Logo

J’ai perdu ma mère dans la tragédie de Lac-Mégantic

Cette fameuse nuit, celle du 6 juillet 2013, ma vie a changé du tout au tout.

Par
Mégane Turcotte
Publicité

2013, 6e avenue, appartement 07

porte du paradis

un aller sans retour

Chère maman,

Comment te raconter ce que j’ai vécu et ressenti depuis la catastrophe? Je vais simplement commencer par le commencement.

Maman, te souviens-tu des dernières belles photos que nous avons prises ensemble? C’était à mon bal des finissants, fin juin 2013. J’étais fière de te rendre fière! Tu as même pu me voir en robe, ce qui, à l’époque, était exceptionnel. Tu sais, c’était deux semaines avant ton décès…qui aurait cru?

Publicité

Maman, cette fameuse nuit, celle du 6 juillet 2013, ma vie a changé du tout au tout. C’était pourtant une belle soirée, il faisait chaud et l’été s’annonçait des plus beaux.

Tu es partie au bar ce soir-là et, comme chaque vendredi, je t’ai dit de bien t’amuser et que je t’aimais. D’ailleurs, tu n’étais pas encore rentrée quand je suis allée me mettre au lit. C’est le réveil qui a été brutal. La nuit a été courte.

Tu sais, c’est mon frère qui m’a dit ce qui se passait, mais je ne l’ai pas cru tout de suite.

Tu sais, c’est mon frère qui m’a dit ce qui se passait, mais je ne l’ai pas cru tout de suite. J’étais seule à la maison, il n’y avait plus d’électricité malgré l’absence d’orage. Je l’ai entendu discuter avec quelqu’un dehors. Et c’est là que je suis sortie, j’avais peur et je me posais des questions : qu’est-ce qui se passe? où es-tu, maman? « Le centre-ville est en feu, et on cherche maman. » qu’il m’a dit. Tu y aurais cru, toi? C’était tellement absurde. Je me disais qu’il s’en faisait pour rien, que ce n’était qu’une question de temps avant que tu ne rentres, qu’il exagérait. Je me disais que peu importe la raison pour laquelle tu ne répondais pas à ton téléphone, tu en avais une bonne.

Mais tu n’as jamais répondu.

Publicité

J’espérais te voir descendre d’une des nombreuses voitures qui passaient devant la maison, en vain. Et j’ai compris. En voyant cette énorme boule de feu monter vers le ciel, j’ai compris, même si je ne voulais pas me l’avouer, que si vraiment tu étais au cœur du drame, plus jamais je ne te reverrais.

Maman, j’ai cru que la boule de feu allait m’avaler tellement elle était énorme. Maman, cette nuit-là, sans en avoir vraiment conscience sur le coup, j’ai perdu une partie de mon âme.

Je me suis mise à me poser des questions, trop de questions. Où étais-tu exactement quand s’est arrivé? Avec qui? As-tu paniqué? As-tu souffert? Que restait-il de ton corps quand on t’a trouvée? Qu’y a-t-il après la mort? Toutes ces questions me tuaient à petit feu. Je devais fuir ma réalité, elle était trop dure à affronter.

J’avais même un plan…

Et c’est là, maman, que ma descente aux enfers a commencé. Je croyais que la drogue m’aiderait à m’évader. C’est pour ça que j’ai commencé à consommer. Je n’étais pas capable d’accepter que tu sois partie d’une façon aussi brutale. J’en ai donc pris toujours plus, et toujours de la plus forte. C’est à ce moment que mon cœur, ma tête et mon âme ont commencé à se chicaner. Mon cœur voulait rester une jeune femme de 17 ans, ma tête voulait aller te rejoindre, et mon âme se foutait bien de la suite.

J’avais même un plan : j’allais attendre d’avoir 18 ans pour mettre certaines choses en ordre, et d’ici là, j’aurais le temps de m’enfoncer de plus en plus dans l’obscurité, je serais donc prête à aller te rejoindre.

Publicité

J’ai décidé d’écouter ma tête, je voulais avoir le plein contrôle sur ma mort. J’avais même un plan : j’allais attendre d’avoir 18 ans pour mettre certaines choses en ordre, et d’ici là, j’aurais le temps de m’enfoncer de plus en plus dans l’obscurité, je serais donc prête à aller te rejoindre. Une seule chose me faisait peur : les suicidés ont-ils droit au paradis eux aussi? Et je me consolais en me disant que tu avais rencontré la Mort malgré toi, alors je pourrais moi aussi la rencontrer, même si, dans mon cas, ça allait être moi qui l’appellerais. Et j’ai continué à prendre de la drogue, toujours plus, toujours plus forte.

Un an après ta mort, j’ai rencontré quelqu’un. Je pensais que je vivrais une belle histoire d’amour, je pensais qu’il me sauverait. Au début, c’était bien, il y avait beaucoup de rires, de sexe, et on s’entendait sur à peu près tous les sujets. En plus, il avait des contacts pour la drogue, tant que je payais, j’en avais à volonté.

Cette lune de miel n’a duré que quelques mois. Lentement, très lentement, il a changé de comportement. Mais je ne pouvais pas le voir, la drogue qui t’effaçait de ma réalité effaçait en fait toute réalité. Et c’est dans ce moment le plus vulnérable de ma courte vie qu’il a pu affermir son emprise sur moi, lentement, mais sûrement. Je croyais qu’il m’aimait. Quand il m’étranglait, c’était ma faute, il perdait le contrôle, tout simplement. Quand il me laissait tout faire, c’était parce qu’il ne pouvait pas le faire. Quand il me criait dessus, c’était forcément parce que j’avais fait quelque chose de mal.

Publicité

Tu te souviens de ce soir où mon cerveau a complètement déconnecté de la raison? Lui et moi nous étions chicanés et j’ai avalé les pilules qu’il me restait. Tu sais, maman, je n’ai pas eu peur. Je pensais si souvent à la mort… Je me suis dit: « il n’y aura jamais vraiment de bons moments pour le faire, alors autant que ce soit maintenant ». Mais il n’en restait pas assez pour que je meure, au pire, j’aurais brisé mon foie, mais il a appelé l’ambulance et on m’a fait un lavage d’estomac à l’hôpital. Je n’en ai aucun souvenir car on a dû m’endormir, j’étais violente et agitée avec le personnel soignant. Le lendemain, je m’en voulais de ne pas avoir réussi.

C’est même devenu un besoin aussi fort que la drogue. Isolée et seule, la mutilation était le dernier fil qui me retenait à la vie.

Publicité

À la longue, à force de me faire rabaisser, critiquer, juger, chicaner, j’ai dû me trouver un échappatoire, car pas question de le laisser, puisque je croyais que c’était de l’amour. J’ai alors commencé à m’automutiler. Je sais, maman, que tu as dû avoir du mal à comprendre ce comportement. C’est simplement qu’après des heures à me faire crier après, j’étais dans un état mental indescriptible. Je devais trouver un moyen de me calmer, car j’étais toute mélangée. Et me faire des coupures sur le bras était le seul moyen qui fonctionnait. Surtout après notre déménagement loin de ma famille, mais surtout, loin de ma tante Vicky, ma deuxième mère. C’est même devenu un besoin aussi fort que la drogue. Isolée et seule, la mutilation était le dernier fil qui me retenait à la vie. Je prenais donc encore de la drogue, toujours plus, toujours plus forte, et je me mutilais toujours plus, toujours plus profondément.

De temps en temps, je parlais avec Vicky, mais même ça, il me l’a enlevé. J’ai perdu presque tout contact avec les gens que j’aime et qui m’aiment. Lentement, il m’a fait perdre ma liberté, je n’avais même pas le droit de parole, où qu’on soit et avec qui. Comme je t’ai dit, tout s’est fait lentement, et c’était de pire en pire. Chaque jour, il était violent avec moi et il l’a été de toutes les façons possibles. Maman, je confondais survie et amour, et c’est ce que j’ai fait : survivre. Je continuais à prendre de la drogue, toujours plus, toujours plus forte, je continuais de me mutiler, toujours plus, toujours plus profondément. Jusqu’à ce que…

Publicité

Un bout de ciel bleu

Jusqu’à ce qu’il aille en prison. J’ai décidé de me trouver un emploi. J’en ai obtenu un dans une menuiserie. Et tu sais quoi, maman? J’étais la seule fille de l’usine! Mes collègues et patrons étaient des amours, j’étais traitée comme une princesse! Même si mon bourreau était derrière les barreaux, il réussissait assez bien à me contrôler, mais j’ai réussi à parler un peu plus avec ma tante Vicky, qui a toujours été là pour moi. Sans me juger, elle m’amenait à me poser des questions, les bonnes questions, elle savait que ce que je vivais avec cette personne n’était pas normale, mais moi, je ne le voyais pas encore. Pendant son incarcération, j’ai même arrêté de consommer. Et de pouvoir parler avec des gens sans peur de me faire reprocher quoique ce soit m’a amenée à douter. Tu sais, maman, c’est terrible de douter d’absolument tout. Je crois que c’est à cette période que j’ai abandonné l’idée de me suicider. Je voulais même un bel avenir, une belle vie.

Publicité

Mais le bout de ciel bleu que j’entrevoyais s’est obscurci de nouveau quand il est sorti de prison. J’ai recommencé à consommer, la seule différence cette fois, c’est que je voulais vivre. J’ai eu le temps de comprendre que j’étais capable de me débrouiller sans lui, même s’il voulait constamment me faire croire le contraire. Et je continuais de douter, toujours plus.

J’ai choisi de me battre pour ma vie, je devais sauver ma peau.

J’avais aussi compris que si je voulais parler et me confier à quelqu’un, je devais le faire en cachette. Donc je profitais des quelques minutes que j’avais pour me rendre ou revenir du travail pour appeler Vicky, qui m’a finalement aidée à m’ouvrir les yeux: la personne avec qui je partageais ma vie me menait en bateau depuis des années et me manipulait de toutes les façons possibles.

Maman, je crois que je n’avais jamais voulu le voir, mais je devais me rendre à l’évidence. À partir de ce moment, je crois que je me suis mise à appeler Vicky deux à trois fois par jour, toujours en cachette, car je me disais que je méritais une belle vie, que je voulais m’en sortir. Ha! Et maman, j’étais tellement épuisée, physiquement, mentalement, moralement, et émotionnellement… et j’étais tellement maigre, c’était horrible! Je n’arrivais plus à suivre, je savais que je ne pourrais pas continuer comme ça bien longtemps. Et un choix s’est offert à moi : me résigner ou me battre. J’ai choisi de me battre pour ma vie, je devais sauver ma peau.

Publicité

les anges

Je ne savais pas comment faire ni à qui demander de l’aide pour m’en sortir, car oui, maman, j’avais besoin d’aide. J’étais tellement épuisée, et je savais que ce combat pour ma vie m’épuiserait encore, je devais fournir quelques efforts encore et je serais enfin libre. J’ai donc dit à ma tante que je pourrais aller voir mon patron et elle m’a encouragée à le faire. Je suis donc allée le voir et lui ai expliqué ma situation : « aide-moi, car je ne sais pas comment m’en sortir ». Grâce à lui, j’ai été mise en contact avec un centre pour femmes violentées, et j’ai eu un suivi avec une des intervenantes.

Publicité

De vrais anges, ces femmes. Il m’arrivait aussi de les appeler le soir ou même la nuit quand j’avais besoin de parler et que Vicky dormait. Elles m’ont aidé à renouer les liens avec la réalité. Peu à peu, je voyais tout ce qui clochait dans cette relation malsaine et surtout toxique. Finalement, j’ai réussi à le quitter, à le foutre à la porte de chez moi et à arrêter de consommer pour de bon. Enfin, les nuages et la pluie laissaient leur place au ciel bleu et au soleil. Je me sentais vivante à nouveau. J’ai quitté mon emploi et mis la maison en vente, je devais commencer une nouvelle vie, une vie pleine de possibilités.

Aujourd’hui, je suis fière de te dire que je suis heureuse, que j’ai des projets et que je veux foncer dans la vie.

Maman, sache que Vicky a été là pour moi, tellement. Je sais que tu en es contente, car j’avais quelqu’un pour me donner tout l’amour qui allait me sauver. Elle a été ma bouée de sauvetage quand je pensais que tout était perdu d’avance. Je sais aussi que ça ne te dérange pas que je dise qu’elle est ma deuxième mère, car tu sais que notre lien est incroyablement fort.

Publicité

Maman, je suis désolée d’avoir tourmenté ton repos. Ta perte a changé ma vie du tout au tout. Je ne pensais pas faire un si long voyage, mais quand je regarde tout ce chemin parcouru, je suis immensément fière de moi, et je sais que tu l’es aussi.

Aujourd’hui, je suis fière de te dire que je suis heureuse, que j’ai des projets et que je veux foncer dans la vie. J’aurai appris que la vie est une montagne russe : il y a parfois des descentes, certaines pires que les autres, puis les montées, souvent difficiles, mais c’est en atteignant le sommet qu’on peut voir tout le chemin parcouru.

Et c’est pour ça que la vie est belle : on a toujours une bonne raison d’atteindre le prochain sommet.