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Jack-strap et dentelle

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Frédéric Guindon est le genre de gars willing qui répondait toujours «Conséquence» quand il jouait à «Vérité ou Conséquence» au secondaire.

Pour notre numéro sur le hockey, on a voulu tester une fois de plus ses
limites en lui proposant de mettre ses patins et d’aller pratiquer sur
la glace avec les (malades dans tête) Chiefs de St-Hyacinthe et les (solides) filles
des Stars de Montréal. Il n’en fallait pas moins pour qu’il accepte de
revêtir son affreux chandail de Pavel Bure. Mais malheureusement pour
lui (et heureusement pour nous), tout ne s’est pas passé comme prévu.

Les chiefs de Saint-Hyacinthe

Arborant un sobriquet tiré tout droit de la cultissime vue Slap Shot, les Chiefs de Saint-Hyacinthe — fiers représentants de la technopole agroalimentaire du Canada — évoluent dans la Ligue Nord Américaine de Hockey, qui s’étend de Thetford Mines à Rivière-du-Loup, en passant par Sorel-Tracy. (Il faut croire que les fondateurs de cette ligue avaient une vision bien étroite de l’Amérique du Nord.) C’est donc sans me soucier du décalage horaire que je me suis transporté sur le bord de la Yamaska pour aller pratiquer avec des brutes, adorateurs des frères Hanson.

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18h
D’un enthousiasme désarmant, je fais mon entrée dans le stade Louis-Philippe-Gaucher, l’aréna des Chiefs. Je sais très bien que la popularité de l’équipe et du circuit semi-pro en général est attribuable à la quantité de bagarres qui s’y déroulent, mais je m’en fous. À la limite, je me dis que ça pourrait être bon pour ma carrière de reporter si je me faisais péter la gueule par un émule de John Kordic.
Un grand ti-coune attend dans le hall avec un stylo. À l’école, il se faisait sûrement surnommer «Gangrène» (à cause de ses rotules inconstantes et de ses pieds non-parallèles) ou «Cheez Whiz» (à cause des morceaux qui restaient toujours pris dans sa moustache douce). Aujourd’hui, à 25 ans, il traîne dans les arénas pour quêter des autographes à des joueurs semi-pro, plus jeunes que lui.
Je trouve ça semi-triste, semi-cute.

18h05
Je me dirige directement au vestiaire des Chiefs pour trouver le coach avant l’entraînement. Un gros Jean-Michel Anctil méchant vient à ma rencontre. «Attends deux minutes, il va venir te voir, dit-il de la manière la plus désagréable qui soit. Là, tu voués ben qu’on est occupés : on est en train de donner les gants aux gars.»
Je prends mon trou, pis j’attends. Légèrement intimidé.

18h15
Dix minutes s’écoulent. Un monsieur s’avance vers moi. C’est le coach. Il mesure à peu près quatre mètres de plus que moi et ses muscles dépassent de son manteau d’hiver. On se présente et on parle des exercices auxquels je pourrai participer. Même s’il a l’air légèrement motard, il me semble bien sympathique. Il me dit d’aller m’habiller. Yé.

18h20

En entrant dans le vestiaire, je sens des regards remplis de c’est-qui-lui-avec-sa-grosse-poche se poser sur moi. Je comprends à ce moment précis qu’aucun joueur n’a été prévenu de mon arrivée. Semi-frette. Frette. Méga-frette. Je ne suis pas game de faire un message d’intérêt public au milieu de la chambre des joueurs pour leur dire que je vais m’entraîner avec eux, alors je me fais invisible. Je m’installe très discrètement dans un coin pour revêtir mon équipement, sans parler à personne. M’immiscer au sein d’une communauté de joueurs solidement tissés relèverait de l’exploit, c’est pourquoi je préfère jouer le rôle d’observateur. Pour l’instant.

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18h25
En m’habillant, je réalise que l’odeur et les conversations sont les mêmes que dans toutes les autres chambres de hockey. Mais en pire! On n’est pas dans la ligue semi-pro pour rien…
– C’tu ton plastique? (cette question, m’est apparemment dirigée)
– De quoi? (ça, c’est moi qui dit ça)
– C’tu ton plastique?
Si au moins je comprenais de quoi il parle, je pourrais lui répondre. Mais là, je ne ne sais pas et je ne veux surtout pas perdre la face devant toutes ces semi-vedettes, dont au moins un gars qui a joué une période pour le Canadien : Olivier Michaud.
– Oui, réponds-je au hasard.
– C’correct. M’a aller m’en chercher un de l’autre bord.
Fffiiiooouuu. Il me parlait de mon tape à jambière et j’ai sorti une réponse qui a de l’allure. Pendant que je continue à revêtir mon équipement, un gars raconte qu’il achète des fauteuils roulant motorisés en Chine et sur les Internets. Il les revend six fois plus cher ici. Les autres joueurs sont fascinés par sa témérité financière.
– Pis ça marches-tu ben tes affaires?
– Je le sais pas. J’en ai pas encore vendus.
– Combien t’en as achetés?
– Pour 40 000 piasses.
– Tabarnak! (généralisé)
Quelques secondes plus tard, les Chiefs s’émeuvent du sort de la belle-soeur du frère de l’autre qui a attrapé le cancer et qui va peut-être mourir. Le plus triste là-dedans, c’est qu’elle a des enfants. Les gars lui donnent des tapes sur l’épaule et lui disent : «Heille chummy! Tu vas voir que toutte va ben aller, parce que toutte va toujours ben anyway!» Je verse une larme de tendresse devant ces hommes musclés et à demi-nus qui se caressent. C’est beau.
Avant de sortir, un matamore signale que «ça sent la marde en crisse icitte». C’est moins beau, mais c’est tout aussi vrai.

18h30
Un à un, les joueurs entrent sur la glace pour commencer leur échauffement. J’arrive en dernier et j’attends un peu au banc des joueurs, pour ne pas prendre trop de place. J’espère que quelqu’un m’introduise au groupe.
Gangrène vient me demander un autographe. Je refuse : «Tsé, Gangrène, je joue pas vraiment pour les Chiefs. J’écris un texte pour Urbania.»
Gangrène me demande un autographe. J’accepte.

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18h35

Je me décide enfin à embarquer sur la glace, parce que je comprends que si je ne le fais pas de mon propre chef, personne ne me prendra par la main pour me présenter à tous les ti-namis. Je pose le patin gauche sur la surface glacée (c’est un synonyme de «glace», parce que j’ai déjà utilisé «glace» dans la phrase précédente). Dévalant les gradins tel le gros caillou dans le mythe de Sisyphe, le directeur général de l’équipe me roule presque dessus. Il est à bout de souffle et il l’air atterré.
– Kesse-tu fais là?
– Ben, je suis venu m’entraîner avec les Chiefs pour un article d’Urbania.
– Tu peux pas. On est à deux jours du début de la saison. Les gars ont besoin de concentration. Désolé.
– Ok, mais ça fait deux mois que c’est organisé.
– Je sais, mais on distribue les culottes aujourd’hui et y en a pas pour toi. Désolé.
– OK, mais je me suis quand même pas déplacé ici pour rien… C’est pas sûr que je vais pouvoir revenir avant ma date de tombée.
– Je sais, mais il reste des joueurs à retrancher et on ne peut pas embarquer d’autre monde sur la glace. Ça va nous mélanger. Désolé.
– OK, mais peut-être que je pourrais juste être sur la glace, sans participer aux exercices..?
– Non. En plus, on vient juste de repeinturer le vestiaire et les gars sont obligés d’utiliser les petits vestiaires des pee-wee. On veut pas que vous preniez de photos. Désolé.
– OK, c’est beau, j’ai compris.
– Désolé.
Le monsieur était vraiment très désolé. Je le sais, parce qu’il me l’a dit quatre ou cinq fois.

18h40
En moins de 40 minutes, mon rêve de porter l’uniforme des Chiefs s’est éteint. Dire qu’à une autre époque, les gars faisaient la pluie et le beau temps au «House of Pain» du Colisée Laval. Ils étaient une forme de réussite, un but à atteindre pour nous, jeunes hockeyeurs de la ville de l’Avenir! Rejeté par mes modèles, la désillusion d’empare de moi. Comme si Hulk Hogan m’avait craché dessus quand je suis allé le voir se battre contre le Macho Man au Forum en 1987. Je décrisse chez nous déçu, mais pas tant que ça. Après tout, grâce à Gangrène, j’ai signé mon premier autographe à vie.

Les Stars de Montréal

Pour être sûr que les choses soient claires en partant : le Stars de Montréal est une équipe de hockey féminin qui évolue au sein de la Canadian Women’s Hockey League. Mais je ne suis pas une femme. Et je suis quand même allé pratiquer avec elles. Contrairement à ce que vous pensez, je n’avais pas d’opinion défavorable du genre «Ah, c’est des filles, je vas les clancher!» avant de m’y rendre. Non. Je le savais dès le départ qu’elles seraient bien meilleures que moi et que j’aurais l’air d’un pitre peu reluisant. Après tout, sur mes patins, je ressemble plus à Olive dans Popeye qu’à Russ Courtnall, mettons…

19h45

La plupart des gars qui iraient jouer au hockey avec des filles se diraient probablement en s’y rendant : «Heille, en tout cas, j’espère que je vas pouvoir me changer avec elles dans leur vestiaire, ‘sti fuck. M’a peut-être voir des boules, tsé. Gne Gne.» Pas moi. Hier soir, je suis allé dans un spectacle de rock’n’roll où des gens étaient déguisés en dinosaures fluos, portaient des fromages sur la tête et jouaient des reprises de Tripping Daisy à l’envers. Depuis, je pense juste à ça. Dans ma tête, y’a juste l’image d’un gros Barney phosphorescent, illuminé par des blacklights, qui est sur le point de se garrocher dans la foule.

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19h55
C’est sur le pilote automatique ben raide que je retrouve la coach de l’équipe et son assistante dans leur bureau. À l’exception d’elles, la pièce est vide. Les joueuses sont dans un vestiaire adjacent. Je m’assure auprès d’elles que tout est sous contrôle (contrairement à hier) et que les filles sont au courant que je viens m’entraîner avec elles. «Elles ne le savent pas encore, me dit Madame la Coach. Viens on va t’introduire.»
Comme je suis une personne très discrète, attardée socialement et qui éprouve beaucoup de difficulté à communiquer devant plus de trois personnes, j’angoisse profondément.
Le paragraphe précédent n’est pas vrai.
Je jubilais. Je me disais que ça allait être très drôle et que j’en profiterais pour sortir quelques habiles calembours qui sèmeraient l’hilarité générale, comme: «Qu’est-ce qui pue plus que la poche du joueur de hockey?» Réponse: l’arrêt du gardien.

20h00
Trente secondes plus tard, je suis au centre de la chambre des filles. Ma présence ne les stresse pas pantoute. Comme si ça arrivait tous les jours qu’un gars entre dans leur vestiaire. Tant pis pour elles, je ne leur ferai pas l’honneur d’entendre mon célèbre : «Fais-moi une phrase avec Gordie Howe, Jean Béliveau et Maurice Richard»*.
En les regardant se préparer, les brontosaures dans ma tête décident de prendre un break et cessent de travailler mon imagination. La réalité me frappe. Alors que je m’attendais à ce qu’elles aient toutes 30-32 ans, la plupart d’entre elles ont 10 ans de moins. Et contrairement à la croyance populaire, ce ne sont pas toutes de robustes tomboys. J’en suis ravi. Elles insistent pour que je participe à l’échauffement hors-glace. C’est quoi ça, un échauffement hors-glace? J’ai joué 12 ans au hockey et je n’ai jamais fait d’échauffement hors-glace.

20h05

Je rejoins les filles dans les gradins. Elles font des exercices de contrôle de la rondelle (avec une balle). J’essaie de les suivre, mais trois facteurs jouent contre moi. Primo, vu que je ne me doutais pas de l’existence des échauffements hors-glace, je n’ai pas mes tites-shorts et mes espadrilles. Secundo, il n’y pas assez de balles pour moi et je dois dribbler avec une balle imaginaire (par souci de réalisme, je fais parfois semblant de l’échapper). Troisio, y’a vraiment plein de filles en tenue de sport assez moulante. Parce que je suis un professionnel, je garde mon calme. Mais c’est vraiment un combat pour moi de maintenir mes yeux dans des endroits décents.

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20h20
J’ai 10 minutes pour enfiler mon équipement avant d’embarquer sur la glace. L’odeur et les conversations sont les mêmes que…. fuck non! Je suis tout seul dans ma chambre, crisse! En tant que gars, pensiez-vous que je me serais installé en plein milieu d’une horde de jeunes femmes potentiellement à moitié nutes? Pour la première fois de ma vie, je savoure le luxe de mettre mes épaulettes dans un environnement spacieux, inodore et dépouvu de conversations sur les sujets suivants: chars, RDS, danseuses, verrues plantaires et vasectomie. J’en profite pleinement en utilisant à peu près huit crochets pour accrocher trois morceaux de linge et en étalant soigneusement le contenu de ma poche sur le plancher.


20h30

Je fais mon entrée sur la patinoire. Après les habituelles simagrées d’échauffement et quelques tours de piste dans le vide, la coach siffle et explique qu’une gang de X va essayer d’aller enlever la rondelle à une gang de O en faisant des zigs-zags. Je comprends rien. Je saute mon tour, je préfère les observer plutôt que de fucker leur pratique.

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20h45

Fuck off, je m’essaie. J’ai pas l’air de Wayne Gretzky, mais au moins, ça paraît que j’ai déjà joué. Je capte semi-bien ma passe, je déjoue un ou deux cônes franchement mauvais défensivement et je m’attaque à une vraie défenseuse, qui doit patiner deux fois plus vite que moi à reculons. J’essaie de la contourner par la gauche, mais elle ne veut pas. Puis subtilement, grâce à une manoeuvre apprise par le truchemement du DVD d’Alex Kovalev, je me passe le disque vers la droite par le dedans des jambes. J’entends des «Wow!» et des «Ho!», mais ce ne sont que les tyrannosaurus rex qui reviennent dans ma tête. En moins de temps qu’il n’en faut pour prononcer «Zarley Zalapski», je suis cul par-dessus tête, les quatre fers en l’air, sans bâton, donc sans rondelle.
J’ai un peu trop baissé les yeux pendant mon fresh move. Une épaule rigide, qui passait justement dans le coin, a pris soin de me le faire constater.

22h00
La pratique est terminée. Je discute avec la coach et j’apprends que certaines de ses joueuses font partie de l’Équipe Nationale et qu’elles ont représenté le Canada aux Jeux Olympiques. Pas étonnant que j’avais l’air d’un pee-wee. Ces joueuses-là sont les meilleures au monde.
Pour me consoler de ma piètre performance, je relativise à grands coups de «ouin, mais tsé…» et de «c’est sûr que han…» De toute façon, je suis sûr que je les clanche au baseball-poche!

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*
– Tsé, moé, j’embellis vos fenêtres de maison. Heille! Ho! R’gar dewors! Y’a une chaloupe! À ce moment-là, l’interlocuteur doit dire: “Ouin, pis Maurice Richard là-dedans?”
– Regar’ comme faut! C’est lui qui rame!