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Infiltration à la John Molson School of Business
Ma première entreprise, je l’ai mise sur pied quand j’avais 8 ans. Mon ami, sa sœur et moi-même avions installé un piteux kiosque à limonade devant la maison de mes parents, à côté duquel nous avions planté une énorme pancarte en carton indiquant la grande ouverture d’un nouveau commerce local.
Tels de véritables petits James William Awad gatinois, nous étions bien parti.e.s pour nous faire une sacrée passe de cash : la limonade coulait à flots et les client.e.s ne cessaient de revenir. Au final, le tout n’a duré que deux jours, le temps que ça a pris à nos ressources humaines bon marché – mes géniteurs – pour nous dire qu’ils en avaient ras le bol de presser des citrons à longueur de journée.
Si cette expérience m’a appris qu’engager ses parents peut parfois être létal pour son entreprise, elle m’a également fait comprendre que lorsqu’on se lance en affaires, il faut savoir comment s’y attaquer. Désireux de replonger la tête première dans la vente de boissons rafraîchissantes, je me suis permis d’infiltrer une des classes de la prestigieuse John Molson School of Business, à Concordia. Money, here I come.
DO YOU SPEAK FRENCH?
Station Guy-Concordia, mardi soir. Je me mets à suivre la masse afin de trouver l’accès souterrain à l’université. Déjà, je comprends que mon français va devoir prendre le bord pour l’espace de quelques heures. Je récite à moi-même quelques vers du poème Speak White, comme une prière à la sainte Michèle Lalonde, la suppliant de m’aider à protéger mon intégrité francophone tout au long de mon périple.
Confiant dans mon approche et me remémorant qu’il existe bel et bien une différence entre les mots three et tree, j’interpelle dans la langue de Shakespeare – rien de moins – un agent de sécurité.
Cherchant désespérément mon chemin vers le pavillon, je réalise que j’aurai besoin d’un petit coup de pouce. Confiant dans mon approche et me remémorant qu’il existe bel et bien une différence entre les mots three et tree, j’interpelle dans la langue de Shakespeare – rien de moins – un agent de sécurité. Instantanément, ses yeux se remplissent de panique et celui-ci se met à bégayer un charabia incompréhensible. Ironie du sort, nous réalisons à cet instant que nous pourrons communiquer en français.
Thank you, bye bye, sachant maintenant où aller, je laisse mon nouveau grand chum vaquer à ses occupations, saisissant au passage toute la complexité de sa tâche. Stay strong, buddy.
BUSINESS IS SERIOUS
Maintenant bien assis au fond de la classe de finances, je commence à mieux sizer l’écosystème dans lequel je viens de m’immiscer. Le local, à l’instar du reste du pavillon, est épuré au maximum, habillé de tons de gris et parsemé de quelques accents de bois. Décidément, on se croirait dans la salle de bain fraîchement rénovée d’une famille de banlieue dont le revenu annuel avoisine les 600 000 dollars : impressionnante, certes, mais également très beige.
Me surprenant à rêvasser aux pauvres briques brunes de mon UQAM chérie, Gaston – nom fictif afin de préserver son anonymat –, la plug qui m’aide à m’infiltrer, me salue discrètement avant de s’installer à côté de moi. Il arrive juste à temps pour l’exposé oral de mes nouveaux camarades.
Je pouffe de rire à l’intérieur lorsque les quatre coéquipiers à l’avant de la classe se présentent dans leur PowerPoint à l’aide d’avatars en veston cravate.
Le professeur, un homme à l’air sévère, lance un « should we start please? », une façon très polie en anglais de dire « fermez votre *****, qu ’on en finisse ». Je pouffe de rire à l’intérieur lorsque les quatre coéquipiers à l’avant de la classe se présentent dans leur PowerPoint à l’aide d’avatars en veston cravate. S’ensuit alors à l’écran une enfilade de diapositives autant visuellement stimulantes que les murs blancs de la salle. Je ne peux pas me plaindre puisqu’au fond, ils doivent avoir raison : business is serious.
THIS IS TOO MUCH
Cela fait maintenant plus d’une heure que les interminables exposés oraux sont achevés. Je fais de mon mieux pour noter quelques éléments, mais les marmonnements du professeur ne m’aident guère à rendre mon expérience enrichissante et aisée. Surtout qu’il m’apparaît de plus en plus ardu de distinguer les mots à travers sa toux grasse.
Fouillez-moi pourquoi, mais c’est à cet instant précis que mes rêves de kiosque de limonade se sont effondrés. I was out of the game.
Soudainement, un chapitre destiné à la faillite s’entame à l’avant. Nous sommes alors exposé.e.s à des graphiques représentant le cumulative average abnormal return en fonction du day relative announcement. Pris de court par ces informations difficiles à ingérer, je me retourne vers Gaston, lui demandant discrètement si tous les cours sont comme cela. Il me répond que oui, la formule d’aujourd’hui est assez classique. Fouillez-moi pourquoi, mais c’est à cet instant précis que mes rêves de kiosque de limonade se sont effondrés. I was out of the game.
MONEY LANGUAGE
En quittant ce qui a semblé être le cours le plus long de mon existence, j’ai pris le temps de marcher un peu avec Gaston. Moi qui avais, à priori, un préjugé sur les personnes qui fréquentent la JMSB, les dépeignant comme des êtres aussi beiges que le décor du bâtiment, j’ai été agréablement surpris de constater que j’avais tort. Gaston est un chouette type, et il m’a montré que les gens qu’il côtoie le sont tout autant. Ça m’apprendra à juger un livre par sa couverture – sauf s’il s’agit d’un livre sur le cumulative average abnormal return, dans ce cas, je risque alors de porter un sacré jugement.
«T’sais, c’est la langue de la business»
Je profite de ce petit moment pour m’intéresser aux raisons qui l’ont poussé à étudier en anglais, lui qui parle un français impeccable. « T’sais, c’est la langue de la business », affirme-t-il, avant de m’avouer qu’en plus, les programmes dans le domaine ici sont assez réputés. Alors, la langue des affaires, vraiment? J’ai mal à mon français, mais je me réconforte en me disant qu’il existe plusieurs entreprises de chez nous qui roulent leur bosse dans la même langue avec laquelle j’exprime mes états d’âme au quotidien. Au fond de moi, je suis convaincu que moneywise, le français aussi, ça peut être sexy.
GAME OVER
Direction le métro, à nouveau. Moi qui pensais initialement que la John Molson School of Business était une école de conception de bières artisanales, je me suis trompé sur toute la ligne. Disons qu’il s’agit plutôt d’un endroit où l’on forme une relève qui va miser gros pour tenter de s’enrichir ou, de façon plus noble, faire rouler l’économie de chez nous. Peu importe la voie que Gaston ou ses collègues choisiront de prendre, mon petit doigt me dit qu’ils et elles risquent de faire pas mal plus d’argent que moi. Au fond, considérant qu’iels ont à lire des graphiques d’entreprises à longueur de journée dans leurs cours, fair enough.
Une chose est certaine, le jeune Jacob de huit ans me féliciterait sans doute aujourd’hui d’avoir abandonné le commerce de bord de rue afin de me concentrer sur ce qui me mettait le plus en valeur. Toutefois, je continue de croire que si j’avais poursuivi dans le domaine, je l’aurais probablement fait en français. Business ou pas, ma limonade, je la marchande comme je la parle.
Vous raffolez des infiltrations sur les campus de Jacob, on vous conseille sa dernière excursion à Polytechnique Montréal.
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