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J’ai amené mon frère à l’expo de Pussy Riot
La rétrospective du collectif féministe russe propose un regard nouveau sur le régime de Poutine.

URBANIA et le Musée d’art contemporain de Montréal sont fiers de s’associer pour célébrer la liberté artistique.
Dans un monde où le piton « tragédies et catastrophes » semble toujours être à on, il est compréhensible que certaines personnes ressentent le besoin de s’éloigner de tout ça ou de s’en isoler. Et puis il y en a d’autres (salut, c’est moi) pour qui c’est important de rester au fait de ce qui se passe, question de garder leur humanité intacte.
Mon petit frère étant plutôt issu de la première école de pensée, je me suis dit qu’un peu de culture lui ferait grand bien! Même si je l’aime et que c’est quelqu’un de très sensible et intelligent, il peut parfois avoir des opinions assez nettes et arrêtées.
Qui sait, peut-être que d’être challengé pourrait avoir une incidence positive sur lui.
Lorsque le MAC a annoncé que la toute première exposition du collectif russe Pussy Riot passerait par Montréal, j’ai su qu’il s’agissait d’un signe clair de l’univers que le moment était venu pour moi de forcer mon frère à sortir de sa léthargie. À l’image du collectif, l’expo est engagée, revendicatrice, mais aussi désarmante par sa beauté et sa simplicité. De toute évidence, pas le genre de truc que mon frère serait allé voir de son propre gré!
Des terroristes DE velours
Comme je le lui explique en chemin vers le musée, le collectif Pussy Riot s’est fait connaître du grand public par ses nombreuses actions, dont ses revendications féministes, ainsi que ses critiques du gouvernement de Vladimir Poutine et de l’influence de l’Église orthodoxe sur la société russe. L’arrestation de certaines des membres du collectif a provoqué un tollé en Occident, mais a aussi lancé toute une série de débats sociétaux importants, et leurs actions ont aidé à inspirer des mouvements qui ont suivi, dont #MeToo.
À le regarder m’écouter parler, je lis sur le visage de mon frère de l’appréhension, et ses yeux me crient en insulte le « mot en W » (vous savez lequel).
Je lui rappelle de garder le cœur et l’esprit ouverts. Qu’il ressortirait sans doute de l’expérience un homme nouveau.
Comme les Pussy Riot elles-mêmes, l’exposition est diverse et variée. Intitulée Velvet Terrorism, elle raconte l’histoire du totalitarisme russe à travers les souvenirs de Masha Alyokhina, membre du groupe depuis 2012.
Première surprise : mon frère, qui se croyait peu cultivé, fait des liens et reconnaît finalement le groupe lorsqu’on arrive devant un cliché de Poutine s’est pissé dessus (Putin pissed his pants, 2012), une action menée par le groupe en janvier 2011 au beau milieu de la place Rouge, à Moscou. Par la suite, la vidéo (et la chanson qui l’accompagne) a fait les manchettes dans le monde entier et a fait connaître le groupe au grand public.
« C’est quand même cool », concède mon frère en observant l’image. « Ça niaise pas, là-bas. Ça prend des guts pour faire ça! ».
En effet, ce ne sont pas les guts qui manquent aux membres de Pussy Riot. Après cette action, le collectif a par ailleurs décroché une place d’honneur sur la watchlist du Kremlin.
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On poursuit et, rapidement, je vois la disposition de mon frère changer : quelque chose en particulier semble retenir son attention. Je me retourne et je le vois en train de visionner Punk Prayer, une vidéoperformance de cinq minutes montrant les membres du groupe interprétant leur chanson du même nom à la cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou…
Icônes et martyrs
Si leur prière punk (« Vierge Marie, mère de Dieu, chassez Poutine! », répètent en chœur les membres du groupe) est un succès auprès des détracteurs de Poutine, le peuple russe, lui, déteste. Il voit plutôt cette action revendicatrice et antifasciste comme une profanation des symboles de la nation et un délit de lèse-majesté. Malgré leurs habituels masques de ski et collants aux couleurs fluo, Masha et deux autres membres du groupe ont plus tard été identifiées puis arrêtées.
En apprenant que Masha et ses complices avaient été emprisonnées pendant près de deux ans pour cet acte pacifique de protestation contre le régime de Poutine et l’Église orthodoxe russe, mon frère a réalisé à quel point la liberté d’expression est encore fragile dans certains pays.
Surtout que chez nous, en Occident, leur procès avait fait couler tellement d’encre qu’on s’imaginait qu’elles seraient libérées assez rapidement.
Gamer invétéré, mon frère découvre plus loin, notamment à travers l’œuvre Penal Colonies, la dure réalité des vrais goulags, qui n’ont rien à voir avec la salle d’attente de Call of Duty. Masha y raconte le quotidien ingrat et les conditions dégradantes des colonies pénitentiaires russes. Des journées de 12 heures de travail, six jours par semaine, dans le grand froid des montagnes du nord de la Russie.
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Mais elle raconte aussi des histoires d’espoir et de résistance, comme lorsqu’elle et ses amies parviennent à négocier avec les dirigeants de la colonie pénitentiaire et la Commission des droits de la personne afin d’obtenir un téléphone dans chaque pavillon cellulaire. Auparavant, il y en avait un seul pour plus de 1 000 détenus.
Exposer la réalité, pousser la réflexion
Il faut dire que lorsqu’on est mis devant des œuvres aussi fortes, parfois même choquantes, on ne peut que se sentir interpellé. Pas besoin de saisir toutes les nuances de l’emprise du patriarcat et de la religion sur la société russe pour comprendre le prix élevé de la liberté d’expression sous le régime de Poutine : on n’a qu’à suivre la trajectoire de Masha et de ses comparses.
Mon frère remarque aussi que le layout de l’exposition, quelque peu chaotique, aide à faire ressentir la paranoïa et l’angoisse des membres de Pussy Riot, qui continuent, encore aujourd’hui, à être ciblées, voire persécutées, par les autorités russes. À un moment de l’exposition, on est forcés de rester un moment dans une petite salle où on fait jouer l’hymne national russe à tue-tête avant d’enfin pouvoir se frayer un chemin à travers un tunnel où sont exposées des photos des actions du collectif.
Tout au long du parcours, des questions nous traversent l’esprit. Pourquoi l’art choque-t-il tant, en Russie? Qu’est-ce qui peut motiver des gens comme les membres de Pussy Riot à tout sacrifier au nom de l’art et de la liberté?
Bon, j’aurais aimé vous dire qu’en sortant, mon frère était converti, mais on sait bien que ce n’est pas si simple! Par contre, je suis certain qu’il en est ressorti plus informé, et, surtout, conscient de la chance que l’on a de pouvoir critiquer notre gouvernement sans avoir peur d’être arrêté, et de pouvoir pratiquer un art sans risquer de se faire envoyer dans une colonie pénitentiaire. Ça l’a forcé à sortir de sa zone de confort, à se remettre en question.
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Et c’est peut-être ça, du grand art : de l’art dont l’exposition fait qu’on se sent si happé par des œuvres qu’on en ressort avec un regard nouveau sur notre monde!
L’exposition Terrorisme de velours : la Russie des Pussy Riot se tient au MAC à la Place Ville Marie jusqu’au 10 mars 2024. Pour réserver votre visite, rendez-vous sur son site Web!