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10 septembre 1995
Je travaille de chez moi ce matin, avant un tournage en après-midi. Je suis seul avec Yoda le chat qui m’a ramené deux oiseaux cette semaine.
En l’absence de témoin, la tentation est forte d’aller chiller au 21e siècle. Je résiste, grâce à ma prodigieuse force mentale. Dans ma boîte Hotmail, il y a autant d’action que dans un club échangiste depuis mars.
Il n’y a que Barbara qui me donne signe de vie à l’occasion, en me demandant de lui envoyer rush mon texte sur le centre-ville moribond.
Comme dit le proverbe : « Mieux vaut se faire pousser dans le cul par sa boss que rien pantoute.»
Ho! Que vois-je dans ma boîte courriel aussi!? Une invitation pour un karaoké clandestin chez mon ami Minets.
Mon premier vrai message social.
Dans l’après-midi je passe un coup de fil à mon ex-collègue Jasmine, pur produit de la cuvée 1995 justement. « Je t’ai écrit 2-3 fois sur Messenger, je pensais que tu me ghostais! », souligne-t-elle au sujet de mon silence radio.
Le téléphone ne sonne pas, personne ne se présente chez moi. Rien, niet. Est-ce que 99% de mes interactions sociales passent par Facebook ou Instagram?
À part Jasmine et un appel passé à mon grand frère, je réalise que ma vie sociale est bien terne sans les réseaux sociaux. Le téléphone ne sonne pas, personne ne se présente chez moi. Rien, niet. Est-ce que 99% de mes interactions sociales passent par Facebook ou Instagram?
Poser la question c’est malheureusement y répondre.
Je n’existe plus.
En soirée, mes parents (qui habitent au deuxième) viennent souper dans un lourd silence, puisque je ne peux pas utiliser mon haut-parleur bluetooth, Spotify ou QUB musique.
Écouter mon discman serait très impoli.
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11 septembre 2020
Je fais du ménage en écoutant The Return of the Jedi.
Jamais je n’avais remarqué le move de danse de Lando dans la scène finale.
Je vous recommande d’ailleurs de tout lâcher pour aller voir ça.
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J’ai lu des journaux papier relaxe avec mon café (pas instantané), en plus de finir mon roman et d’en commencer un autre.
Du temps libre, en veux-tu en v’là.
Tant qu’à vivre dans le passé, je m’offre une petite escapade chez mon ami Ben à Saint-Augustin, la ville voisine du Saint-Eustache de mon enfance. Je traîne mes enfants puisque mon ami a… tenez-vous bien… huit attachants marmots.
Ce pèlerinage nostalgique ne serait évidemment rien sans un pit stop devant le marché aux puces et la maison qui m’a vu grandir.
Le terrain est très mal entretenu, mon père ferait une syncope, lui qui a remporté plusieurs fois le prestigieux concours « Maisons fleuries ».
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Le marché aux puces est – comme on s’attend de lui – figé dans les années 80, avec son kiosque de tarte maison sur le bord de l’entrée et ses imitations de vêtements griffés.
Les enfants adorent l’expérience. Moi aussi, ça m’aide à ne pas penser à Internet.
L’endroit est un safe space contre le 21e siècle.
Belle soirée en compagnie de deux vieux chums du secondaire, à se remémorer des souvenirs de l’époque où j’avais une pagette dans les poches.
Après une consommation abusive d’alcool et de Stone Temple Pilot, je m’endors aux petites heures.
12 septembre 1995
L’expérience achève. J’ai hâte de me rebrancher. J’ai hâte de voir ce que j’ai raté, qui m’a écrit. Je constate néanmoins que ça a passé vite, que j’ai survécu. Il est donc possible de vivre une vie normale avec un pas de recul des technologies conçues pour nous faciliter les choses. Faut juste se forcer un peu plus.
Je retourne à la maison en écoutant un CD de l’Album du peuple. Mes enfants se tapent sur les cuisses, même si plusieurs blagues crient 1995.
« Je me sens jugée sur mon apparence»
« Eh boy, je te juge pas sur ton apparence, sinon tu pognerais une sentence à vie. »
Si Internet a une seule raison d’être, c’est de proposer une alternative au Skip-Bo.
Mes beaux-parents sont en visite. Impossible de m’enfermer quelque part avec mon cellulaire pour leur échapper, je souffre une partie de Skip-Bo.
Si Internet a une seule raison d’être, c’est de proposer une alternative au Skip-Bo. Je perds. Le paquet était mal brassé.
Les enfants retournent ensuite à leurs vies virtuelles, tandis que j’égraine les dernières miettes de mon expérience en complétant ce journal.
Quand je suis finalement retourné en 2020 un peu avant minuit, un dur constat s’impose. Je n’ai absolument rien manqué. Rien.
Rien sauf un appel vidéo raté d’Anne à 1h43 du matin la veille, plusieurs messages de condoléances pour la mort des karaokés, une invitation à luncher de Michèle et une demande de contact de Nicholas.
Le vide sidéral dans mes courriels aussi.
La première chose que je vois en ouvrant mon Facebook, c’est un statut de Lagacé dénonçant/exposant un message violent reçu en privé.
Ça me déprime.
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Même constat sur Instagram. Les stories où les gens font semblant de porter le choixpeau d’Harry Potter pour déterminer à quelle maison ils appartiendraient sont tristes comme quelqu’un de mon âge sur Tik Tok.
Une morale à cette histoire? Est-ce que je tire quelque chose de bénéfique de cette expérience?
J’aimerais dire oui, mais le naturel risque de revenir au galop. Je me connais trop bien. J’ai déjà recommencé à flâner sur les réseaux sociaux.
Je n’ai toujours pas publié de statut par contre, réalisant que j’en faisais trop en me mettant une pression d’être drôle pour avoir des likes.
J’espère continuer à lire aussi, même si je suis allé me taper la version originale de Blade Runner sur Netflix quelques minutes après être sorti de ma machine à voyager dans le temps.
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Réduire drastiquement mon temps d’écran (de 80% selon mon cell) m’a toutefois aidé à garder le focus sur ma job (mes articles étaient moins complets cependant, loin des recherches Google pour mettre plus de chair après l’os), à me coucher plus tôt (et mieux dormir) et à être moins amorphe même.
Réduire drastiquement mon temps d’écran m’a toutefois aidé à garder le focus sur ma job, à me coucher plus tôt et à être moins amorphe même.
Un régime que je recommande à tous, lorsqu’on sait que le temps d’écran a augmenté drastiquement depuis le début de la pandémie. Selon une enquête réalisée par Statistique Canada entre le 29 mars et le 3 avril ( relayée par l’Institut de la santé publique du Québec) , les trois quarts des Canadiens de 15 à 49 ans passent plus de temps sur Internet. Le télétravail et la fermeture des écoles a évidemment contribué à cet engouement pour les écrans. En Chine, une autre étude récente menée auprès d’adolescents fait état d’augmentation de 610 à 2340 minutes de temps d’écran global par semaine, soit une hausse d’environ 30 heures. Bon ok la Chine avait déjà un fichu problème, forçant d’ailleurs l’instauration d’un « couvre-feu » pour les jeunes. Chez nous, une étude semblable auprès de nos ados sur leurs activités pandémiques place les jeux vidéo, la télé et les réseaux sociaux très loin devant marcher, lire ou dessiner.
Tout ça pour dire que je vous souhaite à tous un break technologique de temps à autre, juste pour nous rappeler qu’il y a une vie en dehors des chicanes de masque et des photos de sorties de pommes.
Une vie qui passe plus lentement.