Le Palais des congrès se vidait peu à peu. Nous nous demandions, mes deux amis et moi, du haut de nos 15 ans, s’il valait la peine de rester pour le discours de Parizeau.

René Lévesque a lancé une de ses plus belles formules en circonstance semblable, après tout. Ça nous a donné notre premier rire de deuil, un petit baume suite à la défaite : « Jacques Parizeau n’est pas René Lévesque, on s’en va. » J’ai manqué le discours infâme, Dieu merci.

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Un journaliste américain m’a accroché. « Hello, I’m from the Christian Science Monitor and I was wondering how you felt about tonight’s results ». Je ne connaissais pas la revue à l’époque, j’ai cru à un Jesus freak d’une publication obscure. Je lui ai simplement répondu que « my feeling is that it might have been the last chance we had to do this. We were so close. It’s hard. »

Lendemain de veille

Le lendemain j’ai connu une tristesse peut-être plus grande encore que celle du grand soir manqué, en regardant Parizeau démissionner, seul, abandonné, défait. Bien sûr qu’il avait dit des choses horribles, impardonnables. Mais la déconfiture d’un homme, voire son autodestruction, n’a rien de réjouissant.

C’était fini, pour longtemps. Tout le travail pour rendre le nationalisme québécois moins fermé sur lui-même, aux poubelles.

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Sa déclaration honteuse n’avait fait que renforcer cette impression donnée au journaliste : c’était fini, pour longtemps. Tout le travail pour rendre le nationalisme québécois moins fermé sur lui-même, aux poubelles.

Je suis fils d’immigrante. Ma mère est lettonne, née dans un camp de réfugiés britannique en Allemagne en 1945. Elle a grandi en Saskatchewan. Elle a voté « NON ». Mon père a voté « NON » aussi. Il était le genre d’homme à s’enorgueillir de toujours voter du côté gagnant aux élections, mais cette fois-là, c’était vraiment « NON ». Ma présence au Palais des congrès le 30 octobre 1995 avait créé la controverse dans la famille, de Montréal à Victoria, en passant par Ottawa et Regina.

Canada is not my country

Les années suivantes j’ai voté PQ et Bloc, c’était les premières fois que j’en avais le droit. Faute d’autre option, un peu. «Canada is not my country», chantait tristement Mononc’ » Serge en 2001. Mais peu à peu je redevenais ce que ma famille était : ni vraiment canadienne, ni vraiment québécoise. Montréalaise peut-être, dans la tradition de Cohen. Comme chez bien d’autres, ma ferveur souverainiste s’est amenuisée. J’utilisais de plus en plus des arguments naïfs critiquant tous les nationalismes, vous connaissez la chanson.

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En 2003, dans un séminaire de philo politique sur les utopies à l’Université de Montréal, j’ai écouté attentivement un étudiant qui faisait un exposé oral brillant sur la nécessité historique de la nation québécoise. Au-delà de toute perspective identitaire fermée, la marche de l’histoire commandait la souveraineté, et la question ne serait jamais réglée tant que le Québec ne se dirait pas « OUI » une fois pour toutes. L’étudiant s’appelait Mathieu Bock-Côté. Et malgré que j’évite généralement de lire ses chroniques aujourd’hui par allergie à l’excès adverbial et à ce que Dany Laferrière appelle la surexcitation intellectuelle, je n’ai plus jamais remis en question la nécessité de faire du Québec un pays par la suite. J’ai continué à voter PQ/Bloc par défaut.

Villeray

    1. 2012. Mes yeux ont piqué. J’ai gueulé mon indignation contre le Service de Police de la Ville de Montréal et le Parti Libéral du Québec à l’émission Bande à part à Radio-Canada. Puis j’ai constaté, déçu, la tiédeur du Parti Québécois vis-à-vis de la rue. Seuls Québec Solidaire et Option Nationale supportaient ce que j’avais au fond des tripes. Il existait une alternative. J’ai fait mon choix, sans que ce soit facile. Des amis partisans du PQ me traitaient pratiquement de traitre à la nation, mon fil Facebook était une longue engueulade tranquille. J’habitais dans un quartier à « vote divisé ». C’était de ma faute si Gerry Sklavounos passait dans Villeray-Parc-Ex.

J’ai constaté, déçu, la tiédeur du Parti Québécois vis-à-vis de la rue. Seuls Québec Solidaire et Option Nationale supportaient ce que j’avais au fond des tripes.

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C’était un geste inacceptable de voter autrement que PQ? Je sentais leurs exhortations comme une invitation à l’enfermement volontaire. Je me suis senti libéré, presque serein, en posant une pancarte orange sur mon balcon. Gerry Sklavounos a été réélu. QS n’a pas pris la balance du pouvoir. J’ai questionné mon choix. Pauline Marois a annulé l’augmentation des frais de scolarité, optant pour l’indexation. Peut-être allais-je encore donner une autre chance à ce parti la prochaine fois.

Puis il y a eu la charte de la honte. Oui, pour moi c’était une honte. Un instant, j’ai eu envie de je ne sais quoi. La rage, carrément. J’ai repensé à la déclaration de Parizeau, à l’autodestruction – celle d’un parti entier cette fois-ci. J’ai pensé aux trop nombreux soupers de famille en anglais depuis mon enfance où les accusations de racisme envers le Québec sourdaient à mesure que le vin coulait. À toutes les fois que j’avais défendu que non, le Québec n’était pas raciste. Avais-je eu tort.

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J’ai trouvé l’arrivée de PKP au PQ, poing en l’air, gênante. Son retour, disons-le, serait risible. Jean-François Lisée s’est transformé en François Legault le temps de devenir chef du parti. Alexandre Cloutier et Véronique Hivon étaient mes derniers espoirs au PQ.

Reste Hivon.

Je ne sais pas.

Je pense à cet ami de mon frère, lui qui avait l’âge de voter en 1995, et qui avait voté « OUI ». Plusieurs années plus tard, il m’avait dit que si le souverainisme montait à 60 %, il voterait aujourd’hui « NON ». Et que si le fédéralisme montait à 60 %, il voterait « OUI ». Que 50/50 était peut-être la meilleure façon de maintenir un rapport de force intéressant pour notre petite nation, si intéressante, avec le reste du monde.

Ça me calme de penser à ça.

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Jérémie publiera son premier essai, Avant, je criais fort (Éditions XYZ), le 22 février prochain.

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