Logo

Immersion à la manif pour les droits des vapoteurs

Le gouvernement veut interdire les saveurs dans les vapoteuses. Et si ça aggravait la situation?

Par
Billy Eff
Publicité

Au milieu de la foule, on me tend une pancarte où l’on peut lire : « La mangue n’a jamais tué personne », ce qui me fait rigoler parce que je suis allergique aux mangues. Donc oui, une mangue me tuerait.

Je viens d’arriver à l’hôtel Westin du vieux-Montréal en même temps qu’un autobus descendu de Québec. Depuis 9h du matin, en ce lundi printanier au froid mordant, des activistes sont affairés à souffler des jouets gonflables en formes de kiwis, de melons ou encore d’ananas.

Malgré les thèmes fruités, je n’assiste pas ce matin à un rassemblement contre la fermeture d’une usine de production de jus de fruits. Ce sont plutôt près de 200 membres et supporters de la Coalition des droits des vapoteurs du Québec et de l’Association québécoise des vapoteries réunis pour protester contre l’abolition des saveurs dans les liquides de vapotage.

Publicité

Le ministre de la santé du Québec, Christian Dubé, est attendu à l’hôtel pour une conférence où les organisateurs espèrent faire entendre leur voix. Selon eux, en plus d’être infantilisant et un possible enjeu de santé publique, bannir les saveurs signerait la mise à mort de l’industrie du vapotage.

« Ça serait de tuer l’industrie »

Les manifestants arrivent peu à peu, formant un mélange très hétéroclite. Puis vient un camion publicitaire sollicité pour diffuser les différents messages de la Coalition des droits des vapoteurs du Québec et de l’Association québécoise des vapoteries. Clairement, c’est un enjeu qui parvient à fédérer. Je me rends aussi compte que malgré le fait qu’ils viennent tous de régions, voire de provinces différentes, beaucoup de manifestants semblent se connaître.

Publicité

Je demande aux deux personnes à côté de moi si la communauté des vapoteurs est tissée très serrée. Elles me confirment que oui, mais surtout que beaucoup d’entre eux sont employés ou propriétaires de vapoteries. « Ça fait déjà un moment que ce débat-là existe. En 2020, c’était le fédéral qui voulait bannir les saveurs, mais la décision est finalement revenue aux provinces, m’explique l’employée d’un vape shop de la rue Sainte-Catherine. Il y a déjà pas mal de restrictions : le taux de nicotine maximal est passé de 50 à 20 mg, les appellations ont dû être changées pour que ça ne fasse pas trop “bonbon” pour les enfants. Par exemple, il faut appeler ça “ananas-coco”, plutôt que piña colada. »

Les deux employés abondent dans le même sens : avec entre 75 % et 95 % des ventes d’un magasin spécialisé découlant des saveurs, les bannir serait de tuer l’industrie. « Tout le monde que tu vois ici n’aurait plus de job. C’est de retourner les gens directement dans les bras des cigarettiers. »

Une fausse solution

Tous les manifestants avec qui j’ai pu parlé sont unanimes quant au message derrière leur cause : la vapoteuse n’est pas une solution miracle, mais c’est une alternative moins nocive que la cigarette. La forte majorité d’entre eux sont d’anciens fumeurs, qui considèrent que « vapoter a sauvé [leur] vie ».

Publicité

Je me rapproche d’un trio de dames plus âgées, grelottant dans le froid avec leurs pancartes, vapoteuse à la main. Toutes mères et anciennes fumeuses, elles soutiennent que la volonté d’un jeune qui souhaite vraiment faire quelque chose, même si cela contrevient aux règles, est inébranlable.

« On trouvait toujours un moyen de voler des cigarettes aux parents, de l’alcool ou autre. Si un jeune veut boire, fumer, prendre de la drogue, il trouvera toujours un moyen. Je préfère qu’un enfant vapote que fume une cigarette. »

« Tout le monde que tu vois ici n’aurait plus de job. C’est de retourner les gens directement dans les bras des cigarettiers. »

Entre les nuages de vapeur aux saveurs bleuet, punch aux fruits et autres vanille française, les manifestants scandent : « Combustion + goudron = recette de con pour tes poumons! La vape est la solution! » Ou encore : « On veut des tartelettes, pas des cigarettes! » Un porte-parole de l’Association des vapoteries québécoises donne un speech généré par ChatGPT sous prétexte que « l’intelligence artificielle la plus puissante au monde » serait impartiale. « C’est pas moi qui le dit, c’est ChatGPT! », lance-t-il entre deux arguments dans son discours.

Publicité

Et si la cause peut sembler farfelue pour les passants amusés, pour la CDVQ, c’est un enjeu double. Premièrement, l’interdiction des saveurs dans les liquides de vapotage signifierait une perte d’emploi pour beaucoup des gens rassemblés, mais, selon la porte-parole de la Coalition, il s’agirait également d’un enjeu de santé publique.

« Les gens qui sont le plus pénalisés dans tout ça, ce sont les consommateurs, estime Valérie Gallant. Ce que prône le gouvernement, c’est la prohibition totale. Les propositions qu’on avait déjà faites incluent de vendre les produits de vapotage uniquement dans des boutiques spécialisées, plutôt que dans des dépanneurs et stations-service. Un peu comme pour la SAQ et la SQDC, si on met les produits dans des boutiques où l’accès lui-même est interdit à des moins de 18 ans, on règle une partie du problème. »

Un double standard

Selon le gouvernement, et comme plusieurs reportages et enquêtes journalistiques l’ont démontré, c’est un jeu d’enfant pour un mineur de se procurer une vapoteuse. Les détracteurs des saveurs dans les liquides affirment que celles proposées sont trop régressives et attirantes pour les jeunes. Proposez l’arôme tabac à un jeune, il vous dira sûrement non, mais banane-guimauve semblera beaucoup plus alléchant.

Publicité

À cet effet, et bien que l’on entende souvent que la vapoteuse gagne du terrain chez les jeunes, chez les moins de 18 ans qui consomment des produits de nicotine, près du trois quarts continue de préférer la bonne vieille cigarette et très peu la combine avec une vapoteuse. Selon Valérie Gallant, donc, les chiffres mis de l’avant sont trompeurs.

Il faut aussi que la population fasse la distinction claire entre l’industrie du vapotage qui est indépendante et celle du tabac où cinq compagnies se partagent le marché mondial. De plus, la vapoteuse est une invention relativement récente et donc peu réglementée; le gouvernement a donc choisi de la placer avec les produits du tabac, vu qu’elle contient de la nicotine.

Mais dans les faits, ce sont deux produits différents. La vapoteuse, soutient Mme Gallant, peut être un outil de cessation du tabac. Il fut même évoqué à une époque que ces produits soient vendus en pharmacie, près des patchs et gommes anti-tabac.

Un peu comme pour la SAQ et la SQDC, si on met les produits dans des boutiques où l’accès lui-même est interdit à des moins de 18 ans, on règle une partie du problème.

Publicité

Elle se questionne aussi sur le double-standard auquel se confronte leur industrie à cause des déboires des grandes tabatières. Comment se fait-il qu’on puisse vendre des produits alcoolisés ou à base de cannabis avec des saveurs et un marketing attirant, mais qu’on choisisse de diaboliser les vapoteuses? Elle pointe d’ailleurs du doigt la Nouvelle-Écosse qui, après avoir banni les saveurs en 2020, a vu une augmentation de 5.6 % des ventes de cigarettes. Dans la même période, 76 % des vape shops de la province ont fermé.

« On ne va pas régler le problème si on bannit les saveurs, en conclut Valérie Gallant, on va simplement en créer de nouveaux. Les gens vont se tourner vers internet, vers le marché noir. Ou pire, ils tomberont malades en trouvant des moyens DIY de faire leurs saveurs. Est-ce que les gens vont acheter du liquide sans saveur, aller à l’épicerie acheter de l’essence de vanille et mettre ça dans leur vape? »

Publicité