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J’ai porté des shorts pendant une semaine en hiver

(Profond soupir) bon, une autre mission de cabochon…

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« On a une mission à te proposer! Est-ce que tu accepterais de ne porter que des shorts pendant une semaine en plein hiver? »

Quand Geneviève, la recherchiste de l’émission On va se le dire, m’a envoyé ce courriel, je mentirais si je vous disais que je suis tombé en bas de ma chaise.

J’imagine même leur séance de brainstorming à distance :

-Bon, pour parler de la crise au Proche-Orient, on pense à qui?

-Marie-Ève Bédard?

-Ah oui, excellent choix!

-Et pour le dossier Northvolt, on a quelqu’un d’intéressant?

-Certes, Thomas Gerbet suit le dossier de très près, Alexandre Shields aussi.

-Bien. Maintenant, à qui on propose de porter des shorts pendant une semaine en plein hiver?

-Ben… Hugo Meunier!

-Qui d’autre? Ce garçon serait clairement prêt à mourir d’hypothermie pour passer à la télévision. Voilà, ça complète notre meeting. Ah! Et aux réseaux sociaux, n’oubliez pas de surutiliser les mots « équipe de feu » et « brochette d’invités », s’il vous plaît.

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Geneviève a au moins cru bon de me transférer un article publié au début du mois dans le prestigieux magazine Time, afin de mettre un peu de chair sur l’os de ce nouveau projet de reportage zinzin.

L’article du Time donne la parole à quelques adeptes américains sur ce qui les motive à s’underdress à longueur d’année. En gros, c’est plus confortable, ça attire l’attention et c’est viril en crisse. La plupart des messieurs confessent aussi avoir constamment chaud (un point en commun avec moi qui suis un calorifère humain).

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Ah! Et il y a aussi deux psychologues interrogées, qui expliquent que c’est surtout des gars qui portent des shorts en hiver pour avoir l’air tough et que ça peut en aider certains à mordre dans la vie à pleines dents. Un statement du genre : je porte des culottes courtes en hiver.

C’est le cas de le dire : je suis très motivé.

La science des jambes à l’air

D’un point de vue médical, les vertus sont floues. Pour avoir testé récemment la baignade nordique, comme 89,7% de mon fil Facebook, je dois dire qu’exposer son corps à des situations extrêmes contribue à… se trouver bon de l’avoir fait.

J’écris d’abord à ma nouvelle meilleure amie Vanessa Bell, experte nationale de la trempette dans un lac gelé.

« J’en pense rien. La baignade en eaux froides ou pour pratiquer des sports, je comprends l’utilité. Mais porter des shorts pour porter des shorts? Pourquoi? J’imagine que ça active la circulation sanguine, mais je n’en sais rien. On dirait que ça me fâche, quand je vois des gens porter des shorts, en hiver. Je me dis : mais pourquoi? », peste Vanessa, visiblement en colère.

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Fun fact : je pourrais tenir un discours semblable en remplaçant le mot « shorts » par « unicycle ».

Je plaiderais ici que contrairement aux participants de l’article du Time, qui relèvent le défi au Connecticut (+2 degrés aujourd’hui) ou à Bronxville dans l’État de New York (+3 degrés aujourd’hui), le faire au Québec est une autre paire de manches… ou de shorts.

Heureusement, on peut compter sur les changements climatiques pour donner à l’hiver des airs de printemps.

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Alors voilà, le temps de crier « projet de cabochon » que me v’là à quatre pattes dans mes tiroirs de linge d’été en train de dépoussiérer mes deux seules paires de shorts.

L’expérience peut commencer.

Pourquoi je fais ça, au juste?

Jeudi matin. On gèle, viarge! Il fait – 12, mais le soleil est là. Je me dirige machinalement vers ma voiture, sans trop me soucier de mes jambes à l’air. La première personne croisée sur le boulevard Rosemont me le rappelle en me dévisageant.

Même chose lorsque j’embarque, un kilomètre plus loin, ma collègue Stef, qui s’exclame en me voyant comme si j’étais capoté dans la calotte. Plutôt ironique, venant d’une personne qui porte des jeans troués?

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J’essaye de lui expliquer mon expérience, mais c’est pas si clair pour moi non plus. Pourquoi je fais ça, au juste? Ah oui, pour passer à la télé!

Je rentre au bureau en subissant le vent froid qui fouette mes mollets, puis les railleries de mes collègues incrédules. J’ai une pensée solidaire pour ces générations de filles qui vont clubber en mini-jupe, laissant leur manteau dans le char pour sauver le prix du vestiaire.

La semaine s’annonce longue.

L’art de porter des shorts en hiver

Je démarre la journée en passant un coup de fil à Matthieu Dubreucq, coach et copropriétaire de o2co2, à l’origine d’une méthode d’entraînement bien inusitée.

S’inspirant de personnalités comme Winh Hof (surnommé l’homme de glace), o2co2 propose, depuis quelques années, des séances d’exposition au froid, au chaud, en plus d’offrir des ateliers de méditation et de respiration. Témoignant d’un engouement certain pour l’exposition au froid (pour la baignade nordique, notamment), Matthieu Dubreucq assure qu’il existe plusieurs bienfaits à cette pratique extrême, dont la libération d’hormones. « Quand tu t’exposes au froid, ta graisse blanche (qui stocke les calories) va se transformer en gras brun (qui brûle les calories). Aussi, tu auras de moins en moins froid, puisque ton corps va créer de la chaleur », explique l’entraîneur, ajoutant que le retour au chaud après une longue exposition au froid s’accompagne d’une grande décharge de dopamine. « Tu te sens bien. Ça peut même aider à arrêter le café ou la cigarette », ajoute-t-il.

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Matthieu souligne que l’important, c’est d’y aller à son rythme et de ne pas s’imposer une telle habitude. Ça peut être aussi simple que d’ouvrir la fenêtre de sa voiture pendant une minute en hiver. « Faut le voir comme un art, pas comme un sport. Quand tu comprends ce qui se passe dans ton corps, t’as pas peur. »

« Comment faire parler de nous dans les médias? »

C’est le titre d’une conférence organisée par la Coalition montréalaise des Tables de quartier, à laquelle on m’invite à prendre part avec deux autres panélistes.

En route vers la salle de l’Espace des Possibles de La Petite-Patrie, je vois la trajectoire du regard des passants migrer de mes jambes dénudées à mon visage éternellement niais. La mine est empathique, vaguement inquiète, l’air de se dire : « Ce monsieur a beau ressembler vaguement à Brad Pitt dans Sept ans au Tibet, il ne va pas bien. »

Je vais m’habituer.

Une mise au point s’impose au début de l’atelier. « Parfois, en journalisme, on fait des choses susceptibles de faire avancer la société. D’autres fois, on porte des shorts en hiver pendant une semaine. »

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En sortant, je me dis que ça leur fait au moins un exemple concret en réponse au thème du panel.

Le soleil est couché, l’expérience est soudainement moins comique. On gèle, osti. Je tousse une première fois en me dirigeant vers mon char.

Dans quoi je me suis encore embarqué ?

Tête de Turc au bureau

Je me lève avec une bonne bordée qui m’attend de l’autre côté de la porte. J’enfile ma deuxième paire de shorts, plus serrée, puis je sors. Il neige toujours et je dois déneiger ma voiture. Je pellette à côté d’un voisin, qui me salue comme si de rien n’était.

Je vois qu’il observe mes jambes à poil, mais se garde de commenter. C’est le matin pour tout le monde. Moi, avant mon deuxième café, les gens pourraient être en feu devant moi dans un costume de pirate que je ne broncherais pas.

Au bureau, mes collègues se paient ma gueule. Et pas juste à cause de ce vieux tatouage laid sur mon mollet que je fais d’ordinaire subir à la populace entre mai et septembre.

« Wow, tu m’accueilles avec tes beaux jarrets! », se moque assurément la perfide Audrey, minimisant mes efforts à faire ÉCLATER LA VÉRITÉ.

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Seule mon amie Stef se montre un peu solidaire en m’envoyant ce constat cruel.

Parce que j’ai neuf ans, je marche comme chaque midi vers le Métro m’acheter un sandwich avec un side de salade de pâtes et un V8. Parfois, j’ajoute un sac de fromage en crottes que je mélange dans ma salade de farfalles carbonara, mais le prix du fromage qui fait squish squish a explosé.

Je croise aux caisses trois jeunes qui portent des shorts après avoir terminé leur jogging. Je tente un signe de tête fraternel, ils évitent mon regard.

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« Je vais toujours sortir mes poubelles en bermuda! »

Le lendemain matin, je passe un coup de fil à Guy Grenier, 83 ans, fier porteur de bermudas à l’année depuis une quinzaine d’années. Je l’ai trouvé grâce à une photo de moi en short publiée sur Instagram. C’est sa fille qui m’a écrit pour me dire que je ne suis pas seul au monde.

« J’avais une ferme où je cultivais des cèdres et j’ai pris l’habitude de porter des bermudas parce qu’il faisait toujours chaud », m’explique l’intrépide Drummondvillois. Il ajoute que ses proches sont tellement habitués de le voir ainsi que plus personne ne lui fait de remarques.

« Si je vais prendre une marche à – 30, c’est sûr que je vais mettre des pantalons, mais je vais toujours sortir mes poubelles en bermuda », nuance l’octogénaire, qui se demande à la blague si son comportement hors saison deviendra une mode, maintenant que je fais partie de sa secte.

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Avant de raccrocher, je lui demande s’il peut m’envoyer une photo de lui dans sa tenue de circonstance.

« Hahahaha! Non, je pense pas que ça va être beau », lance-t-il en rigolant avant de raccrocher.

Décidément, ce cher Guy n’assume pas notre différence.

Le reste de la journée file à toute vitesse, j’en oublie que je porte des shorts. J’avoue que je suis plutôt confortable au bureau, en plus d’émoustiller mes collègues. C’est en sortant en fin de journée que la température de février me le rappelle.

En short en ski

Je pars deux jours au chalet. Je pourrais certainement tricher, personne ne le saurait.

« J’ai porté des shorts durant une semaine en plein hiver… sauf une fois au chalet. »

Mais c’est mal me connaître.

« Mon Hugo d’amour? Jamais ça ne lui traverserait l’esprit de tricher! », clamerait d’ailleurs ma blonde.

Mon besoin d’attention chronique est comblé par un arrêt au Provigo de Chertsey, où je ne passe pas inaperçu.

« Pis, fait chaud? », s’exclame un Chertsois (oui) s’amusant à mes dépens dans l’allée des chips. Les autres clients détournent le regard comme si j’étais un sans-abri sur la rue Sainte-Catherine ou une vedette has been sur un tapis rouge.

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Le temps de crier « GONZO » et me voilà dans le télésiège de Ski Montcalm, toujours en short, flanqué de mon frère Benoit. Nos ados skient sur un autre versant, le mien parce qu’il a très honte de son père.

Oui, je l’avoue, c’est coco bongo niveau « blonde de Réjean Tremblay », faire du chasse-neige en short, surtout quand des bourrasques soufflent au sommet de la montagne. Après deux descentes, je ne sens plus mes jambes et je rentre au chalet avant de tomber en hypothermie pour finalement enfiler des pantalons.

À part quelques visages consternés croisés sur les pentes, j’aurai au moins eu le temps de gagner le respect d’un jeune préposé au télésiège. « Moi, j’ai déjà descendu Saint-Côme en boxer! », lance-t-il, solidaire.

Rencontre avec le gars en short

La semaine repart en force avec un ressenti de – 20.

J’enfile mes shorts et je vais cueillir ma jeune collègue Anne-Marguerite, désormais habituée à mon anachronisme vestimentaire. « Ah! C’est pas encore fini, ça… », marmonne-t-elle, blasée, avant d’entreprendre le récit COMPLET des 60 kilomètres de ski de fond qu’elle a parcourus durant la fin de semaine.

Dans mon temps, les jeunes se droguaient, la fin de semaine. Aujourd’hui, ils font juste de l’osti de plein air. Même pas en short, en plus.

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À la radio, le président brésilien accuse Israël de « génocide » dans la bande de Gaza. Je regarde mes cuisses rougeâtres dont la peau commence à être sèche. Chacun son combat.

Sur l’heure du lunch, je rencontre Matthew Staniscia au restaurant Dilallo de Ville-Émard, le casse-croûte original (1929) de cette chaîne de burgers.

J’ai trouvé Matthew sur le web, en faisant des recherches pour mon « enquête ».

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« Après la publication de l’article, les gens m’arrêtaient dans la rue pour me dire : Eille! C’est toi, le gars en short! »

Avant de connaître cette étrange notoriété, Matthew avait déjà fait ses classes dans l’univers des shorts en hiver.

« Ça fait presque vingt hivers. J’étais au cégep et j’avais été me chercher des sushis. J’avais des pantalons avec des zippers et j’avais décidé de mettre mes shorts pour faire une blague. Finalement, j’ai aimé ça », raconte le programmeur.

Il avait même travaillé sur place, au Dilallo, en short, à cause de la chaleur en cuisine.

Lorsqu’il a commencé à travailler dans un bureau, son patron l’avait autorisé à rencontrer les clients en short, sa marque de commerce. « Ils (les clients) étaient déçus si je mettais des pantalons. Pour eux, j’étais le gars en short. »

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Pour Matthew, c’est avant tout une question de confort. Il a aussi la chance d’avoir une bonne tolérance au froid et de ne pas traîner dehors trop longtemps. « Je suis capable de me rendre à -35 avant de me dire que je devrais mettre des pantalons! », badine-t-il.

S’il est conscient d’attirer l’attention, Matthew n’a jamais reçu de commentaires désobligeants, au contraire. Et lorsqu’il croise d’autres irréductibles, un signe de la tête est de mise. « On n’a pas un gros hiver, cette année, c’est pas trop difficile. Mais je ne suis pas plus malade que les autres, le froid n’est pas un virus », souligne-t-il

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Mon camarade prend tellement son surnom à cœur, qu’il a failli se marier en short. « Ma blonde accepte mon mode de vie, mais quand je voulais me faire un habit sur mesure avec des shorts pour le mariage, elle a dit non. J’ai pourtant des shorts propres! », rigole-t-il.

On se quitte sur le trottoir, immortalisés par une passante qui semble se demander ce qui se passe.

Médaille d’or des shorts en hiver

L’expérience tire à sa fin. J’enfile mes shorts aussi machinalement que je me brosse les dents. Il fait encore froid, mais c’est supportable. Le soleil est au rendez-vous et on s’habitue à tout, dans la vie, même aux gens qui disent « vindredi » ou qui se cognent sur le dessus de la tête en employant l’expression « je touche du bois ».

Ma journée débute chez Jean-Luc Brassard à Salaberry-de-Valleyfield, que je rencontre en marge du 30e anniversaire de son exploit aux Jeux olympiques de Lillehammer.

Pas du tout gênant.

« Fa’que je porte des shorts pendant une semaine en hiver, pis toé mon JL, as-tu déjà fait quelque chose d’aussi impressionnant dans ta vie? Hein? OÙ EST MA MÉDAILLE? »

L’ex-champion est un gentleman qui se garde de me rudoyer. Il m’offre même une soupe maison pour me réchauffer. Comme athlète, il atteste qu’une exposition au froid favorise la circulation sanguine. Enfin, un argument valable pour mener cette expérience autre que « pour attirer l’attention ».

Parlant d’attirer l’attention, mon arrivée dans un bar, en soirée, pour un 5 à 7 sur la rue Duluth ne passe pas inaperçue. Je commence à avoir une cassette pour rassurer les gens sur ma santé mentale.

« Nenon, pas fou, expérience journalistique (genre), le Time, FAVORISE LA CIRCULATION SANGUINE. »

En sortant du bar, le soir est tombé. Je gèle en rentrant chez moi, pendant que dehors, des fumeurs me jugent sévèrement du regard.

Je termine cette semaine avec le sentiment du devoir accompli et – je l’avoue – un bilan plutôt positif. Au-delà des conversations (sympathiques) que j’ai suscitées, porter des shorts m’a incité à m’accrocher un sourire dans le visage et à apprécier les moments où je « dégelais » à l’intérieur après une séance de pelletage, de ski ou une marche au frette.

Ça fait aussi apprécier l’hiver différemment, si bien que ça fait presque bizarre de revenir à la normale après une semaine. Pour moi, mais aussi pour mes collègues qui s’ennuient déjà de mes beaux jarrets.

« Tu avais l’air moins mononc’, en short, je trouve », laisse tomber ma collègue Gabrielle, déçue.

Je ne suis peut-être pas game de faire le mois sans alcool, mais devant une telle pression, je pourrais me forcer pour initier le mois sans pantalons, dès l’an prochain.

À suivre.