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Injustice caniculaire : les écarts de température entre les quartiers de Montréal
« Fa’ chaud en tabarnak! », me lance, sans grande originalité, un gars d’la voirie grillant une smoke dans le Chinatown.
« J’ai pas d’clim dans l’truck. J’me sens comme Ace Ventura dans l’rhinocéros », lance quant à lui un livreur cinéphile dont la référence colle bien au brasier des derniers jours.
Si la ville est effectivement en train de fondre, je dois toutefois vous confier qu’une part de moi a toujours aimé les périodes de canicule. C’est sûrement ma nordicité qui parle, enviant la moiteur tropicale du Sud, mais quelques fois par année, je n’ai rien contre le fait de me sentir comme dans Cidade de Deus ou Do the Right Thing pour continuer l’analogie filmique.
Cependant, les changements climatiques et l’écoanxiété qui en résulte ont terni ce qu’il y avait de mieux au Québec : l’été. Les vagues de chaleur, autrefois célébrées, suscitent désormais l’inquiétude en raison des fournaises urbaines et des feux de forêt, miroir irréfutable d’une planète en ébullition.
En parlant du Québec, est-il raisonnable d’admettre que l’horizontalité du froid est plus grande que celle de la chaleur? J’ai l’impression que les différentes classes sociales de Montréal vivent une expérience plus homogène en janvier qu’en période de canicule. Selon les dires, les plus fortunés subiraient une fièvre moins intense grâce à un meilleur accès à la climatisation, des quartiers à la verdure abondante et une densité de population moins élevée.
Mais est-ce vraiment le cas?
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Pour tenter d’y répondre, pourquoi ne pas explorer la métropole en visitant autant ses quartiers défavorisés que ses plus aisés, ses îlots de chaleur et ses parcs, pour voir si ce mythe d’injustice climatique est bien réel ou si tout le monde souffre de cette chaleur extrême de la même manière.
Mercredi, le 19 juin, entre 12h et 17h, au plus fort de l’enfer, la température ressentie devrait se maintenir à 43 degrés, avec des vents et un taux d’humidité relativement stable. Une fenêtre idéale pour mener à bien notre expérience maison.
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Celle-ci débute par un arrêt au Canadian Tire Bellechasse, souvent qualifié du plus folklorique en ville, pour y faire l’achat d’un thermomètre électronique. En naviguant parmi les modèles, allant de 2,99 $ à 124,99 $, j’espère juste que celui que je choisis donnera des lectures assez précises pour garantir la valeur de cette expérience similiscientifique.
Après une série de tests, je constate que mon petit thermomètre est fiable, s’accordant avec d’autres mesures et affichant également l’humidité, une variable cruciale pour comprendre la violence de l’actuelle canicule.
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Le périple débute au parc Outremont, niché au cœur du quartier éponyme. Un havre de paix avec son petit lac, ses enfants propres et ses arbres majestueux ; nous sommes bien à Outremont. Première entrée, le mercure grimpe à 34 degrés Celsius.
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Prochain arrêt, tout près, devant les touristes de St-Viateur Bagel. Un degré de plus au thermomètre, mais une baisse considérable de l’humidité.
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Ah oui, j’oubliais, pour cette expédition hautement scientifique, j’ai fixé le thermomètre avec de la gommette sur le guidon d’un Bixi, transformant ainsi mon vélo en station météorologique sur deux roues, permettant un visuel en continu des variations.
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En déambulant dans Parc-Extension, un quartier réputé pour ses îlots de chaleur, la température est comparable à celle du fourneau du Mile End, et ce, jusqu’à la Métropolitaine. Ici, le long du trafic, le mercure atteint un nouveau pic à 36 degrés.
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Il redescend légèrement à 35 degrés dans le quartier industriel d’Ahuntsic, pauvre en verdure et riche en asphalte brûlante. Une femme en boubou malien essuie les gouttes qui coulent le long de ses joues en attendant l’autobus.
Une pause au parc Frédéric-Back pique ma curiosité. Bien qu’il soit désormais un parc, il demeure un ancien dépotoir avec ses ballons géants captant le gaz qui s’en échappe. Un lieu parfait pour enregistrer une chaleur intense : 36 degrés. Encore un degré de plus.
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En continuant vers le nord, l’écran affiche un sommet de 37 degrés en arpentant Saint-Michel. C’est quand même 3 degrés de plus qu’à Outremont.
« Mauvaise journée pour couler du ciment ? », demandai-je en plaisantant à trois ouvriers en sueur. Ceux-ci s’esclaffent, torse nu sous leurs dossards. « Raw dog, mon chum, pas de crème solaire », lance l’un d’entre eux, le visage écarlate, sur cette avenue anonyme où les climatiseurs dégoulinent.
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Un détour par le Dairy Queen sur Jarry offre une agréable surprise : une baisse de température d’un degré. Frisquet.
Ombrelles, éventails au visage, vieillards trouvant refuge à l’ombre d’un arbre. La canicule a le pouvoir d’altérer le quotidien. De nous faire ralentir. On porte moins de vêtements, on marche plus doucement, on se permet un Mr Freeze ou une bière de plus. Il n’y pas que de la torture.
Journée maillot de bain dans la cour pour une école du Plateau. Les plus beaux souvenirs.
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La place Simon-Valois, au cœur d’Hochelaga, présente une diminution plus marquée de 3 degrés, un îlot de fraîcheur inattendu, bien que le passage d’un camion gorgé de compost ne soit guère agréable.
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De Berri-UQAM jusqu’au Vieux-Montréal, la température demeure à notre moyenne quotidienne de 35 degrés. Elle baisse légèrement le long du canal Lachine, 34, pour atteindre un nouveau plancher de 33 degrés dans les hauteurs de Westmount où des jeunes vendent des Gatorade rouges à 4$. Je me suis fait prendre.
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De retour à 35 degrés le long de Décarie, une terre sans ombre où je croise un chien épuisé, la langue pendante. Jusqu’au Mile End, la température est la même qu’au départ.
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L’expérience, aussi boboche soit-elle, tire à sa fin. 45 km, 6 Bixi et un trois quart d’insolation. Météomédia, si jamais, je suis là.
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De Côte-des-Neiges aux cabanes sur la montagne, les conclusions de mon étude extérieure restent floues, mais une tendance se dessine : chaque fois que je me suis retrouvé à proximité de zones encombrées de véhicules – la Métropolitaine, les accès au pont Jacques-Cartier ou l’autoroute 15 – la température atteignait les plus hauts pointages. Une évidence qui, sans prétendre au Nobel, illustre clairement les défis auxquels nous sommes confrontés.
Malgré la chaleur étouffante, dans les rues, les gens sourient, échangent des mots, plaisantent de la catastrophe.
Que l’on soit nantis ou mal pris, la journée la plus chaude a de quoi rassembler.