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J’ai célébré les 150 ans du Canada sur un brise-glace rouge et blanc
Il y a 3 semaines encore, je m’occupais de mes affaires, me fichant royalement de la chicane d’anniversaires entre Montréal et le Canada pour attirer l’attention des touristes.
Les 150 ans du Dominion canadien? Je me sens pas tant concernée, on dirait.
Et 375 ans: really? Est-ce que je vous achale avec mes 29 ans et demi, moi? Non.
Et puis un beau matin, on m’invite à passer une semaine sur un brise-glace qui est en train de faire le tour du Canada entre Toronto et Victoria, en empruntant le passage du Nord-Ouest. Un «projet Signature de Canada 150», il paraît. Le bateau lève l’ancre dans 5 jours: il faut répondre immédiatement.
Je ne savais rien d’autre que les quatre thèmes officiels du voyage.
Mon sentiment de non-appartenance au pays fêté étant bien sûr très largement surpassé par l’excitation de partir à l’aventure sur un brise-glace, je mets sur pause tous mes projets en cours et saute dans un bus vers Baie-Comeau pour rejoindre le navire. J’étais loin de me douter de la crise identitaire et existentielle que je m’apprêtais à vivre.
Je m’attendais à un bateau d’anniversaire mi-croisière, mi-crossette patriotique. (Surtout que le bateau est peint comme un gros drapeau du Canada…). Je ne savais rien d’autre que les quatre thèmes officiels du voyage: Diversité et inclusion, Réconciliation, Engagement jeunesse et Environnement; et les destinations de mon étape: Baie-Comeau et Pessamit pour la Journée nationale des Autochtones, Petite-Vallée en Gaspésie, Longue Pointe, l’archipel de Mingan, Havre-Saint-Pierre pour la Saint-Jean Baptiste, Anticosti, les Îles de la Madeleine et enfin Petit-Rocher pour la Journée canadienne du multiculturalisme.
Je répète: je n’étais pas prête.
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Premier constat: je n’étais pas la seule à me sentir coupable d’embarquer sur le «party boat» d’un pays où certains ont du mal à se sentir aimés. En effet, parmi les 25 participants, il y avait plusieurs Québécois, une Néo-Brunswickoise de confession musulmane, un Inuit, deux Anishinaabe et une Métisse. Pas toujours ceux qui se sentent le plus respectés au Canada.
Explorer le Canada sans omettre les détails gores et odieux.
Dès les débuts de la mise sur pied de cette expédition, le fondateur Geoff Green savait qu’on n’allait pas pouvoir parader autour du Canada en se félicitant d’être un beau pays multiculturel et pacifiste. Devant le refus de tous les dirigeants autochtones de participer de près ou de loin au 150e, il a compris qu’il allait falloir faire un réel effort pour que ce voyage ne se transforme pas en sombre farce. C’est ainsi que le projet C3 (pour les 3 côtes canadiennes que le bateau parcourt) s’est fixé pour but d’explorer le Canada sans omettre les détails gores et odieux, et de constituer des équipes de participants qui représentent suffisamment toutes les minorités pour brasser le plus de marde possible faire naître le dialogue.
Autochtones, nouveaux arrivants, francophones, anglophones, scientifiques, artistes, name it.
Photo: Jo-Ann Wilkins
Et ça a marché. J’ai sincèrement eu les meilleures discussions de ma vie. Évidemment, j’ai jasé d’indépendance et de péréquation avec Sharon d’Alberta. Inda et Aryn m’ont parlé des difficultés que rencontrent les femmes autochtones et musulmanes au Canada. Ossie m’a parlé des ravages d’Hydro-Québec à Terre-Neuve. Pierre-Quan m’a raconté son adoption au Vietnam par un couple de Gaspé quand il avait 18 mois, et comment il se fait souvent dire qu’il parle bien français pour un Asiatique. Mike m’a parlé de la biodiversité exceptionnelle du Saint-Laurent. On a constaté l’érosion aux îles de la Madeleine, l’hécatombe de baleines dans le golfe du Saint-Laurent, le plastique partout. Je ne vous apprends rien si je vous dis que c’est en discutant avec les gens les plus différents de soi qu’on s’enrichit le plus.
Les vagues du Saint-Laurent qui nous brassaient, allaient de pair avec les vagues d’inspiration qui nous traversaient.
Mission accomplie pour ne pas omettre les défauts du Canada. C’est une chose d’entendre parler de réchauffement climatique ou de génocide culturel des autochtones, mais c’est autre chose d’en voir les conséquences en personne. C’est mon nouvel ami Ossie qui l’a le mieux exprimé: les vagues du Saint-Laurent qui nous brassaient, allaient de pair avec les vagues d’inspiration qui nous traversaient. Indignation… espoir… colère… motivation… (aidez-moi donc à communiquer cette image en vous imaginant le bruit des vagues en même temps, s’il vous plaît.)
Je vivais ce chamboulement émotif aussi intense qu’inattendu tout en remplissant mes yeux de paysages époustouflants. C’était vraiment un contexte weird pour ma première vraie visite du Québec. Ça fait 12 ans que j’ai immigré dans la Belle Province, mais je n’ai ni voiture ni argent, alors c’est rare que je connaisse grand-chose passé Québec.
Bref, dès le troisième jour, j’ai réalisé que je ne savais plus du tout qui j’étais. C’était la veille de la Saint-Jean, j’étais au Shed-à-Morue de Havre-Saint-Pierre. J’écoutais un band de musique acadienne originaire des Îles de la Madeleine. Ils avaient invité un chanteur innu au look un peu motard avec eux sur scène. Jeff, un Anishnaabe de l’Ontario, m’a invité à danser. Je me sentais à des milliers de kilomètres de chez moi, à Montréal, qui est déjà à des milliers de kilomètres de chez moi, en France.
Je n’en revenais toujours pas d’avoir été aussi privilégiée.
Je visitais le Québec à bord d’un bateau peint en drapeau du Canada. J’étais française, un pays dont j’ai du mal à être fière à cause de notre historique colonialiste et de notre réputation d’être désagréable. J’avais reçu mon passeport canadien à peine deux ans plus tôt. Est-ce qu’un jour j’allais pouvoir m’identifier comme Canadienne? Comme Québécoise?
La Réconciliation, ça commence par la fin de l’ignorance.
J’ai débarqué du brise-glace à Petit-Rocher, Nouveau-Brunswick, non sans brailler ma vie. Le lendemain, Justin Trudeau rendait visite en grande pompe notre expédition qui venait d’accoster à l’Île-du-Prince-Édouard pile à temps pour l’anniversaire de la Confédération. Moi, j’étais déjà loin, mais je sentais encore les remous de la mer dans mon oreille interne. Je n’en revenais toujours pas d’avoir été aussi privilégiée.
Comme je n’ai absolument rien fait pour mériter tout ça, je me suis promis que j’allais essayer de faire ma part en racontant ce que j’ai vu tout en tentant de transmettre la motivation positive que j’ai reçue. La Réconciliation, ça commence par la fin de l’ignorance. Dans mes prochains textes, je vous raconterai quelques petits trucs que j’ai appris sur les rapports entre autochtones et non-autochtones, le multiculturalisme et les microplastiques!
Pour lire un autre texte de Lucie Piqueur: «La Ville de la semaine : Petite-Vallée».
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