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« J’ai perdu mon ex d’une surdose, il faut que les choses changent »

Récit d’une endeuillée sur un phénomène encore tabou. 

Par
François Breton-Champigny
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Le 10 décembre 2021, la vie de Karolane Chénier-Richard a été chamboulée à jamais. Son ex-copain Gabriel a été retrouvé sans vie après une surdose de kétamine, d’amphétamines et de cannabis.

Un an et des poussières plus tard, la jeune femme de 27 ans souhaite partager son histoire afin de sensibiliser les gens sur un phénomène qui va plus loin que le fait divers.

Voir au-delà de la consommation

C’est en 2018 que Karolane a fait la connaissance de Gabriel après un déménagement à Montréal pour des études en travail social. « C’était l’ex de ma cousine qui est elle-même décédée, raconte-t-elle. Je ne connaissais pas beaucoup de gens, donc je me suis lié d’amitié avec lui. »

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Le duo est rapidement tombé amoureux malgré les « démons de la consommation » déjà présents dans la vie du jeune homme. « J’avais une petite voix intérieure qui me disait : “Devrais-tu vraiment continuer avec tout ça?” Mais des sentiments, ça ne se contrôle pas. C’était le premier gars à me faire sentir vivante », explique Karolane, un trémolo dans la voix.

Le couple a emménagé ensemble quelques mois plus tard avec des projets plein la tête, dont un retour au cégep pour Gabriel. « C’était quelqu’un de brillant qui voulait se placer, se faire une vie. Il trippait sur la littérature, la philo et était un étudiant modèle », soutient Karolane.

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À l’instar de milliers d’autres couples, leur relation a eu un peu de plomb dans l’aile pendant la pandémie. Les problèmes de consommation de Gabriel ont repris du galop avec l’anxiété inhérente au confinement, ce qui a créé de plus en plus de frictions.

En août 2021, la situation s’est détériorée sérieusement. Même si elle l’aimait encore, Karolane a décidé de partir. « Fallait que j’écoute mes limites. Tout mon corps me disait de m’en aller, donc j’ai dû faire un choix vraiment déchirant. »

La jeune femme se donnait quelques mois pour souffler un peu chez un ami, le temps de finir sa session et de statuer sur l’avenir de sa relation « tumultueuse et intense » avec Gabriel.

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Malgré cette pause, le duo continuait de s’envoyer des messages quotidiennement. « À un moment donné, je lui ai écrit pour l’avertir que je passerais chercher quelque chose à l’appartement. Mon message est resté sans réponse pendant deux jours. Je savais que quelque chose clochait. »

Deux policiers ont finalement débarqué sur le lieu de travail de Karolane. « Ils m’ont posé quelques questions et m’ont demandé d’identifier Gabriel sur des photos qu’ils avaient prises. Je l’ai reconnu tout de suite et j’ai figé. Je ne pouvais pas y croire », se remémore-t-elle, encore bouleversée.

Utiliser le drame comme vecteur de changement

La cause du décès a fait mal à Karolane : polyintoxication causée par trois substances ayant mené à la mort. Après avoir vidé l’appartement de peine et de misère, quelques jours seulement après la tragédie, la jeune femme a dû affronter un temps des Fêtes cauchemardesque.

Le deuil a été d’autant plus difficile pour la travailleuse sociale puisqu’elle a perçu une part de jugement de ses proches par rapport à son choix de relation avec Gabriel. « Déjà que l’on se sent seule dans une épreuve du genre, je me faisais dire : “Qu’est-ce que tu faisais avec un drogué de même?” Le fait qu’il avait des problèmes de consommation ne l’exemptait pas de recevoir de l’amour et d’en donner. »

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Un an quasiment jour pour jour après le décès de Gabriel, Karolane regarde néanmoins avec fierté le laborieux chemin parcouru. « Ç’a été la pire et la meilleure année en même temps, confie-t-elle. J’ai fait beaucoup de chemin pour me pardonner et pour comprendre que ses problèmes ne m’appartenaient pas. »

«C’est une souffrance qui pourrait être évitée si on faisait un plus gros effort de société»

Son long cheminement vers la guérison n’est évidemment pas terminé. Mais la jeune femme a décidé d’utiliser le drame pour faire avancer les choses à sa manière. « Je me suis engagée avec l’Association québécoise pour la promotion de la santé des personnes utilisatrices de drogues (AQPSUD). Je fais ça pour que le moins de gens possible aient à vivre ce que j’ai vécu. C’est une souffrance qui pourrait être évitée si on faisait un plus gros effort de société », estime Karolane, qui blâme au passage le gouvernement de ne pas en faire assez pour endiguer le problème.

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Selon elle, la prévention et la décriminalisation des drogues sont les voies à adopter si on veut un jour sortir de ces sables mouvants. « Il faut arrêter de faire l’autruche et affronter la situation de front, estime-t-elle. Tant qu’on va marginaliser les personnes aux prises avec des problèmes de consommation et qu’on n’aura pas de contrôle sur la marchandise qui circule, on ne réglera rien. »

À quiconque vit une situation similaire à la sienne, Karolane a un dernier message : « Il ne faut pas tout prendre sur ses épaules et essayer de sauver quelqu’un qui n’est pas prêt. C’est important de ne pas se perdre soi-même de vue dans tout ça. »

***

Si vous ou l’un de vos proches êtes aux prises avec un problème de consommation de drogue, d’alcool ou de médicaments, vous pouvez obtenir de l’aide en consultant le site de Drogue : aide et référence (DAR) ou en téléphonant au 1 800 265-2626.

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