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J’ai assisté à la dernière journée de tournage de District 31… sans n’avoir jamais vu un seul épisode!

Mission : comprendre qui sont le p'tit Théo Gagnon et le sergent-détective Bissonnette.

Par
Laïma A. Gérald
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Le vendredi 25 mars se tenait la dernière journée de tournage de la série District 31, dont la diffusion se terminera le 21 avril.

C’est sur invitation aux médias que Radio-Canada et Aetios Productions ouvraient grand les portes du plateau, afin de souligner l’importance de cette journée. Six ans au petit écran, 720 épisodes, plus de 28 000 pages écrites par l’auteur Luc Dionne et des millions de téléspectateurs et téléspectatrices fidèles au poste semaine après semaine, c’est pas rien.

Dès la réception du courriel d’invitation, je m’empresse de confirmer ma présence. Pas question de manquer ça.

Seul hic : je n’ai jamais regardé ne serait-ce qu’une seule minute de District 31.

Crédit : Eric Myre
Crédit : Eric Myre
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Une journée historique

La mythique tour brune de la société d’État se dessine au loin dans la brume printanière. Devant la nouvelle maison de Radio-Canada, j’aperçois une vingtaine de personnes et un autobus : je suis au bon endroit. Je me mélange timidement au groupe de journalistes avant de monter dans le véhicule nolisé, qui nous emmène vers le studio MELS à Saint-Hubert.

Les seules choses que je sais, c’est que Poupou est mort […] et que le personnage jadis interprété par Magalie Lépine-Blondeau est mort aussi.

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Je m’assois dans le fond du bus, comme la bad girl de l’école. Il faut dire que je n’ai (volontairement) pas fait mes devoirs : je ne connais ni les intrigues ni les personnages de la populaire quotidienne québécoise. Les seules choses que je sais, c’est que ça se passe dans un poste de police, que Poupou est mort (qui est Poupou, je n’en ai pas la moindre idée) et que le personnage jadis interprété par Magalie Lépine-Blondeau est mort aussi.

Prise de panique et pleine de doutes, j’appelle mon collègue spécialisé en immersions de type « LOL », Hugo Meunier.

« Hugo, j’angoisse, tous les journalistes autour de moi parlent de la série avec passion, je vais avoir l’air d’une esti de tache! Je fais quoi, je parle à qui, je dois-tu me cacher ou assumer ouvertement que je suis un imposteur? Aide-moi, par pitié! »

Mi-constructif, mi-crampé (ce qui me rassure cependant sur le réel potentiel humoristique de ma quête) Hugo me donne quelques trucs pour « m’assumer tout en passant inaperçue ».

« Observe, note TOUTE, TOUTE, TOUTE, prends des photos en masse et fais pas exprès pour troller le monde. Si j’étais Luc Dionne et que tu venais me voir en me disant que t’as jamais regardé ma série, je serais en tabarnac », me dit mon mentor d’un coup de téléphone. Fair enough.

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Hugo raccroche, toujours aussi hilare. Riait-il de mon idée de génie ou de moi? L’histoire ne le dit pas.

« Vous allez voir, sur le plateau, il y a de la fébrilité et beaucoup d’émotions dans l’air », annonce Marc Pichette, premier directeur des relations publiques de Radio-Canada, à l’intercom du bus. « Aujourd’hui, on assiste à quelque chose d’historique. »

«Aujourd’hui, on assiste à quelque chose d’historique.»

Bien que je ne ressente manifestement pas la même excitation que les trois journalistes intarissables assises devant moi, je suis en mesure de comprendre à quel point la dernière journée de tournage d’une émission comme District 31 peut être émouvante pour l’équipe. Dire adieu à un rôle que l’on campe depuis six ans, ça ne se règle pas en criant ciseau.

Et pour le public, faire le deuil de son rendez-vous télévisuel quotidien, ce n’est jamais facile. Surtout pas après six saisons. Surtout pas après deux ans de pandémie. Surtout pas après une période éprouvante, à avoir tellement besoin de repères pour passer au travers de nos journées confinées.

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L’enquête préliminaire

Le bus arrive enfin devant le studio, orné d’une grande plaque « Service de police du Grand Montréal, District 31 ». Jusqu’à présent, je comprends ce qui se passe.

« Oh, c’est le commandant Chiasson! », lancent en chœur trois ou quatre collègues journalistes ouvertement excité.e.s par cette rencontre entre la réalité et la fiction.

Je regarde à travers la fenêtre : le seul et unique Gildor Roy est venu nous accueillir en habit de service. Je note dans mon petit carnet : « Gildor = commandant Chiasson ».

On entre dans le studio, silencieux comme on nous l’indique. Sur le plateau, c’est le branle-bas de combat, les acteurs et actrices sont actuellement en tournage. Des « Silence sur le plateau », des « Action! » et des « Eeeeeeh… coupez » retentissent entre les murs du MELS.

Je ne connais peut-être pas District 31, mais je connais mon star system québécois, oui madame.

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Au-dessus de la mêlée, j’aperçois Vincent-Guillaume Otis et Catherine De Léan. Je ne connais peut-être pas District 31, mais je connais mon star system québécois, oui madame. Le duo tourne une scène dans un couloir du poste. Il marche vite et a l’air préoccupé. Ça me semble une émission quand même sérieuse, District.

Le groupe de journalistes est invité à se déplacer : on nous annonce qu’il y aura quelques discours et la possibilité de faire des entrevues individuelles. Les mots d’Hugo Meunier me reviennent en mémoire : « Assume-toi, mais sans te faire remarquer. » Je n’ai pas de stratégie, mais j’ai mon dictaphone, de quoi noter et beaucoup de motivation.

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Pièces à conviction

On entre dans le décor de ce qui semble être le bureau commun des enquêteurs. Tout autour, le bureau du commandant, « la salle du café », le bureau d’accueil, des étagères en métal, des classeurs, un micro-ondes, un fax, des babillards avec des suspects recherchés et des personnes portées disparues. Ça ne fait plus aucun doute, nous sommes dans un commissariat. Dix points pour la perspicacité!

«Oh, regardez, c’est LA fameuse imprimante!»

« Oh wow, c’est ma-la-de! », s’exclame un collègue derrière son masque. « Oh, regardez, c’est LA fameuse imprimante! » Rires d’un petit groupe de journalistes-fans.

Voilà une mission à ma mesure : comprendre pourquoi cette imprimante est spéciale.

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Je lève les yeux de mon carnet. Une douzaine de comédien.ne.s arrivent les un.e.s après les autres. On devine leur émotion malgré leur masque. Je reconnais notamment Michel Charette (AKA Jean-Louis Duval dans Radio Enfer), Catherine Proulx-Lemay, Catherine St-Laurent, Hugo Dubé (AKA Claude dans Ramdam), Sébastien Huberdeau (Antonin dans Le monde de Charlotte), etc.

Comme vous pouvez le voir, j’ai la télé québécoise nostalgique un brin.

«C’est mission accomplie» — Fabienne Larouche

« On a l’impression du travail accompli, bien fait. C’est mission accomplie », déclare la productrice Fabienne Larouche, avant de souligner que les cotes d’écoute de la série s’élèvent à 1,8 million de téléspectateurs et téléspectatrices chaque jour. « Ça, c’est un miracle quand ça arrive. On travaille très fort, alors un succès immense comme ça, c’est formidable. »

Avant de céder la parole à son collègue, l’auteur Luc Dionne, la productrice se permet de commenter la fin de la série chouchou du public québécois « Les gens vont être émotifs. Ils vont sentir un grand sentiment de peine, parce que c’était des amis qu’ils avaient tous les soirs à 19 h. […] C’est une perte. »

Crédit : Eric Myre
Crédit : Eric Myre
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Je comprends ce que Fabienne veut dire : quand on a l’habitude de regarder une série sur une base régulière, pendant des années qui plus est, et que l’on s’est attaché aux personnages, ça devient partie prenante de notre routine. Quand ladite série se termine, c’est un peu comme un deuil.

Au tour de Luc Dionne de prendre la parole. Il lance des fleurs à l’équipe technique, « sans qui la série n’aurait jamais été possible, particulièrement dans le contexte de la crise sanitaire ». L’auteur remercie également sa femme, Annie, qui l’a « enduré » pendant six ans.

Il confie également devoir une fière chandelle à Fabienne Larouche, « la seule personne qui pouvait comprendre la difficulté d’écrire une quotidienne ». L’auteur prolifique ajoute : « Des fois, je l’appelais pour lui dire : “Je suis dans le tunnel et il n’y a rien en avant et rien en arrière” […], mais elle a toujours été là; elle comprenait mes angoisses. »

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Les interrogatoires

On nous indique que l’équipe est maintenant disponible pour des entrevues. Je suis un peu nerveuse, mais je ne perds rien de ma motivation. Mon imposture sera-t-elle révélée au grand jour?

Armée du dictaphone de mon cellulaire, je me lance. Je tends d’abord l’oreille pour tenter d’intercepter les propos des comédien.ne.s, qui se livrent avec générosité et émotions.

Crédit : Eric Myre
Crédit : Eric Myre

«Ce que je vais retenir de cette expérience-là, ce sont les amitiés incroyables avec mes camarades»

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« Ce que je vais retenir de cette expérience-là, ce sont les amitiés, les liens incroyables avec mes camarades », avoue Jeff Boudreault, qui, comme je l’apprends à l’instant, incarne le journaliste Jean Brière depuis six ans maintenant. « Ce que je trouve difficile dans ce métier-là, c’est que du jour au lendemain, on perd de vue des collègues avec qui on a créé des liens vraiment forts. »

Je ne sais pas qui est le p’tit Théo Gagnon, ni même s’il a été retrouvé finalement.

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Je vais « scéner » du côté de Michel Charrette, qui est sur le point de dire au revoir à son personnage, Bruno Gagné. Je déniche cette information sur la carte d’identité épinglée sur le costume de l’acteur. « Je suis content, on finit au sommet de notre succès, considère le comédien. C’est une série qui va rester dans les annales, qui a marqué la population québécoise. On l’a su rapidement, à la diffusion des premières intrigues, dès l’engouement pour la disparition du p’tit Théo Gagnon. »

Je ne sais pas qui est le p’tit Théo Gagnon, ni même s’il a été retrouvé finalement. J’irai googler l’info plus tard, je suis curieuse.

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Je me retrouve face à face avec une jeune journaliste, dont les yeux brillent depuis que l’on est arrivé.e.s. Elle peut très certainement m’aider dans mon enquête.

« Salut. Je me demandais : sais-tu c’est quoi l’affaire avec l’imprimante là-bas. Il parait que c’est LA fameuse imprimante. Mais comme… pourquoi? », que je lui demande, au risque de me trahir.

« Ouais, c’est l’imprimante sur laquelle le sergent-détective Patrick Bissonnette a souvent fessé parce qu’elle ne marchait pas! Il fessait aussi sur des télés, des tables, toute », me répond-elle du tac au tac, mais quand même un peu surprise de ma question random.

« Mission imprimante » : accomplie. Maintenant, c’est qui, le sergent-détective Patrick Bissonnette?

C’est qui, le sergent-détective Patrick Bissonnette?

L’enquête se poursuit. Je discute brièvement avec Catherine Saint-Laurent, qui avoue qu’elle n’écoutait pas l’émission afin de décrocher le rôle de Noélie St-Hilaire, avec Jeff Boudreault, qui croit bien que « dans 20 ans, on va encore parler de District 31, comme on parle encore de La petite vie aujourd’hui », et avec Luc Dionne, toujours aussi plein de gratitude envers le public, l’équipe et Fabienne.

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Soudainement, Sophie, qui travaille aux communications de Radio-Canada, annonce : « Il reste peu de temps, est-ce que certains d’entre vous voudraient parler avec le sergent Bissonnette? »

Oh my god! Voilà ma chance.

Percer le mystère

Sophie amène un quatuor de journalistes, dont moi, devant ce qui semble être le décor d’une salle de conférence vitrée. À travers les stores horizontaux, je devine les traits de… Vincent-Guillaume Otis, vêtu d’une chemise grise et d’un veston parfaitement repassé. Oui, c’est bien lui! J’ai trouvé Bissonnette.

Crédit : Eric Myre
Crédit : Eric Myre
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« C’est la fin, on se sent sereins. Je ne veux pas avoir l’air prétentieux en disant ça, mais j’ai vraiment le sentiment du devoir accompli », déclare Vincent-Guillaume Otis en ajoutant qu’il est l’acteur qui a eu le plus de jours de tournage, apprenant jusqu’à 95 pages de texte par semaine. « J’ai l’impression d’être allé au bout de toutes les possibilités que le personnage offrait, contrairement à d’autres projets qui se terminent avec de petites frustrations. »

Je suis contente d’avoir mon masque, il cache assurément mon sentiment d’imposture.

Le comédien, tout sourire, souligne également l’amitié qui s’est développée avec Michel Charette (Bruno Gagné). Les deux acteurs, qui ne se connaissaient pas avant, ont créé une complicité si forte que Luc Dionne s’en est même inspiré dans son écriture. « Michel me soutenait dans la vie et sur le plateau, raconte Vincent-Guillaume Otis. Luc [Dionne] a utilisé ça dans les intrigues. Le personnage de Michel a soutenu le mien dans plusieurs moments. Il m’a même couvert quand Bissonnette dérapait! »

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« Comme quand vous fessiez dans l’imprimante ou dans la télé, par exemple? », dis-je avec d’aplomb.

« Oui, exactement, très bon exemple », répond Vincent-Guillaume Otis, en se disant fort probablement que je suis une fan, une vraie, qui se souvient des moindres détails de la série. Je suis contente d’avoir mon masque, il cache assurément mon sentiment d’imposture.

On se dirige à présent vers une cafétéria de fortune cachée derrière le décor, où nous sommes invité.e.s à partager un repas avec l’équipe. Saumon, bavette, poutine, salades, légumes grillés, variété de desserts : nous avons l’embarras du choix.

Au milieu de ma salade César, mon regard est attiré par ce qui semble être un très gros gâteau. C’est jour de fête, après tout. Et puisqu’une image vaut mille mots, le voici.

J’ai tout juste le temps de prendre une série de photos que l’on nous annonce que le bus nous attend.

Même si je n’ai pas fait partie des millions de téléspectatrices et téléspectateurs rivés devant leur écran tous les soirs à 19 h depuis six ans, je suis consciente que ma journée ferait bien des jaloux.

J’ai bel et bien eu le sentiment de participer à quelque chose d’important, de capter les émotions débordantes vécues par l’équipe de la quotidienne culte qui, comme leurs personnages, ont le sentiment du devoir accompli.

Sur le chemin du retour, quelque part au-dessus de La Ronde, je me dis qu’il est peut-être là, le secret de l’engouement pour District 31 : la capacité de ressembler 1,8 million de personnes autour d’une grande et belle aventure.