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Indignation: du devoir à l’illusion

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Avez-vous écouté l’émission Enquête, hier soir? Savez-vous que dimanche, c’est le grand rassemblement citoyen à l’occasion du Jour de la terre? Savez-vous que des étudiants se font péter la gueule en sang en Outaouais? Trouvez-vous que le Québec se réveille? Est-ce qu’on charrie, avec notre printemps Érable?

Okay je me calme. J’ai l’esprit en mode popcorn depuis quelque temps. La mouvance sociale et l’indignation, ça me surexcite. Je me gave d’illusions et je me convaincs que le monde va changer de cap. J’ai envie de crier au triomphe de la vigilance intellectuelle et de la responsabilité citoyenne. J’ai envie de croire que le courant porte à gauche et que la globalisation frappe un mur; j’en ai des palpitations, par moment.

Quoi qu’à cette heure, c’est probablement le café.

Mercredi matin, j’ai failli lécher d’une marge à l’autre les pages A2 et A3 de mon Devoir. J’exultais. D’abord, on nous présentait la fauche glorieuse de l’escouade Marteau, puis on faisait état du mutisme suspect de Jean Charest quant aux arrestations menées par l’UPAC. Des sympathisants libéraux inculpés? Meh. Frisou n’en décochera pas une pour autant!

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Ensuite, l’A3 présentait les efforts honorables d’Hélène Buzzetti et Louis-Gilles Francoeur pour garder frais dans la mémoire collective le scandale des appels frauduleux passés lors de la dernière campagne fédérale; pendant que Manon Corneillier signait une chronique sur les détails pernicieux du dernier budget Conservateur. Bing! Bang! Vlan!

C’était jouissif. J’étais tout énervée. Je me disais : « Enfin! Le Québec verra! On va en venir à bout, de cette rectitude qui ne nous ressemble pas, de cette corruption néo-libérale qui nous pourrit jusque dans la moelle! »

Mais j’ai vite déchanté. Parce que le Québec ne verra pas.
Vous savez, j’ai réalisé un truc par rapport à tout le brouhaha des derniers temps. Bien qu’on aime se faire croire que la mobilisation sociale au Québec a atteint des sommets inégalés et que l’indignation s’étend à une majorité critique de la population, je ne crois pas que ce soit le reflet exact de la réalité.

Parce que ce n’est pas tout le monde qui pense comme dans Le Devoir. Ce n’est pas tout le monde qui rage/trépigne en regardant à la télé les prouesses d’Alain Gravel et son équipe. Ce n’est pas tout le monde, non plus, qui lit des blogues jeunes, branchés et qui gîtent définitivement à bâbord.

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Ce n’est pas tout le monde qui gravite autour de la sphère des UQ-x et s’insère dans le débat qui la secoue. Ce n’est pas tout le monde qui prêche pour la paroisse radio-canadienne et encense Dominic Champagne et sa bande de 22-avrilards. Non, ce n’est pas tout le monde : c’est même loin d’être la majorité « du monde », justement.
Je pète votre balloune un peu, je sais; je suis dans la même balloune et son éclatement présage une chute abrupte. Fâcheux.

Mais il faut se rendre à l’évidence : la fraction de la population qui est à la fois politisée, bien-pensante/soft-gauchiste et (surtout) mobilisée se noie dans une marée apathique, encline au néo-libéralisme et… silencieuse.

Vous savez, cette fameuse majorité silencieuse qui semble assez forte pour justifier la sourde oreille gouvernementale. Celle qui n’est pas dans les rues et qui n’y descendrait pas, même si elle avait quelque chose à dire. Celle sur laquelle Beauchamp et les autres trèfles s’appuient comme sur un gros coussin pour leur cul véreux.

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Celle qui fait souffler un vent de droite sur le pays et qui érode nos institutions. Celle qui écoute religieusement les Denis Lévesque, Martineau et Gendron de ce monde et y trouvent un certain réconfort. Celle qui laisse notre navire commun dériver à droite en se repliant sur un individualisme consumériste alimenté par la peur et l’insécurité. Tout ça.

Et nous aurions tort de sous-estimer son poids, à cette majorité invisible et silencieuse. Le Québec/le Canada/l’Occident/le monde ne changeront pas réellement tant que les factions militantes et politisées ne seront pas réalistes quant à leur position minoritaire. Tant que nous n’aurons pas conscience de nos œillères et que nous ne serons pas décidés à s’attaquer au problème at large, nous demeurerons ineffectifs et, somme toute, complaisants.

C’est dur, très dur. Mais c’est bien réel : la tâche est colossale.

La gauche mise à mal

Oui, la tâche est colossale. Et elle l’est d’autant plus que l’esprit du temps conditionne malgré nous une « culture de l’apathie » qui propulse la droitisation inconsciente de notre société.

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Autrement dit, les idéaux de gauches ne collent plus à l’air du temps, alors que celui-ci s’imprègne de valeurs qui leurs sont contradictoires. Au printemps dernier, le professeur Rémy Lefebvre signait dans Le Monde Diplomatique un article fort pertinent sur le soi-disant virage à droite historique de l’Occident.

Il rapporte et nuance en fait les propos l’Italien Raffaele Simone, dans son essai Le monstre doux (1). On y décrit en effet une « nouvelle droite » qui, de par sa nature diffuse et insidieuse, s’insinue dans les mentalités populaires de manière quasi inextricable. Elle serait plus en phase avec la modernité et, par le fait même, terriblement alléchante.
Les idéaux de gauche, quant à eux, seraient relégués au second plan à cause de leur nature fondamentalement « communautariste » qui déplait au instances hédonistes du capitalisme effréné. Mon passage préféré – pour son actualité troublante:

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« Face au fun généralisé et à une culture de l’immédiateté renforcée par une forme de déculturation politique, la gauche et ses principes sacrificiels ne pourraient lutter. Sa politique serait en quelque sorte battue par le Zeitgeist, l’esprit du temps.

Et la nouvelle droite apparaît plus en phase avec la modernité. Ses victoires électorales seraient moins liées au contenu de ses projets qu’à sa capacité à imposer un pragmatisme ajusté aux traits dominants de l’époque »

Honnêtement, je trouve que ça en dit long en tabarnoune au chapitre « Why the fudge iz Charest encore là!? »

Nous avons présentement à faire, au Québec, à un gouvernement qui compte
sur le cynisme ambiant pour se maintenir au pouvoir. C’est lamentable
et nous devons le combattre. Voilà.

C’est un peu fataliste et discutable comme façon d’appréhender le système occidental dans son ensemble, mais ça porte à réfléchir.

Et pour ne pas trop se ronger les sangs, rappelons-nous cette phrase de cette honorable croûte Stéphane Hessel, dans son manifeste Indignez-vous! :

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« Il nous appartient de veiller tous ensemble à ce que notre société reste une société dont nous soyons fiers »

L’êtes-vous?

***

(1) Le Monstre doux. L’Occident vire-t-il à droite?, Gallimard, coll. « Le débat », Pars, 2010, Cf. la revue Le Débat, #159, Gallimard, Paris, mars-avril 2010.