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Est-ce qu’internet et les médias sociaux ont tué la notion de valeur?
Chuck Klosterman, un critique américain que j’affectionne particulièrement, était l’invité du balado de Bill Simmons il y a quelques semaines. Pendant un bref moment, la discussion a porté sur la manière dont l’internet a anéanti la notion de valeur dans l’industrie de la musique.
Pourquoi payer pour quelque chose lorsqu’on peut l’avoir gratuitement si on passe assez de temps à le chercher?
Ce n’est pas exactement un hot take, comme on dit dans le métier. Tout le monde est au courant de l’écroulement du modèle d’affaires de l’industrie du disque.
Mais Klosterman, critique notoire des nouvelles technologies, pousse sa réflexion au-delà du milieu de la musique : « Tout sur internet est gratuit. Je n’aime pas écrire pour le web parce que la majorité de mon auditoire s’en contrefout. Mon article n’est qu’un texte de plus apparaissant dans un fil d’actualité », argumente-t-il.
Pour Klosterman, cette chute de valeur affecte maintenant nos relations personnelles : « Si on chargeait 1 $ pour suivre quelqu’un sur internet. Si on ne pouvait suivre quelqu’un sur internet, célébrité ou ami, que s’il n’avait que 1 $ de valeur à nous offrir, y’a du monde qui verrait leurs interactions et leur following baisser en flèche. »
J’ai fait l’exercice.
Qu’est-ce que j’ai fait au juste?
Tout d’abord, j’ai procédé à l’inventaire de mes deux plateformes principales de réseaux sociaux : Facebook et Twitter.
Au début de l’exercice, on comptait :
705 amis Facebook, ainsi qu’un nombre incalculable de pages suivies.
666 personnes suivies sur Twitter (rendu à ce chiffre-là, j’avais comme un kick de le garder).
Je n’ai jamais été ce qu’on appelle un power user. Je n’ai jamais fait d’ajouts de masse à des fins professionnelles. Tous ces gens (et médias dans le cas de Twitter) ont fait partie de ma vie et/ou de ma vie en ligne à un moment précis dans les 12 dernières années. J’ai même fait du ménage à plusieurs reprises.
Je ne suis pas un power user, mais je suis un power unfollower quand j’ai un p’tit verre de whisky dans l’nez.
Je ne suis pas un power user, mais je suis un power unfollower quand j’ai un p’tit verre de whisky dans l’nez. En 2015, j’avais au-dessus de 1,200 amis sur Facebook et mon fil de nouvelle était rempli d’inconnus ou presque, qui parlaient à des gens que je ne connaissais pas, de choses dont j’me foutais pas mal.
Donc, j’ai fait l’exercice prescrit par Klosterman. J’ai élagué mes listes d’amis et mes intérêts ciblés sur Facebook en fonction d’un critère et d’un critère seulement : est-ce que je payerais 1 $ par année pour continuer d’avoir droit de lire ce qu’ils ont à dire sur les médias sociaux?
Les résultats parlent d’eux-mêmes :
Nouveau nombre de personnes suivies sur Twitter : 152
Nouveau nombre d’amis Facebook : 499
Intérêts ciblés qui restent : environ 10 %
Non, je ne serais pas prêt à payer 651 $ par année pour avoir le privilège de suivre du monde sur les médias sociaux, mais ça m’aurait coûté le double si je ne m’étais pas posé la question.
Qu’est-ce qui s’est passé par la suite?
C’est ce qui a de plus beau dans cette histoire. J’ai passé trois jours à surfer sur les médias sociaux avec mes listes d’amis et d’intérêts trimmées à l’os et…
Personne ne s’en est rendu compte!
14 personnes sur 1544 m’ont unfollowé sur Twitter, la plupart étaient des power users et des comptes louches réagissant à un pic soudain d’activité sur mon compte.
Une seule personne m’a redemandé comme ami sur Facebook et à ce jour, j’ai reçu ZÉRO question ou commentaire.
Si l’opinion de ces 720 personnes/médias ne valaient pas 1 $ pour moi, y’a de fortes chances que la mienne ne vaille pas 1 $ pour eux.
On ne va pas faire semblant, ça fesse un peu, mais si on tient pour acquis que Chuck Klosterman a vu juste, tout ça est parfaitement logique. Si l’opinion de ces 720 personnes/médias ne valait pas 1 $ pour moi, y’a de fortes chances que la mienne ne vaille pas 1 $ pour eux.
C’est une intéressante leçon d’humilité. Tout le monde se croit chez lui sur sa page Facebook, mais on remplit notre chez-soi de quasi-étrangers, d’amis d’école secondaire qu’on a fuis à une époque et de collègues (ou d’ex-collègues) qu’on n’inviterait pas prendre une bière si on avait un fusil sur la tempe.
Et on expose notre intimité, nos pensées les plus sincères et profondes (et parfois même notre détresse) à ces gens-là.
Pourquoi? On a beau basher la culture des likes et de la gratification instantanée, on se met en scène pour des gens qui recherchent un divertissement minute au boulot ou dans la file d’attente à l’épicerie. Et souvent, cette personne dans la file d’attente, c’est aussi nous.
On a tous un criss de gros travail à faire sur qui on laisse entrer dans nos vies sur les médias sociaux.
Mais, est-ce que l’exercice a amélioré mon expérience d’utilisation?
Pas tant.
C’est ce qui est surprenant.
Je roule beaucoup moins les yeux. Je lis moins de tirades anti-Trump presque identiques s’empilant les unes sur les autres dans mon fil de nouvelles.
Sinon, je scroll encore pas mal.
Je lis en diagonale.
Je me surprends à m’emmerder.
Les plateformes de médias sociaux nous conditionnent à l’immédiateté.
La théorie de Klosterman laisse de côté un élément important : les plateformes de médias sociaux nous conditionnent à l’immédiateté. Si on a pas notre nanane en 3 secondes ou moins, on passe au prochain appel. Je m’ennuie de l’époque où je me perdais pendant 1 h dans un article de 5 000 mots de Zach Lowe au lieu de parcourir mon fil d’actualité Facebook avec le regard vide.
Vous vous en doutez probablement, je ne rajouterai pas les gens que j’ai enlevés pour cet exercice. J’ai visiblement d’autres personnes à unfollower. J’ai également un travail d’investissement personnel à faire. Pour donner ou recevoir 1 $ de valeur sur les médias sociaux, on doit porter attention aux autres, les prendre au sérieux et les engager directement.
Choisir à qui vous voulez accorder votre temps (et votre argent!) ça vous dira qui garder et qui évincer de vos plateformes.
Suck it, Zuckerberg.
Prenons en main nos médias sociaux et appliquons la théorie du 1 $.
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