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Inceste et culture pop : une histoire d’amour taboue

Freud aurait a-do-ré vivre au 21ème siècle.

Par
Malia Kounkou
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Debout en ligne, huit jeunes hommes se laissent silencieusement caresser le relief abdominal par des femmes aux yeux bandés. Le but de l’exercice est aussi simple qu’horrifique : se fier à son toucher seul pour reconnaître quel corps, parmi le lot, est celui de son fils. Hélas, nous ne sommes pas ici sur un onglet de navigation privée, mais bel et bien dans Milf Manor (ou Le Manoir des MILF), la toute nouvelle télé-réalité controversée de la chaîne américaine TLC.

Le concept de départ est simple : huit femmes entre 40 et 60 ans s’envolent pour une luxueuse villa mexicaine afin d’y trouver l’âme sœur. Sauf qu’une fois arrivé, surprise! Les Cupidon qu’elles pensaient rencontrer sur place sont en fait ceux qu’elles ont mis au monde. Et réconcilier l’image de leur mère avec celle d’une hot mom débordante de libido sera pour eux un aller simple vers la thérapie.

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Ceci n’est qu’un petit — mais non moins traumatique — échantillon du parfum incestueux qui embaume la culture pop actuelle. Car avant Milf Manor existait déjà Dated and Related, une création Netflix dans laquelle frères et sœurs dormaient ensemble puis se réveillaient pour jouer aux entremetteurs.

Côté fiction, toute frontière entre famille et romance est désormais copieusement piétinée par des séries comme House Of The Dragon (mariage entre oncle et nièce), Rick et Morty (attirance mère-fils) ou encore Gossip Girl : nouvelle génération (relation amoureuse entre jumeaux).

Bienvenue dans le monde rêvé de Freud, donc. Laissez vos chaussures à l’entrée.

L’ère de l’incest-ainment

Peu de consensus sont moralement rassembleurs comme l’aversion à l’inceste. Même le sociologue Claude Lévi-Strauss voyait dans son bannissement l’un des principes fondateurs d’une bonne société. L’anthropologue Edward Westermarck ira même plus loin, théorisant dans son « effet Westermarck » que le rejet de l’inceste relève de l’instinct biologique. Que ce soit donc sur le plan social, moral comme génétique, la grimace de dégoût est générale.

« Nous savons que lorsque vous dites aux gens qu’ils ne sont pas censés faire quelque chose, cela leur donne souvent envie de le faire encore plus. »

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Mais le propre d’un tabou est de semer de petits fantasmes de transgression sur son passage. Pour preuve, Justin Lehmiller, chercheur à l’Institut Kinsey de l’Université de l’Indiana, rapportera dans son livre Tell Me What You Want que, sur un échantillon de 4 175 personnes, une sur cinq a déjà eu des pensées incestueuses, dont 3 % de manière régulière. « C’est quelque chose que vous n’êtes pas censés faire — et nous savons que lorsque vous dites aux gens qu’ils ne sont pas censés faire quelque chose, cela leur donne souvent envie de le faire encore plus », explique-t-il.

C’est pourquoi ce phénomène est malgré tout ancré dans le paysage culturel, de l’Ancien Testament à Cruel Intentions à Luke Skywalker embrassant sa sœur, Princesse Leia, dans Star Wars, en passant par la chanson Lemon Incest entonnée par Serge Gainsbourg et sa fille, Charlotte Gainsbourg, et sans oublier le subreddit « r/wincest » (désormais banni) qui romançait les frères Winchester de la série Supernatural. Assumé ou dilué, l’inceste a toujours plané par-dessus nos têtes dans toute sa morbidité attrayante.

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Car il n’y avait déjà rien à relativiser ou débattre dans Game Of Thrones : Jaime et Cersei étaient frère, sœur et amants — point barre. Avec House Of The Dragon, toutefois, l’approche a été plus maligne. Là où Cersei et Jaime étaient dépeints en parfaits antagonistes aux pulsions difficilement justifiables, Daemon et Rhaenyra ont plutôt été amenés comme une évidence ne pouvant récolter que le vote du public, et ce qu’importe leur rapport d’oncle à nièce.

Et cette conversion par la douceur a été une nette réussite, si la horde de fancams TikTok en l’honneur du couple en est un bon indicateur. Résultat, le facteur inceste de la série est à présent entouré d’un cœur rouge les jours pairs et relayé négligemment au second plan ceux impairs. Car si l’histoire est bonne, finit-on par se dire avec un haussement d’épaules, pourquoi se formaliser du reste?

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pornhub (édition familiale)

Analyser la montée de l’inceste dans la culture pop, c’est aussi se pencher indirectement sur l’ascension du « fauxcest » dans le monde du porno. Comme son nom l’indique, cette tendance est une forme fictive d’inceste dans laquelle les acteurs à l’écran feignent un lien familial souvent précédé du préfixe « step » (mom, daughter, father, niece et même grandpa).

En gardant un pied dehors et l’autre dedans, les plateformes de contenu pornographique peuvent donc assouvir un fantasme populaire — rien qu’en 2014, les termes « MILF », « belle-mère » et « mère » occupaient trois places dans le top 5 des recherches mondiales Pornhub — tout en se gardant légalement d’en offrir sa réalité complète.

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Pourquoi 2014, d’ailleurs? « Je soupçonne qu’une partie de cela a à voir avec certaines représentations médiatiques très populaires de l’inceste », suppose Justin Lehmiller, citant à demi mots Game of Thrones. Depuis le succès retentissant de la série, il semblerait en effet que les vannes sexuelles soient grandes ouvertes; en 2017, la consommation de jeux de rôles familiaux observait une hausse de 178 %, selon le site pour adultes GameLink, et en 2022, le mot-clé « MILF » était le plus recherché sur Pornhub dans le Canada tout entier.

« Peu d’actes sexuels sont plus extrêmes ou déviants que l’inceste. »

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La soif intarissable de transgression, surtout lorsque celle-ci trompe l’ennui, est une autre explication énoncée dans Esquire par Paul Wright, Docteur à l’École des Médias de l’Université d’Indiana. « Alors que des types de pornographie qui étaient moins courants dans le passé – par exemple la violence, tel ou tel fétiche – deviennent de plus en plus courants et facilement accessibles, les consommateurs s’ennuient et ont besoin que l’extrémité et la déviance montent d’un cran pour redevenir stimulés et excité. Peu d’actes sexuels sont plus extrêmes ou déviants que l’inceste. »

Peu sont aussi payants, également. Car au-delà des sites pornos conventionnels, ces kinks d’arbre généalogique se constatent également sur OnlyFans où certains créateurs n’hésitent pas à tourner avec leurs propres parents. Sur TikTok et Instagram, il s’agira plutôt de couples participant au trend « Siblings or Dating » (Frères/sœurs ou Date) et cultivant l’ambiguïté d’une ressemblance physique pour accroître leur popularité.

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La poule ou l’œuf

Finalement, qui influence qui? Cette appétence généralisée pour l’inceste, sur internet comme à la télévision, est-elle accélératrice de contenu step-friendly ou bien conditionnée et créée par elle? Un peu des deux, selon ce qu’explique dans Medium le journaliste Ben Chapman à travers l’exemple du fauxcest.

pour toute cette omniprésence, l’inceste est souvent traité avec des pincettes.

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« [C’est] une boucle de rétroaction positive. […] Les pornographes ont réalisé la demande et le potentiel de la pornographie fauxcest, ils ont créé de plus en plus de contenu et ont commencé à en faire la promotion à grande échelle sur leurs sites. Finalement, même les téléspectateurs qui n’avaient auparavant aucun intérêt pour le fauxcest ont été inondés de thèmes et ont commencé à le regarder. » De quoi comprendre comment, de gré ou de force, House Of The Dragon a pu atteindre d’aussi hautes cotes d’écoute.

Mais peut-on encore parler de tabou si l’inceste est à présent sur toutes les lèvres? Étrangement, oui. Car, pour toute cette omniprésence, le phénomène est souvent traité avec des pincettes par Hollywood, épelé timidement sur Pornhub, controversé mais viral sur les trends des réseaux sociaux et insoutenable à entendre lorsque sa réalité crue est dénoncée à voix haute, notamment lors du #metooinceste. Signe qu’au cœur de toute cette visibilité, la honte originelle demeure.

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