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J’ai sauvé la dignité d’un garçon

(je crois)

Par
Catherine Ethier
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Dans mes souliers bateau et ma jupe de crêpe à cerceau, je ne projette pas exactement l’image de celle qui va partir le feu au camping.

MAIS JE SAIS FAIRE.

(j’aurais pu arrêter mon billet ici. C’est en fait l’essentiel de ce que je désirais communiquer. Mais il y a plus!)

Chaque année, quand l’été s’étire la cuisse de derrière le rideau, je me replonge dans mon costume mauve et jaune d’animatrice de camp de vacances. Pour une raison qui m’échappe, on nous attriquait en sacs à vidanges Cadbury, sans doute pour faire sûr que les p’tits nous repèrent quand on sacrait le camp dans le remous en rafting ou pour venir nous porter leurs vieilles napkines avec une moitié de hot-dog cachée dedans.

L’été où j’ai débuté ma haute carrière de monitrice, j’ai tout appris.

J’ai appris comment peindre une fresque de la Renaissance avec un gallon de peinture brune étiré avec de l’eau de pluie. J’ai appris qu’une balançoire avec un pneu, ça pouvait lâcher, surtout quand tu fais la démonstration aux nouveaux campeurs en leur assurant qu’ils ne se fendront pas le crâne (mais plus le cul, dans mon cas).

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Mais j’ai aussi appris la dignité. Du moins, comment garder un jeune presque-monsieur de 11 ans de se jeter dans le courant, cinq minutes à peine après que la jupe de sa mère ait quitté le site.

C’était jour d’arrivée de campeurs.

Ce jour, je le chérissais tout particulièrement, d’une part parce que j’avais eu congé la veille et lavé mes caneçons et, d’autre part, parce que je ne reverrais plus cet odieux campeur de la batch précédente, celui dont les sandales Merrell mettaient majestueusement en valeur son panaris nourri au grain.

Ce matin-là, Alexandre avait débarqué avec sa valise aux motifs Hawaïens. En 99, le motif Hawaïen était au design ce que le trépignement d’épaules est à Christiane Charette quand le DJ part son set (lire: le total pied).

Alexandre avait tout pour lui: chevelure blonde DiCapri-esque, espadrilles cherrantes et tout indiquait qu’il maîtrisait les préceptes du maniement du rouli-roulant. À peine avait-il déposé sa valise à fleurs dans notre pavillon que jeunes filles et garçons se dandinaient déjà d’envie de faire partie de sa gang. C’était LE gars avec qui tu souhaitais danser un slow, petites mains dans les poches de fesses de jeans (pas moi, là. Les petites filles. Pis les petits gars, aussi).

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L’arrivée des autres campeurs allait bon train, quand soudain, une porte claqua violemment. Et comme je ne me trouvais pas au Théâtre de la Marjolaine, c’était certainement pas Marcel Lebœuf qui venait de faire son entrée en scène avec un ananas sur la tête.

N’écoutant que mon courage et ma lactation de jeune mère en devenir, je me suis précipitée, haletante (et certes un peu rushante), vers la chambre d’où semblait provenir l’émoi, pour y trouver, enfermés dehors, trois petits dodus au regard hagard.

« Vous devriez aller voir Alex. Il y a un problème »

Déjà, le respect dans la consigne m’indiquait le pire. À n’en pas douter, Alexandre s’était pris le pénis dans ses nouveaux shorts à zippeures. Ne réfléchissant pas une seconde devant cette possibilité de type 11/10, je suis entrée pareil, au péril de gérer un appendice rubicond que je n’aurais su voir.

J’entre.

Assis sur son lit, plus penaud que Michel Charette dans sa palette élargie de personnage penaud 24/7 DANS TOUTE SÉRIE, Alexandre m’attendait, petits pieds virés par en-dedans en regardant par terre.

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Mince. Ça m’avait tout l’air dun cas aigu de « J’m’ennuie de ma mère, va la chercher dans le parking avant qu’a’ pèse su’l gaz ». Pauvre caille. J’étais loin de me douter qu’après ce que j’allais découvrir, c’est MOI qui m’ennuierais de ma mère.

Alexandre, donc, le beau beau beau beau gars, avait fini d’installer ses petites affaires dans son armoire. Confortable et au-dessus de toute, il avait jugé bon, entre excitation et angoisse de séparation, d’aller couler un bronze, tranquille, question de se sentir à la maison en lisant l’endos de sa nouvelle bouteille de shampoing 2-en-1.

Ce qu’il ignorait, c’est qu’à la seconde-même où il franchirait la porte de la toilette-garde-robe, il ne se passerait pas ce qui était supposé se passer.

« Va voir dans la toilette », m’a-t-il dit de son envoûtante voix de premier de soccer, le turquoise de ses yeux noyés dans l’effroi.

La toilette n’avait pas débordé.

Nul chacal ne s’y trouvait non plus.

LES MURS ÉTAIENT COUVERTS DE MARDE.

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Un spray d’une finesse telle que l’épandage de matières fécales aurait été réalisée par Moment Factory que je l’aurais cru à la seconde.

Jamais je n’avais vu pareille chose. Le p’tit n’avait pas laissé tomber une pêche, il avait fait exploser la barquette. Un truc humainement impossible. Mais qui venait d’arriver, au premier jour du camp, alors que tous les yeux étaient rivés sur lui.

Sur le sol, sur les murs, DANS LA DOUCHE et un peu dans le miroir, la vidange intestinale d’un pré-adolescent se faisait aller les sourcils en ma direction. Je devais gérer, et vite.

Et ce qui était fantastique, c’est qu’Alexandre était tout autant, sinon plus dégoûté que moi par la perspective d’approcher le sinistre. Il exigea donc, sans gêne aucune, que ce soit moi qui m’occupe, soubrette à l’âme, de nettoyer la scène de crime « parce que c’était mon travail ».

Oh, hell no. Pendant que les autres jeunes furent emmenés à faire je ne sais quelle ânerie d’activité d’accueil (je mettrais un 20 sur Cumbaya), Alexandre et moi gérions ses selles. Lui, armé de trois mètres de papier brun tapé après un manche à balai, moi, aux ordres strictes et hilares, à diriger ZE bad boy – qui, si j’avais eu son âge, ne se serait jamais intéressé à mes charmes de myope et ma collection d’effaces – un petit gars qui allait VOMIR DANS UN SEAU à chaque coup de débarbouillette, mais qui s’exécuta jusqu’à ce que la dernière grimenaude ait disparu.

Je n’avais pas à jouir de cet instant. MAIS JE L’AI FAIT.

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Après, je lui ai payé un Revel à l’orange en silence et nous n’en avons plus jamais reparlé.

Ce que je trouve le plus beau, dans cette histoire, c’est la loyauté de ses petits chums de chambre, qui jamais ne révélèrent à quiconque l’incident du péristaltisme galopant d’Alex (pas fous, ils seraient amis avec le gars avec qui tout le monde veut danser un plain). Mais ce que je chérirai toujours, c’est la mystérieuse tache marron qui marqua le mur près de la pole à rideau de douche tout l’été. Éternel rappel de la fragilité du standing, ce serait notre petit secret.

Que je révélerais 15 ans plus tard sur un blogue furieusement trendy. C’était le deal.

La bise.