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Les sites de rencontres pullulent sur le web, mais ITSRencontres.com est particulier : amants de la nature, fous de cinéma, adepte du BDSM ou de la position du missionnaire, tous sont les bienvenus, en autant qu’ils soient porteur d’une MTS incurable.
On est allé explorer les hauts et les bas de la séduction quand on a un indésirable dans sa culotte – et non, notre journaliste n’a pas pogné une gonorrhée pour rendre l’article plus crédible.
“Bonjour NouvelleMtl, vous avez un message de MisterSpring dans votre boîte de messagerie.” Je me précipite sur le profil que je me suis créé: MisterSpring a 34 ans, habite dans la région de Montréal, c’est un Gémeaux aux yeux verts qui aime voyager, aller au cinéma, faire des sports de plein air… et qui vit avec l’herpès génital de type 2. C’est écrit noir sur blanc, pas moyen de le manquer. Sur ITS Rencontres, on peut mentir sur son poids, son âge ou ses intérêts, mais pas sur ce qu’on traîne dans ses bobettes.
ITS Rencontres est le seul site de rencontres québécois à être destiné aux personnes vivant avec une infection transmise sexuellement qui ne se guérit pas, comme l’herpès génital, le virus du papillome humain, les hépatites B et C, certaines gonorrhées ou le VIH. « C’est comme Réseau-Contact, m’explique Guy Leduc, qui a fondé le site en 2010. Vous remplissez une fiche, avec des détails sur vous, vos intérêts… et l’ITS avec laquelle vous vivez. » Pas mal plus intime que Réseau-Contact, par contre. À ce jour, 2500 personnes sont membres, « et on continue de grossir » spécifie Guy. « Mais le bouche à oreille est plus difficile que pour les sites de rencontres classiques. Disons qu’il y a encore beaucoup de tabous. »
Et des tabous, il y en a: même en remplissant une fiche complètement fictive pour le site, je bute devant la case « Avec quelle ITS vivez-vous? ». En cochant « Herpès génital de type 2 », j’ai l’impression de l’avoir soudainement attrapé et de l’annoncer en caps sur Facebook. C’est mon chum qui va être content.
Un mât dans la tempête
« On ne se met pas de pancarte dans le cou pour dire qu’on a l’herpès. L’impact psychologique de l’annonce d’un diagnostic d’ITS incurable est sous-estimé » ajoute Guy. Il en sait quelque chose. Il a eu son diagnostic d’herpès en 2008 et en a été dévasté. « J’étais démoli, je pleurais. On dramatise beaucoup quand on découvre qu’on a l’herpès. Ça vous touche dans votre intimité. On a l’impression qu’on n’aura plus jamais de vie amoureuse ou sexuelle. On se sent comme un déchet, un rejet. Et c’est tellement tabou, personne n’en parle. »
Guy me raconte ça d’une voix douce et posée, toujours avec un sourire aux lèvres. La mi-quarantaine, chevelure fournie, lunettes classiques, grand et élancé, il a le visage ouvert et le regard généreux. C’est un technicien en télécommunication pour Vidéotron et si j’en avais une, je le présenterais à ma soeur.
Guy Leduc a eu sa primo-infection en 2008. Dans le langage codé de l’herpès, la « primo », c’est la toute première fois où une crise se déclenche, et c’est souvent l’une des crises les plus violentes. C’est pas chic, l’herpès : lésions, douleurs et choc. C’est sa copine de l’époque qui lui transmet le virus. La relation ne survit pas : « Elle s’est refermée sur elle-même, elle ne voulait pas en parler. Moi, j’ai tout de suite voulu aller chercher de l’aide. C’est là que j’ai découvert le groupe de soutien. »
En plus de fonder le site ITS Rencontres, Guy anime maintenant un groupe de soutien aux gens qui vivent avec l’herpès. Il me reçoit d’ailleurs dans le petit local communautaire de Rosemont que le groupe emprunte pour ses rencontres. Les néons grésillent et les murs d’un bleu délavé sont couverts de bricolages en papier mâché des locataires habituels de l’endroit, un groupe de réinsertion sociale. On est à mi-chemin entre le sous-sol d’église et la classe de primaire. Il n’y a que l’essentiel : une table recouverte d’une nappe en plastique rouge, quelques chaises autour. C’est tout ce dont les participants ont besoin, en plus d’une oreille, de beaucoup d’empathie et de quelques conseils.
Le premier vendredi de chaque mois, des gens passent la porte pour raconter leur histoire, confier leur détresse, obtenir de l’information : de la jeune fille dans la vingtaine au monsieur émacié dans la cinquantaine avancée, tout le monde s’y côtoie. C’est l’un des seuls groupes du genre dans la province. « Des gens viennent de Québec, de Saguenay, de Sherbrooke pour y assister. »
D’abord présent comme participant, Guy anime le groupe depuis trois ans. « La première fois que je suis venu, j’ai reviré de bord. » Trop embarrassant, trop intime d’aller raconter sa vie devant des inconnus. Puis, il a pris son courage à deux mains, a ravalé sa fierté et s’est assis sur la petite chaise droite. « J’étais juste là, raconte Guy, en pointant une chaise à sa droite, avec une émotion dans la voix. Juste là. Et j’avais tellement honte. J’ai pleuré, j’ai raconté ce qui m’était arrivé. Après cette première séance, j’avais l’impression d’avoir fait 12 rounds de boxe. J’étais épuisé. »
Le posterboy de l’herpès
J’écoute Guy et je commence à prendre la mesure du désarroi et de l’angoisse qu’on peut vivre quand on reçoit un diagnostic d’ITS incurable, peu importe laquelle. L’impression que sa vie amoureuse et sexuelle est finie. Qu’on est pestiféré. De toutes les personnes qu’on a rencontrées pour cet article, seul Guy a accepté d’être identifié nommément, avec son âge et sa profession. Il a vécu la honte, la peur, la détresse. Et pourtant, il s’affiche maintenant sans malaise, donne des entrevues à visage découvert. Je lui demande s’il n’en a pas marre, parfois, d’être le posterboy de l’herpès. « J’essaie de défaire les tabous, une personne à la fois! » répond-il en riant. Puis, sur un ton plus sérieux : « La transparence, pour moi, c’est malheureusement facile. J’ai été victime d’attouchements sexuels plus jeune et le processus d’acceptation a été très difficile. Mais je suis allé chercher des outils, j’ai développé l’instinct pour aller chercher de l’aide. Quand j’ai reçu mon diagnostic, je me suis dit : “J’ai vécu assez longtemps dans une prison, c’est pas vrai que je vais en vivre une deuxième.” Il y a quatre ans, jamais je ne me serais imaginé donner des entrevues sur ça, à visage découvert. Mais c’est libérateur, de penser comme ça. C’est pas un virus qui va m’identifier. Ultimement, ça a changé ma vie pour le mieux : avoir l’herpès, ça force à affronter ses peurs. »
Ça a aussi réveillé le côté entrepreneur de Guy : « Je me suis mis à chercher sur le Web après mon diagnostic, et tout ce que j’ai trouvé, c’étaient des sites de rencontres en anglais, comme Positivesingles.com. » Les quelques sites en français qui existent sont principalement européens. « Un soir, j’étais avec ma mère de 77 ans, et j’ai dit : “Ça prend un site!” » Eh oui, Guy a parti ITS Rencontres avec sa mère et ses deux sœurs, Michèle et Anne. Tsé, un gars à l’aise avec sa situation.
« Le site, c’est pas juste pour trouver l’amour : c’est aussi un outil pour développer un réseau, trouver des amis, avoir des discussions » spécifie Guy. Des membres organisent des 5 à 7, des soupers, il y a même des projets de sorties en ski pour cet hiver…
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