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J’ai manifesté avec les gilets jaunes : petit essai sur la violence
Bonjour, je m’appelle Lydia Képinski et ma vocation principale est de faire de la musique. C’est cette vocation qui m’a conduit à Paris le 2 décembre dernier afin d’y présenter mon spectacle et de rencontrer des gens. J’y étais avec ma gérante Noémie, mon groupe et Adrian, mon vidéaste si je puis dire, qui travaille avec moi sur un projet de documentaire.
Bien sûr j’étais au courant du mouvement des gilets jaunes, c’est cependant à force de discussions avec quelques commerçants, beaucoup de Parisiens, chaque Uber driver, que j’ai réellement pu constater la profondeur de ce soulèvement. Quand nous avons su qu’il y avait un appel à la manifestation samedi dernier, moi et Adrian avons décidé d’écourter notre séjour à Rennes où nous devions rester quelques jours, pour revenir sur Paris expressément pour vivre ce moment historique.
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L’équipement acheté… puis abandonné
Première chose, on est allé au Decathlon s’acheter du gear de protection. On a fait les manifs du Printemps Érable, on sait exactement ce que ça goûte le poivre. On hésite longtemps devant les lunettes de ski, finalement on opte pour les lunettes de piscine, deux cagoules, paires de gants avec les doigts choppés. Gilet jaune starter pack sans le gilet jaune. On paye sous le regard anéanti du commis qui n’a jamais vu autant de gens prétendre faire un sport aquatique ou hivernal que depuis un mois et dont les stocks sont épuisés.
On a fait les manifs du Printemps Érable, on sait exactement ce que ça goûte le poivre. On hésite longtemps devant les lunettes de ski, finalement on opte pour les lunettes de piscine, deux cagoules, paires de gants avec les doigts choppés. Gilet jaune starter pack sans le gilet jaune.
Le lendemain, en dépit d’une certaine fatigue accumulée nous nous levâmes avec précipitation et non sans cette légère angoisse qui précède toute aventure plus ou moins dangereuse. C’est armé de notre courage, d’une caméra à 10 K$, d’une solide insouciance et d’un sifflet que nous descendîmes dans la rue appuyer les gilets jaunes et documenter la manifestation dans le cadre de notre projet (vous pourrez nous traiter d’opportunistes plus tard, finissez au moins le texte).
Arrivés dans le périmètre de l’Arc de triomphe où avait lieu le premier rassemblement, des CRS (compagnies républicaines de sécurité dont le mandat est de préserver l’ordre public et la sécurité des citoyens) nous accueillent avec infinie politesse et nous demandent respectueusement d’ouvrir nos sacs pour un petit check-up. J’aurais dû m’en douter — ils saisissent nos lunettes de piscine garantissant qu’il n’y avait nulle part où se baigner près de l’Arc de triomphe.
Leur argument : les casseurs ont toujours des lunettes de protection.
Notre argument : des manifestants pacifiques ont perdu des yeux à cause des flash-balls (fusil à projectiles en plastique interdit dans le reste de l’Europe)
(à noter également que l’utilisation des gaz lacrymogènes est strictement interdite depuis 1993 dans le contexte d’une guerre entre pays, barbarie pourtant tout à fait permise dans un contexte de « maintient » de l’ordre civil).
Eux : on peut pas vous laisser entrer avec ça.
Nous : d’accord.
Fin de l’argumentaire, aucun commentaire sur la caméra.
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2012 exposant 10
Nous pénétrons le périmètre où les manifestants y sont parsemés, pour ne pas dire clairsemé. Puis nous parvenons à trouver l’essentiel de la manif qui ressemble plus à un terrain de guerre civile qu’à un rassemblement de protestation. Déjà les CRS démantibulent toute forme d’agglomération en lançant des projectiles lacrymogènes, à grand renfort de bombes assourdissantes et en piquant des courses matraqueuses en direction des gilets jaunes un peu moins organisés. Les plus expérimentés portent casque, lunettes, basket de course et masque à gaz. Je me sens comme en 2012. Sauf exposant 10.
Je vois un homme mettre le feu à un sac rempli de combustibles. Un groupuscule détruire une camionnette et la pousser entre eux et une ligne de CRS.
Je vois un homme mettre le feu à un sac rempli de combustibles. Un groupuscule détruire une camionnette et la pousser entre eux et une ligne de CRS. Vu des gens faire des brèches dans les trottoirs pour en extraire les pavés et crier : « Pavés! Prenez les pavés, c’est gratuit! Y’en a pour tout le monde! » dans une allégresse complètement antinomique à la terreur qui régnait à ce moment-là sur les Champs Élysées.
Et c’est à ce moment que j’ai compris. Qu’à travers cette désorganisation et ce voile de violence, derrière cet aspect de fauteur de trouble se trouvait un peuple courageux dont la colère était telle qu’elle justifiait de mettre en jeu son intégrité physique. Des vitres éclataient près de nous dans une joie entremêlée d’effroi, peur à la fois des CRS à la fois des manifestants imprévisibles. Un homme à côté de nous a reçu un pavé dans le cou, lancé par un manifestant qui avait visiblement échoué à son cours de baseball. L’homme s’est relevé, a râlé et a poursuivi sa protestation dans son calme violent.
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Détruire pour renaître
C’est là que j’ai compris, à travers les éclats de vitres brisées, qu’ici cette violence collective était constructive. Que ces destructions étaient constructives.
Ces violences ont un sens et les cibles sont des symboles dans cette révolte résolument économique et fiscale.
Connaissez-vous les propriétés du magma? Le magma géologique, c’est de la roche en fusion, c’est la lave qui provient d’une éruption volcanique et qui détruit à peu près toute forme de vie sur son passage. En échange, la coulée de magma procure au sol une quantité énorme de nutriments qui, par un procédé d’argilisation et grâce à la dissémination des cendres volcaniques, rend à la terre une fertilité nouvelle.
Oui des petits commerces ont été attaqués. Comme des manifestants ont été accidentellement atteints par d’autres manifestants. Mais l’essentiel des vitrines fracassées que j’ai vues appartenait à des entreprises mondialistes comme Starbucks et à des banques comme la BNP Paribas. Ces violences ont un sens et les cibles sont des symboles dans cette révolte résolument économique et fiscale contre les dérives d’une mondialisation et d’un capitalisme qui, acoquinés aux gouvernements, mettent en scène une pièce sordide et sans issues pour la classe moyenne.
C’est ça pour moi la vraie violence. C’est, par exemple, refiler la facture énergétique au citoyen comme dans le cas de la taxe carbone. ÇA c’est violent.
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Une violence étouffée
En 2012 les médias tentaient de décrédibiliser le Printemps Érable en pointant du doigt les casseurs. On exigeait de GND qu’il condamne la violence et paye son loyer. Ce discours se retrouve également dans les médias français, mais sur le terrain, on est à même de constater qu’ici la violence est absolument décomplexée.
Nous sommes dans un pays qui a vu la Révolution française où un soulèvement populaire violent fut à la fois victorieux et décrété comme moralement acceptable. Nous sommes dans un pays où des évènements historiques comme la résistance française sous l’occupation et mai 68 ont légitimé un soulèvement violent, où on a même canonisé cette violence comme la mise en action d’une pensée politique.
Au Québec, nos exemples d’actes violents liés à une révolte ou un mouvement politique se sont majoritairement conclut en prison, à l’asile ou dans la tombe.
Au Québec, nos exemples d’actes violents liés à une révolte ou un mouvement politique se sont majoritairement conclut en prison, à l’asile ou dans la tombe. La rébellion des patriotes, la révolte des canadiens-français de 1917-1918 contre la conscription, la révolte contre la seconde conscription de 1942, le Front de libération du Québec, des actes de soulèvement, voir d’insurrection, basés sur des motifs politiques louables d’un point de vue anti-impérialiste/colonialiste qui se sont soldés par des échecs.
100 euros ou les pavés?
Entre une chose cassée et une chose indemne, qui choisirait la chose cassée? Qui veut voir son intégrité matérielle et physique menacée? Qui désire vivre dans la peur et l’inquiétude politique? Personne. Et c’est ce qu’exploite certains médias et le discours venimeux d’Emmanuel Macron qui pense acheter la paix en donnant 100 euros de plus à chaque Français.
Si jamais l’occasion se représente au Québec de prendre la rue pour dénoncer un système économique ou un contexte politique qui nous est nuisible, je ne serai certes pas la première à lancer des pavés — principalement parce que je n’ai jamais été dans une équipe de baseball et que les pavés sont disponibles en quantité trop limitée à Montréal.
Je ne fais qu’observer.
Observer une France décomplexée quant à l’expression violente de ses idées et joyeuse d’un mouvement qui bénéficie de 80 % de l’appui de ses citoyens.
FYI: les principales revendications des gilets jaunes:
-Annulation de la taxe sur le carbone
-Destitution d’Emmanuel Macron
-Augmentation du SMIC (salaire minimum)
-Meilleure gestion des retraites
-Référendum sur le rétablissement de l’ISF (l’impôt de solidarité sur la fortune)
-Création d’une assemblée citoyenne qui prenne part aux discussions à l’assemblée nationale
-Prise en charge du dossier de l’évasion fiscale des multinationales
Allez voir les stories de Lydia Képinski à la manifestation de samedi dernier sur Instagram @lydiakepi.
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