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La masculinité en léotard

Incarner la masculinité en léotard

Retour sur la carrière d'un danseur de ballet qui bouscule les jugements et les stéréotypes.

Par
Benoît Lelièvre
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Le ballet, c’est pour les filles.

L’injonction vous est sûrement familière. Avant que les Harry Styles et Jay du Temple de ce monde ne délivrent symboliquement la masculinité occidentale de ses propres lois en portant des colliers de perles et du vernis à ongles, les normes de genre étaient si ancrées dans les mentalités qu’on y pensait presque plus et ceux et celles qui osaient les défier étaient l’exception plutôt que la norme.

Et parmi ces exceptions, il y a Guillaume Côté. Danseur de ballet d’élite, largement considéré comme le meilleur de sa génération, hétérosexuel et père de deux enfants.

« Être danseur de ballet à Métabetchouan, dans les années 1990, c’était être différent et pour être différent, à cette époque-là – que tu sois danseur, fleuriste ou juste membre de la communauté LGBTQ+ –, ça demandait un certain courage », raconte le principal intéressé.

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À 43 ans, Guillaume Côté vient tout juste de tirer sa révérence. Aujourd’hui à la barre de sa propre compagnie de danse et du Festival des Arts de Saint-Sauveur, l’ex-danseur étoile a encore le feu sacré pour le métier, et plus que jamais, il assume la responsabilité d’être le Mario Lemieux en léotard des garçons qui ne veulent pas jouer au hockey.

On peut sortir le petit gars du Lac…

Guillaume Côté naît dans une famille aux intérêts artistiques, ses parents s’impliquant dans la fondation Le Prisme Culturel, à Alma. « Mon père était aveugle d’un œil et il avait de la difficulté dans les sports à cause de ça. Alors, il s’est tourné vers les arts. La musique classique, surtout », explique-t-il.

Guillaume enfile ses premiers chaussons de danse à l’âge de trois ans et au départ, les cours étaient avant tout une excuse pour passer du temps en compagnie de ses cousins. Puis, c’est en commençant l’école qu’il constate pour la première fois qu’il se trouve en décalage par rapport à la norme.

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« Au Lac, à cette époque-là, il y avait deux marqueurs de masculinité importants : le hockey et l’alcool. J’ai joué au hockey pendant un petit bout de temps quand j’étais jeune. Ils m’ont mis dans les buts parce que j’étais capable de faire le grand écart. On me demandait de le faire avant les matchs pour intimider l’équipe adverse, mais une fois dans le feu de l’action, ça m’aidait pas tant que ça », se souvient Guillaume avant d’éclater de rire.

Le grand déclic se produira au visionnement du film White Nights, plus particulièrement du numéro d’ouverture intitulé Le jeune homme et la mort, chorégraphié par Roland Petit et interprété par nul autre que Mikhaïl Barychnikov. Le petit Guillaume l’ignorait encore, mais le destin lui ferait éventuellement rencontrer les deux hommes.

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À l’âge de 11 ans, Guillaume déménage à Toronto avec son cousin Raphaël pour étudier à l’École Nationale de Danse du Canada et laisse derrière lui ses racines et ce décalage qui l’éloignait des jeunes de son âge. « Vers l’âge de sept ans, peut-être, il y en a quelques-uns qui ont commencé à comprendre et j’ai entendu les insultes d’usage pour la première fois. C’est là que je me suis retrouvé de plus en plus isolé, mais j’allais retrouver mes cousins au ballet au lieu de fréquenter des amis de l’école. J’ai toujours été bien entouré », se rappelle Guillaume.

Malgré tout, Guillaume garde un bon souvenir de son enfance au Lac-Saint-Jean. Il y est d’ailleurs retourné cet hiver pour une ultime représentation d’Hamlet, Prince du Danemark à Alma, une production qu’il a co-signée avec Robert Lepage.

« À un moment donné, tu commences à réussir. Tu passes dans le journal et les gens sont fiers. Ils passent par-dessus leurs a priori et là, y a un certain niveau d’acceptation. Je te mentirais si je te disais qu’il n’y avait pas eu un petit sentiment de victoire avec ça », confie-t-il avec le sourire.

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Excellence, égo et équilibre

Comme l’affirme l’auteur Mark Manson : une vie sans problèmes, ça n’existe pas. La seule chose qu’on peut faire, c’est se créer de meilleurs problèmes. Des problèmes qu’on a envie d’avoir.

Et c’est un peu ce qui s’est passé pour Guillaume à Toronto.

Dans un milieu où le ballet occupe toute la place, son talent a pu se développer à la hauteur de son potentiel, mais il était encore isolé parmi ses pairs. « À l’école de ballet, les filles se tiennent ensemble. La plupart des gars font leur coming out et se regroupent entre eux parce qu’ils vivent les mêmes enjeux. J’ai vécu beaucoup de solitude pendant ces années-là. Une chance que j’avais mon cousin, parce que je ne serais pas passé au travers. »

Malgré tout, cette solitude lui a permis de se concentrer sur lui-même et de repousser ses limites. Même si le ballet est un travail d’ensemble, Guillaume affirme qu’un certain niveau d’égoïsme est nécessaire pour atteindre l’excellence.

« C’est ton corps, ta carrière, tes choix. Tu ne peux pas penser aux gens autour de toi, tu dois d’abord te concentrer sur ton cheminement. »

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Selon lui, ce rapport à l’ego se transmet parfois dans les rapports hiérarchiques puisque ce sont les meilleurs danseurs qui gravissent les échelons et deviennent chorégraphes ou directeurs artistiques. Un piège dans lequel Guillaume s’efforce de ne pas tomber aujourd’hui.

« J’ai été très chanceux parce que j’ai eu des femmes extraordinaires comme professeures, chorégraphes et directrices artistiques qui nous demandaient toujours comment on allait avant de commencer à travailler. C’est quelque chose que j’essaie d’emmener dans mon rôle de directeur artistique », affirme Guillaume.

La danse comme alliée

Grâce à son talent, mais aussi à ses racines de petit gars de région qui a su rester authentique, Guillaume a pu atteindre le sommet de son art. Il a notamment pu travailler avec l’homme qui lui a donné envie de devenir danseur professionnel, une rencontre qui servira de catalyseur pour le reste de sa carrière. « Ce qui est incroyable, avec Barychnikov, c’est son humilité et sa simplicité. On est dans la pièce quelques minutes avec lui et on oublie qui il est. Il est là pour travailler et créer des liens. Il est là pour les bonnes raisons, pas pour son ego. »

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Un modèle qui lui est venu en aide quand il a traversé des moments plus difficiles, par exemple lors de son divorce avec Heather Ogden, danseuse au Ballet national du Canada et mère de ses deux enfants.

« À ce moment-là, on préparait Hamlet, Prince du Danemark. C’est une pièce où il y a énormément de paranoïa, et quand Heather et moi nous sommes séparés, des clans se sont formés. C’est ironique, parce qu’elle et moi nous sommes bien entendus tout au long du processus. Mais là, tu sais plus qui t’aime. Tu sais plus qui te déteste. Tu vis de grosses émotions. Il m’arrivait parfois de pleurer en dansant », raconte-t-il.

Maintenant, c’est de derrière le rideau que Guillaume désire propager son amour pour la danse.

Il n’y aura peut-être jamais un autre Guillaume Côté sur les scènes canadiennes tout comme il n’y aura jamais un autre Mario Lemieux sur les patinoires, mais l’ex-danseur est prêt à partager son savoir afin de former le prochain Sidney Crosby.

« Si j’avais une chose à dire à un jeune danseur, c’est que la puissance vient avec l’intelligence et le cœur. C’est bien beau, être capable de bouger, mais il faut savoir bouger pour émouvoir les gens et ça, ça vient avec l’expérience, la confiance et la vulnérabilité. »

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C’est le sociologue Sony Carpentier qui disait qu’il existe plusieurs masculinités et la retraite n’empêchera pas Guillaume Côté de dévoiler au monde la force et la sensibilité d’un homme en léotard.

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