.jpg)
J’ai lu le livre de Sophie Grégoire Trudeau et j’en suis sorti vivant
J’ai voté deux fois pour Justin Trudeau.
La deuxième était une erreur de jugement, mais mon suffrage serait tombé du même côté de l’alliance Libéral-NPD, de toute façon. Justin et moi partageons les mêmes valeurs à quelques détails près, mais on est en désaccord profond sur les méthodes de travail. Par exemple, porter le costume traditionnel d’une autre culture, c’est un beau geste symbolique inclusif, mais ça ne règle aucun problème d’inclusion.
Je prends le temps de vous expliquer ça en préambule pour vous démontrer que je ne suis pas un anti-Trudeau. Ma lecture du livre de Sophie Grégoire Trudeau Entre nous : mieux se connaître, mieux s’aimer n’est en aucun cas faussée par un biais politique dont elle n’est pas responsable.
C’était à la fois surprenant et parfaitement prévisible que l’ex-Première dame publie un ouvrage sur la santé mentale. Surprenant parce qu’elle n’est pas une autorité en la matière. Prévisible parce qu’elle s’inscrit dans une longue lignée de modèles féminins faisant la promotion du mieux-être : Oprah Winfrey, Martha Stewart, Gwyneth Paltrow et Michelle Obama, une autre ex-Première dame (dont on garde un bon souvenir). La rédaction d’un ouvrage de croissance personnelle semble désormais un passage obligé dans l’alignement d’une image publique forte.
À la lecture d’Entre nous, il n’y avait aucun doute pour moi que Sophie Grégoire Trudeau revendiquait haut et fort sa place au panthéon exalté des icônes de la bienveillance. Cette revendication est faite à l’image du gouvernement de son ex-mari. Avec beaucoup de fanfare et de bonnes intentions, mais très peu de révolutions.
Pavée de bonnes intentions
L’affaire, avec le développement personnel, c’est qu’un ouvrage de ce genre doit essentiellement répondre à une question : pourquoi est-ce que je suis déprimé? Pourquoi suis-je anxieux sans avoir de raison de l’être? Pourquoi je prends toujours des décisions de marde? Comme vous pouvez le constater, je suis un touriste dans le monde du développement personnel depuis plusieurs années.
Entre nous n’offre pas de réponse à une question précise, mais plutôt le panorama d’une bonne hygiène de vie et, en parallèle, d’une bonne santé mentale. La question à laquelle l’ouvrage répond, c’est : comment avoir une bonne santé mentale? Un peu large, mais quand même pertinente.
Sophie Grégoire Trudeau mène des entrevues avec une panoplie d’experts (et de pseudo-experts) en santé mentale afin d’explorer une liste de concepts qui, selon elle, sont à la base d’une psyché saine. On parle ici de gens réputés dans leurs domaines, comme Gabor Maté, Terry Real, Allan Schorre et Gordon Neufeld. Grégoire discute aussi avec des gens dont l’autorité est plus relative, comme une prof de yoga et l’auteur de Les hommes viennent de Mars, les femmes viennent de Vénus.
Je ne mets pas en doute les propos véhiculés dans les segments d’entrevue. C’est de l’information valide, utile et disponible un peu partout et souvent dans des ouvrages plus complets, mais ici, le format se veut plus démocratique et efficace.
Par contre, je me questionne sérieusement à savoir si quelqu’un voulant améliorer sa santé mentale lirait un ouvrage de Sophie Grégoire Trudeau? Ouvrage où on trouve beaucoup (trop) d’elle-même, de sa propre histoire et des leçons tirées d’une adversité extrêmement relative.
L’idée de s’affirmer comme modèle d’équilibre de vie est à la fois un tantinet narcissique et déconnectée d’un million de réalités auxquelles elle n’a jamais vraiment eu à faire face. Oui, elle parle bravement de son trouble alimentaire, mais elle utilise également cette épreuve pour asseoir sa crédibilité sur la question et la santé mentale, ça ne fonctionne pas comme ça.
Parce qu’on est tous à la merci de facteurs extérieurs fragilisants et l’accès à des soins et des ressources pour tout le monde doit primer sur une hygiène de vie personnelle responsabilisante. On ne souffre pas de problèmes de santé mentale parce qu’on ne prend pas soin de nous et prendre soin de nous ne prévient pas les crises. On souffre soit génétiquement, soit parce que le destin nous frappe.
Contrôler son nerf vague et mettre en marche son système nerveux parasympathique avec le yoga, c’est une chose. Mais c’est une autre paire de manches de s’autoréguler un 15 mai, quand on a trois enfants et un propriétaire qui reprend notre logement le 1er juillet. L’exercice est sans l’ombre d’un doute né de bonnes intentions, mais vouloir donner au peuple une marche à suivre intégrée pour une santé mentale équilibrée est un exercice prisonnier d’un éternel cadre théorique.
Sans vouloir diminuer les souffrances qu’un trouble alimentaire a fait vivre à Sophie Grégoire Trudeau, c’est aussi un peu insultant pour tous ceux et celles qui livrent aujourd’hui une bataille qu’ils et elles ne pourront pas gagner sans y laisser de morceaux. Les problèmes de santé mentale ne se soignent pas tous en amont. La principale intéressée s’en est bien sortie parce qu’elle est bien entourée et possède un accès privilégié à une foule de ressources que le commun des mortels ne possède pas.
Ne vous méprenez pas, c’est super qu’elle s’implique auprès d’une cause aussi importante. Par contre, elle aurait pu élever une voix autre que la sienne.
Sophie vue par Sophie
Ça nous mène à l’élément biographique d’Entre nous où Sophie Grégoire Trudeau raconte… eh bien, sa vie au grand complet. Je ne vous niaise pas.
On part de sa naissance pour se rendre jusqu’à la femme publique qu’on connaît aujourd’hui avec une série de commentaires éditoriaux plus mystifiants les uns que les autres. Une phrase comme : « la guerrière et l’amoureuse en moi savent que prendre des risques et cultiver le respect de soi est un acte rebelle, espiègle et aimant », est tellement bourrée de qualificatifs imprécis et de déclarations banales qu’elle veut à la fois tout et rien dire.
En quoi est-ce espiègle de prendre des risques ou de s’aimer soi-même? Aucune idée.
Bien sûr, Entre nous est une traduction, alors Closer Together : Knowing Ourselves, Loving Each Other et ce type de phrases foisonnantes d’adjectifs a probablement été un cauchemar à adapter dans la langue de Molière. Des phrases qui témoignent quand même chez Grégoire d’un désir d’être vue et appréciée en ses propres termes qui, aussi légitime soit-il, domine complètement l’ouvrage.
Une autobiographie plus conventionnelle aurait été beaucoup moins compliquée et plus honnête pour que Sophie Grégoire Trudeau puisse arriver à ses fins.
On se serait aussi épargné des platitudes maladroites comme : « Tous les êtres humains fonctionnent mieux biologiquement après un repos adéquat » ou « Êtes-vous prêts à vous lier d’amitié avec votre propre système nerveux? »
Au final, Entre nous n’est pas un ouvrage malveillant pour deux sous, mais c’est juste trop. Trop de conseils sur trop de sujets qui sont souvent trop poussés pour l’audience visée. Une vie racontée avec trop de détails inutiles. Passer d’un exposé sur le système nerveux parasympathique au récit des aventures de la jeune Sophie à l’école primaire ou sur le marché du travail, n’importe qui s’y perdrait.
À 40$, c’est beaucoup trop cher pour de l’information disponible en ligne à propos de la santé mentale.
Oui, elle est livrée par des scientifiques connus (et Sophie Grégoire Trudeau), mais la prolifération de sujets fait en sorte qu’on s’attarde à chacun de manière trop superficielle. La démarche est honnête, mais beaucoup trop personnelle pour résonner chez des profils différents.
« Je me demande ce que Sophie Grégoire Trudeau aurait comme conseils pour m’aider avec ma dépression? » est une phrase qui ne sera probablement jamais prononcée ailleurs qu’ici. Il y a d’innombrables façons d’aider, autres que de se donner en exemple.