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Immortaliser le grand couvre-feu de 2021
Est-ce que ça vous arrive parfois de marcher dans la rue à la tombée de la nuit et d’en profiter pour observer les gens à travers leur fenêtre? Moi, tout le temps.
Avec la pandémie, le confinement et le couvre-feu, notre rapport à l’extérieur a pas mal changé. On a jamais autant marché dehors, mais on a jamais passé autant de temps à la maison, surtout après 20h.
Toutes ces contraintes et ces réflexions ont inspiré le vidéaste et photographe Miroslav Dufresne. Nous lui avons posé quelques questions, dans le cadre de son nouveau projet photographique : Fenêtre miroir.
Suivez son compte Instagram pour y comprendre son rapport à la photographie: @Miroslavfilm
Comment as-tu eu l’idée d’entreprendre ce projet?
Initialement, j’ai été inspiré par une photographe allemande établie à Londres qui s’appelle Julia Fullerton-Batten. Elle s’est mise à documenter le confinement et son approche m’a donné envie de créer un projet dans le contexte actuel. Je fais principalement de la photo de rue, des portraits de gens que je croise, donc quand le couvre-feu a été déclaré et que j’ai compris qu’on ne pourrait pas être dehors après 20h, j’étais pas fan. J’ai eu l’idée de proposer à URBANIA de faire un photoreportage pour documenter la vie des gens pendant les heures de couvre-feu. J’avais une intuition, mais je ne savais pas exactement ce que ça allait donner.
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Comment as-tu trouvé les participant.e.s?
«Mon idée était de photographier des gens en argentique, à l’intérieur de leur maison, après 20h et à travers leur fenêtre.»
Mon idée était de photographier des gens en argentique, à l’intérieur de leur maison, après 20h et à travers leur fenêtre. Au début, je pensais que ça allait être super facile, que je pouvais juste aller me promener et si je voyais une fenêtre intéressante, aller cogner chez la personne et lui demander de la prendre en photo. Mais je me suis vite rendu compte que c’était beaucoup trop intrusif et que ça n’avait pas d’allure. Donc j’ai décidé de faire un appel à tous sur Instagram, pour que de potentiels sujets se proposent. À partir des réponses, qui ont été vraiment nombreuses, j’ai fait une sélection (il me fallait des apparts au rez-de-chaussée avec de grandes fenêtres pas obstruées, etc.). J’ai retenu 18 personnes pour le projet. Je voulais que ça reflète une certaine diversité de gens, mais aussi d’actions et de décors.
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Il y a une forme de mise en scène dans les portraits. Comment as-tu conçu chaque « scène »?
Je ne voulais pas tout déterminer d’avance. Je demandais tout de même aux gens s’ils allaient être seuls, avec leur chum, leur blonde, leur coloc, leur enfant, etc. Puis, en arrivant, on déterminait la scène en fonction de ce qu’ils font réellement le soir, pour s’occuper après 20h : faire du lavage, cuisiner des biscuits, s’entraîner, jouer de la musique, chiller, etc.
«je me laissais vraiment inspirer par le mood de la personne et ce qu’elle faisait quand j’arrivais.»
Sur place, je me laissais vraiment inspirer par le mood de la personne et ce qu’elle faisait quand j’arrivais.
Par exemple, pour la photo de la femme qui allaite son bébé, elle était en train de faire ça quand je suis arrivée. J’ai trouvé ça très beau, mais je trouvais délicat de lui demander d’emblée de rester dans cette position pour les photos. Donc on a essayé d’autres choses et au bout d’un moment, la confiance était assez grande pour que je me permette de lui demander d’allaiter, et qu’elle se sente à l’aise d’accepter.
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Comment se déroulaient les séances ?
Je pouvais faire 2 à 3 séances par soir, et je passais environ 2h devant chaque fenêtre. Comme je shoot en argentique, je faisais seulement 3 ou 4 photos par personne. Sur place, j’avais plusieurs défis techniques comme l’éclairage, mettre en scène le décor et le sujet de la photo, gérer les reflets dans la fenêtre, laver les vitres ou enlever le scring, parfois. Et il y avait également le froid qui gèle les doigts!
«laver des fenêtres à l’extérieur avec du Windex, quand il fait moins je ne sais pas combien, c’est la pire idée au monde!»
Aussi, pour pouvoir communiquer avec les gens, qui étaient à l’intérieur tandis que moi j’étais dehors, j’avais mes AirPods dans les oreilles et les modèles avaient leur téléphone sur haut-parleur. Comme ça, je pouvais les diriger, leur demander de bouger une lampe, se déplacer, leur donner des indications.
Il y a aussi la participante qui pose avec son lavage. Sur le poêle, on aperçoit une assiette de biscuits, qu’elle venait juste de sortir du four. À la fin de la séance, elle savait que je faisais deux autres shoot dans le froid, et elle m’a offert des biscuits dans un petit sac en me disant « Tiens, pour la run! ». Ça m’a fait tellement plaisir et les biscuits étaient incroyables. Je m’en allais à mon autre shoot, j’avais les doigts gelés, mais je me disais « Au moins, j’ai des cookies, miam! »
J’ai aussi appris à la dure que de laver des fenêtres à l’extérieur avec du Windex, quand il fait moins je ne sais pas combien, c’est la pire idée au monde!
Et dans tous les cas, la petite connexion que j’ai eue avec ces gens-là, pendant deux heures, est vraiment précieuse.
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Quel propos avais-tu envie de porter à travers cette série?
J’aime vraiment cette idée d’immortaliser la période tellement particulière qu’on vit. Genre, « À quoi ressemblait Montréal lors du couvre-feu de l’hiver 2021 », à travers quelques humains et humaines. Ce qui m’a marqué, c’est le nombre de personnes prêtes à participer au projet et à me laisser entrer dans leur intimité. Ça montre à quel point on a un immense besoin de connexion et de contacts en ce moment. Je trouve que mes photos portent ça.
«Ça montre à quel point on a un immense besoin de connexion et de contacts en ce moment»
J’ai aussi vraiment apprécié de travailler dans une certaine lenteur. Tous les soirs après mes shoots, j’allais porter ma pellicule chez le développeur et ce n’est que le lendemain que je savais si j’avais bien fait les choses. Je trouve que cette approche plus lente moins dans « l’instantané » représente bien l’année qu’on vient de vivre.
J’aimerais aussi que ce projet continue de vivre, à travers une expo peut-être. Je pourrais aussi être jumelé avec un.e autre artiste qui a abordé les mêmes thèmes, pourquoi pas. Quand ce sera possible bien sûr. Mais il me semble que ça serait tellement le fun de se souvenir de nos maudites soirées confinées, avec des ami.e.s et un verre de jus de raisin!
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