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J’ai fêté la nouvelle année chez la droite musicale

Y a-t-il vraiment deux camps dans l'industrie musicale?

Par
Marc-Etienne Mongrain
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Dans mon petit monde à moi, celui qui s’articule autour de la scène musicale québécoise, l’année 2018 en aura été une de divisions profondes. On peut remercier Mario Pelchat de les avoir étalées au grand jour. C’est l’éternel combat entre l’art et le divertissement. Comment faire pour essayer d’atténuer le clivage? Aller passer le réveillon du jour de l’an avec 2Frères et leurs amis à la Place Bell de Laval, of course! Paul Piché, David Jalbert, Olivier Martineau, Les Denis Drolet, Marc Dupré, Guylaine Tanguay, AMÉ et Laurence Jalbert se joignaient pour l’occasion à Érik et Sonny Caouette. Je les ai rencontrés à tour de rôle pour discuter de tout ça.

Les concepts de gauche et de droite musicale.

Si l’industrie musicale est un petit milieu, il y existe, comme dans le reste de la société, une scission entre la gauche et la droite. Dans cette industrie, on utilise le terme « à gauche » pour désigner un certain genre d’artistes chez lesquels on met l’accent sur la recherche artistique et un certain goût du risque. C’est Brach, Nolin, Hunt ou Fortin. « La droite » elle, donne plus dans la variété et la conformité. C’est Ciccone, Kaïn, Marie-Mai ou Yoan.

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Les deux gangs n’ont pas besoin d’algorithmes pour se créer une chambre d’écho. Ça se fait naturellement. Ils sont programmés sur des festivals différents, ils ont leurs labels, leurs gérants et leur public. Un producteur dira par exemple d’un produit musical qu’il doit être « marketé » plus à gauche ou plus à droite. Ça fait bientôt huit ans que je photographie la gauche sans presque jamais croiser la droite.

Se crosser à la radio

Me voilà donc en terres lavalloises. Après avoir trouvé mon chemin dans les corridors de l’amphithéâtre j’arrive pendant le test de son de Paul Piché. Ils sont rendus à Y a pas grand chose dans l’ciel à soir. Ça fait depuis 1977 que le protagoniste est ben écœuré de se masturber.

L’histoire ne dit pas s’il le fait avec un trophée par contre.

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« Les radios étaient frileuses au départ et ne voulaient pas jouer la chanson », dit Piché. Quelques années avant, Charlebois avait fait accepter les sacres sur les ondes. Ça aura pris Paul pour qu’on y parle de se crosser. C’est pas rien. Je le remercie. Il se rappelle que dans les années ‘70 et ’80 ça ne se mélangeait pas beaucoup non plus. Il fait allusion à Michel Louvain qui animait une émission de variétés et qui lui, laissait la place à tous les genres d’artistes, un peu comme le fait Belle et Bum maintenant. C’est ironique que le « Roi des quétaines » jouait jadis le rôle de rassembleur.

Rire ensemble

En arrière de la scène, Les Denis Drolet attendent leur tour. Ce sont les seuls que je connais un peu. Ils ont fait un numéro avec 2Frères à Québec l’an dernier. Ils leur en devaient une. Je leur explique ce je fais là. Est-ce que la même division existe dans leur milieu? Non. Le format des galas d’humour fait en sorte que tout le monde se mélange et se connaît. On peut varier le contenu des gros shows d’humour beaucoup plus facilement que celui des spectacles musicaux. Ce qui fait que, par la force des choses, les Grandes Gueules et les Denis, ça prend des bières ensemble même si leurs jokes n’ont pas grand-chose en commun. On reconnait que tous font la même job et ça a tendance à atténuer les catégorisations.

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Une certaine conception du centre

Pour Marc Dupré les divisions n’existent pas. Ou alors, sa place à lui se trouve au milieu du diagramme de Venn de l’industrie. Celui qui a commencé sa carrière comme humoriste et imitateur trouve cependant qu’une « certaine » gauche peine à croire qu’en musique pop, on puisse créer ses propres chansons à la manière d’un songwriter.

Il m’explique que son processus de création est le même que tous les autres. Il s’assoit avec une guitare et bûche sur ses tounes d’abord seul et plus tard avec ses collaborateurs. « Regarde, moi je suis un artiste pop. J’aime la musique populaire, mais je la fabrique comme tous les autres, à la main. » Il me raconte comment, lorsqu’il a fait la transition de l’humour à la chanson : il a demandé à René Angelil de lui refiler les tounes que Garou et Céline refusaient. C’est Angelil qui lui a conseillé de les écrire lui-même. Dupré est fier d’être un artisan de la chanson. On se rappellera qu’il est responsable de vingt-cinq Numéros 1. VINGT-CINQ!

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La troisième voie

Guylaine Tanguay est débarquée avec toute sa fougue dans le paysage musical il y a seulement quelques années. La chanteuse de 46 ans roule cependant sa bosse et gagne sa vie en chantant depuis des décennies. Elle a le parcours typique de la diva country américaine. Elle chantait avec sa mère et son oncle dans les bars dès l’âge de sept ans et n’a jamais arrêté depuis, comme dans un film. Elle a toujours regardé le milieu de l’extérieur. Quand tu fais du country, t’es ni dans une gang ni dans l’autre. Tu fais partie d’un circuit parallèle.

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Quand on a finalement reconnu son talent, il y a environ deux ans, elle a été surprise de voir qu’une division existait. Et c’est quoi sa perception des deux gangs? À gauche, on fait de l’art sans compromis, quitte à déplaire. À droite, on fait de l’art pour plaire et divertir. Et ce soir, c’est quoi Mme Tanguay? C’est du divertissement. Celle qui a été prise bien malgré elle dans le tourbillon ADISQ/Pelgag/Lenoir vs Pelchat prend bien le temps de me dire que pour elle, tous les gens qui œuvrent dans le milieu se ressemblent et que la division est d’abord dans la tête. C’est une question de perception. Celle des autres, mais aussi celle que chacun a de soi-même. Elle a été estomaquée par les commentaires acerbes envers Klô de la part de ses fans dans les jours qui ont suivi la sortie de Mario Pelchat. « On dirait que les gens attendent juste ça, d’être fâchés ». Elle me dit que Pelchat lui envoyait des captures d’écran des gens qui l’insultaient ses prêtres et lui sur Facebook. Elle lui a conseillé de ne pas s’attarder à ça. Ayant un tempérament bouillant, il a tendance à un peu perdre les pédales et en mettre plus que le client en demande.

Et si le problème était à gauche?

Pendant que sur la scène on se demande qui va faire les « La La La » sur Mon Joe, AMÉ m’explique qu’elle a un rôle bien particulier dans l’écosystème. Elle a un projet électro-pop un peu plus à gauche, mais c’est aussi elle qui a écrit Léo Gagné avec 2Frères et Ton départ avec Marc Dupré. Deux gros hits.

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Elle est bien au fait de la division et elle sent que le snobisme vient peut-être un peu plus de la gauche. On se méfie de ce qui a trop de succès. On est moins artiste quand on pogne. La musique populaire ne fait rien pour faire avancer la musique et ça, c’est mal. Comment on s’adapte au format folk-pop-radio AMÉ? « On apprend à connaître les interprètes et on les écoute. Comme dans la vraie vie-là! » Elle me parle de son expérience dans les camps de création de la SOCAN qui ont pour but de provoquer des rencontres entre les créateurs et de comment c’est bénéfique pour tout le monde.

La musique de feu de camp

Le prochain que je croise c’est David Jalbert. Je connais son visage, mais je ne pourrais pas nommer une seule de ses chansons. J’ai l’impression qu’il existe seulement à la radio. Est-ce un préjugé d’un gars de la gauche? Non. C’est vrai. Il a arrêté de faire des spectacles depuis longtemps.

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Le mode de vie de la tournée l’éloignait trop longtemps de ses trois enfants qui d’ailleurs l’accompagnent ce soir. « Si t’écoutes pas la radio et que t’as pas de télévision, tu ne tomberas jamais sur moi », me dit-il. Lui aussi, tout comme Dupré, se sent plus au milieu que penchant d’un côté ou de l’autre. Il m’en nomme d’autres qui, selon lui, représentent un genre de centre : Patrice Michaud, Karim Ouellet et Vincent Vallières. « Dans le fond, du Vallières, c’est du Kaïn avec des meilleures tones », m’explique-t-il. Est-ce que ça pourrait être encore une histoire de Montréal vs les régions? « Peut-être! Nous autres, on fait de la musique de bord de feu pour nos chums, pas de la musique post-punk dans un bar du Mile-End. Au final c’est pour ça qu’on rejoint les gens. » S’il s’est essayé à faire un disque moins « premier degré », il le renie presque aujourd’hui.

Et les radios commerciales?

Je réussis à accrocher Érik Caouette environ une heure avant le spectacle. La salle configurée pour 3000 spectateurs commence à se remplir. C’est la première fois que son frère, leur équipe et lui organisent un événement de si grande envergure. C’est une prise de risque en soi. Le plus jeune des deux frangins a arrêté de fumer il y a quelques mois, mais ce soir, sa fébrilité est palpable et il tire de grandes bouffées de sa cigarette électronique. Quand il croise « les autres » sur la route, il ne ressent pas de malaise. Les rencontres sont sympathiques et certaines ont même débouché sur des soirées mémorables.

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Il me parle de sa complicité avec Émile Bilodeau et de leur participation au stunt de Philippe Brach pour la promotion de son dernier disque. Au fil de la discussion à laquelle se mêle David Jalbert, on en vient au rôle que tiennent les radios dans tout ça. Est-ce possible qu’un artiste qui ne réussit jamais à placer ses chansons trouve que lorsque 2Frères jouent pour la trentième fois en une semaine, il y a un débalancement? Érik pense que oui et il sait bien que les chansons de son band entrent directement en rotation sans même qu’on se pose de questions. Après tout, ils ne sont que quatre ou cinq programmateurs à décider ce que la province écoute. Quand j’aborde le cas Pelchat, il se crispe un peu. On peut le comprendre. Disons qu’il s’en serait passé et qu’il ne veut en aucun cas participer à la controverse créée de toutes pièces par son producteur.

J’aime / J’aime pas. C’est tout.

Le spectacle va bon train. Ça chante les hits en cœur. Le public est composé de gens de tous âges. Il y a des têtes grises, des ados, des jeunes couples, il y a un peu de tout. Ça me fait penser aux foules dans les gros shows de la Saint-Jean. Pendant l’entracte, j’accroche au passage quelques spectateurs. Je leur demande qui sont leurs artistes préférés. Les réponses varient beaucoup. On me nomme 2Frères et Marc Dupré bien sûr, mais aussi Jean Leloup et surprise! : Klô Pelgag et Hubert Lenoir.

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Ce n’est certainement pas le public qui creuse des fossés entre les artistes. Il demande juste à aimer ou pas lui, pas à catégoriser.

Le succès n’est pas un gage de respect

Après le spectacle, Laurence Jalbert m’accorde quelques minutes. Elle a la sagesse de ceux qui ont traversé plusieurs époques. Elle me raconte son récent passage au gala de la SOCAN. Elle y était pour ramasser son 8e prix « Classique de la SOCAN » pour plus de 25 000 spins à la radio d’une de ses chansons.

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Au moment de monter sur scène et de remercier son équipe et ses collaborateurs, elle se rend compte que personne ne l’écoute et ne lui prête attention. « Je voudrais vous dire que vous êtes le public le plus désagréable que j’ai vu de ma vie. » La foule, composée uniquement de gens de l’industrie, s’est fermée la gueule quelques secondes et a recommencé à parler ensuite. Ce qui m’amène à me demander quel est le rôle de l’industrie dans cette division. Sert-elle à quelqu’un? Est-ce que de monter une chanteuse contre une autre ne sert qu’à nourrir l’ego et le besoin d’attention du chanteur de charme ou bien si ça sert aussi le producteur? Je n’ai pas la réponse, mais…

Construire des ponts

Toutes les discussions que j’ai eues ce soir-là se sont terminées de la même manière : la solution pour construire des ponts, c’est d’aller vers les autres et de se parler. C’est d’ailleurs la solution à tous les problèmes, me semble-t-il. Mettre de côté son ego et ses préjugés et aller à la rencontre de ce qu’on ne connait pas. Ça n’a pas été ma réaction première au lendemain de l’ADISQ. Le mépris, ça me met en beau fusil, mais je l’ai fait et je peux affirmer que je me suis au moins fait deux amis ce soir-là. Alors Mario, si tu lis ça, j’ai vérifié avec ma gang et t’es sur la guestlist permanente de l’Esco et du Quai des brumes. Viens nous voir, on mord pas nous autres! Après tout, tu connais la chanson : « Y a rien d’plus important qu’l’amour qui nous rassemble ».

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