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J’ai emmené mon grand-père au Centre PHI pour Sexe, désirs et data
URBANIA et le Centre PHI s’unissent pour vous faire vivre la nouvelle exposition immersive Sexe, désirs et data à travers les yeux de notre collègue Sara et de son grand-père François.
Quand on m’a demandé d’aller visiter la nouvelle exposition immersive du Centre PHI avec mon grand-père, j’ai accepté sans trop d’hésitation. Notre passion pour les sorties ensemble ne date pas d’hier : de la Ronde au zoo de Saint-Félicien en passant par des expositions sur la fondation de Rome et sur la carrière de Mirò, il n’y a pas de limite aux champs d’intérêt que nous avons en commun. Pas de limite, même pas celle-ci : Sexe, désirs et data porte sans surprise sur la complexité des relations amoureuses et de la sexualité aujourd’hui, les mettant en relation avec les avancées technologiques qui font évoluer leurs définitions.
C’est donc habitée d’une anticipation palpable que je marche vers notre lieu de rencontre. Après avoir attendu quelques minutes à l’extérieur du bâtiment, je me souviens que les grands-pères septuagénaires ont cette tendance à attendre à l’intérieur, libérés de la gêne d’avoir l’air d’être venus seuls. C’est en effet sur un banc devant le comptoir d’accueil que je retrouve le mien, coiffé d’un chapeau mou soigneusement choisi pour l’occasion. Dans ses yeux, je discerne la même anticipation curieuse qui m’habite et la lueur du regard de celui qui vient pour faire plaisir. Je suis chanceuse : mon grand-père est ouvert d’esprit et aime être déstabilisé dans ses convictions.
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Ça tombe bien, parce qu’on nous demande dès notre arrivée de nous créer un profil sur une plateforme de dating fictive afin de discuter avec Max, une intelligence artificielle non binaire qui nous accompagnera tout au long de notre visite. BraiseFidèle est le nom d’utilisateur généré automatiquement qui lui est attribué. Premier choc : ce n’est pas tous les jours, quand on a 75 ans, qu’on se fait surnommer « BraiseFidèle » devant sa petite-fille afin d’échanger avec une IA aux questions assez osées! « Je me demande ce que ta grand-mère aurait pensé de ça », dit-il en riant après que Max lui eut écrit un message que je n’ai pas le droit de regarder.
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Speed dating avec Algo Match
Quelques minutes de textos enflammés plus tard, on laisse Max de côté pour commencer la visite. La première installation, Algo Match, propose un speed dating au cours duquel on incarne Gab, une personne bisexuelle qui tente de trouver l’amour sur une plateforme virtuelle où les algorithmes calculent son pourcentage de compatibilité avec ses prétendant.e.s.
Avant d’aller à sa première date, Gab mentionne être rouillé. « Il peut pas être plus rouillé que moi », rétorque mon grand-père. On a le choix de continuer à échanger avec les matchs potentiels qui incarnent le vaste spectre des particularités sexuelles, de l’orientation aux préférences (pansexuelle, asexuelle, adepte de dirty talk, dominant au cœur tendre…), ou de passer au prochain profil.
On échange parfois des rires nerveux quand les références deviennent trop osées, mais on se plaît tous les deux à incarner ce personnage à la dating life bien remplie. Mon accompagnateur m’avoue ne pas comprendre comment il est possible d’apprendre à connaître quelqu’un en ne lui parlant que si peu de temps. Là-dessus, on est d’accord.
Results : ce que l’IA comprend de la pornographie
On poursuit notre visite en ne nous arrêtant que brièvement à Results, une salle où sont projetées des images pornographiques générées par une intelligence artificielle qui comprend le désir selon un regard dominant généralement masculin, blanc et hétérosexuel. Les formes suggestives, bien que clairement non humaines, ainsi que les sons rappellent ceux de vidéos explicites sans en être réellement. « En tout cas, la porno que j’ai vue, ça ressemble pas à ça », lance mon grand-père avant de sortir de la salle.
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Hello, ou la réalité trans sur les applications de rencontre
« Elle est belle », lance mon accompagnateur, admiratif, en apercevant la photo de Nana001, la protagoniste de l’exposition Hello, dont la photo est imprimée sur le rideau qui sépare les deux salles de l’installation. Sur les murs qui nous entourent, des écrans montrent des conversations sur une application de rencontre. Nana001 se fait dire qu’elle est jolie, qu’elle a l’air intéressante, et se fait lancer quelques répliques coquines au passage.
Mon grand-père lit le tout avec attention, mentionnant que c’est à peu près comme ça qu’il s’imaginait ce type d’applications. On discute de sa méfiance envers les conversations virtuelles : « Tu ne sais jamais vraiment à qui tu parles; moi, j’ai toujours trouvé ça inquiétant. »
Ce qui se cache de l’autre côté du rideau nous touche tous les deux : dans la salle sombre, une statue a perdu son bras en échappant son téléphone. Elle est entourée d’écrans qui montrent la suite des conversations amorcées dans la première salle, après que Nana001 eut révélé être une femme trans. Bien que cinq décennies nous séparent, mon grand-père et moi sommes unis dans un ébahissement douloureux face aux réponses lues, puisqu’il s’agit de réels messages reçus par l’artiste Ianna Book, la véritable Nana001.
Touchés par ce qu’on vient de voir, on prend le temps de s’asseoir en sortant de la salle. On en profite pour clavarder avec Max, que mon grand-père me dit vouloir déstabiliser, essayer de déjouer. « J’ai appris la semaine passée ce que ça veut dire, ghoster. C’est pas mal ça qu’ils font, les gens dans l’installation. C’est triste, se faire rejeter comme ça », me dit-il, en me demandant si je sais aussi ce que ça veut dire. Oui, grand-papa, et je l’ai même déjà fait…
Au deuxième étage : Vibrato, Confessional, Queering the Map
Alors qu’on pénètre (il fallait que je la fasse) dans la première salle du deuxième étage de l’exposition, l’immense structure rouge en tissu qui trône au centre de la pièce attire notre attention. C’est Vibrato, une installation qui réagit aux stimuli comme le feraient un clitoris et un anus, dans le but d’amorcer une réflexion chez le spectateur sur les codes du consentement et sur la notion de connexion à l’autre. On ne s’y attarde pas, mon grand-père se disant « désorienté par l’exposition » après sa lecture du panneau explicatif de l’œuvre interactive. Désorienté, non pas spatialement, mais dans la conception qu’il se faisait jusqu’à présent des univers du désir et de la sexualité.
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On continue notre parcours vers les stations de Confessional. Mon grand-père écoute un témoignage avant de m’expliquer le concept de l’absolution, moment qui me ramène une fois de plus au choc générationnel qui s’affiche comme thème de la journée. « J’ai tellement eu une sexualité conventionnelle et prévisible que je n’ai pas vraiment de confession à faire », m’avoue-t-il avant que l’on continue notre parcours vers Queering the Map. En voilà une confession pour moi!
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Dans cette dernière salle de l’exposition, on est face à plusieurs écrans qui présentent des cartes géographiques de toutes les régions du monde. Des témoignages liés à la découverte de la sexualité queer sont épinglés aux endroits correspondant aux moments marquants des gens qui les ont écrits. C’est l’œuvre qui nous unit le plus.
Mon grand-père me révèle que cette installation le touche particulièrement parce qu’elle l’aide à comprendre ce que peuvent avoir vécu deux personnes non binaires de notre famille. Il tisse des liens entre celle-ci et le rejet vécu dans l’exposition Hello, constatant tristement qu’il reste beaucoup de travail à faire.
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« L’expérience la plus étrange de ma vie »
Alors qu’on retrouve la clarté et qu’on s’éloigne de l’ambiance musicale prenante, mon grand-père m’avoue avoir vécu l’expérience la plus étrange de sa vie, mais pas dans le mauvais sens. La visite lui a surtout permis de jeter un regard nouveau sur sa sexualité, tellement « normale » face à ce qui est montré, qu’il décrit comme non conventionnel. « C’était désorientant physiquement et mentalement, mais ça m’a ouvert les yeux sur des réalités autres que la mienne », résume-t-il en sortant.
Si notre visite nous a plongés au cœur de sujets tabous entre nous, elle a surtout servi de moteur à nos conversations. Mon grand-père se dit perplexe face aux applications de rencontre, qu’il a de la difficulté à intégrer dans sa conception du monde. S’il souhaitait faire des rencontres amoureuses aujourd’hui, il ne saurait pas comment s’y prendre : « Je préférerais aborder quelqu’un dans la rue, par hasard : je ne chercherais pas activement. » Bien qu’il connaisse des gens de son âge qui ont trouvé l’amour une seconde fois sur ces plateformes, il préfère les rencontres fortuites, comme celle qu’il a eue avec ma grand-mère, lors d’un voyage d’affaires il y a plus de 50 ans.
Le chemin du retour est empreint d’un sentiment de connexion avec mon grand-père, qui a résumé son appréciation de la journée sur Facebook – comme quoi l’écart générationnel ne paraît pas que dans la familiarité avec la fluidité et la complexité des désirs à l’ère du numérique.
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Vous avez aussi envie de vivre l’expérience? Que ce soit avec vos ami.e.s ou vos grand-parents, c’est par ici pour vous procurez des billets.