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Imaginer la fin du monde autour d’une bière avec RKSS
« On avait regardé Invasion From Mars dans le sous-sol avec nos parents, sur un lit d’eau. Parce que c’était les années 80 et tout le monde avait un lit d’eau. »
C’est très difficile de ne pas être captivé par Yoann-Karl Whissell quand il parle. Le membre du trio de réalisateurs Roadkill Superstars s’exprime avec éloquence, enthousiasme et un niveau de candeur habituellement réservé aux amis d’enfance. Je le connais depuis cinq minutes, mais j’ai l’impression de le connaître depuis toujours.
Attablés autour d’une bière au pub irlandais McKibbins (le quartier général non officiel du Festival Fantasia), on parle de cinéma tout en esquivant les cacas de mouettes.
« Dans ce film-là, les adultes qui se font prendre par les extra-terrestres deviennent comme des zombies. Pas d’émotions. Quand on a fini le film, je vais toujours m’en souvenir, on s’est tournés vers nos parents et ils avaient exactement la même expression vide sur leurs visages », se souvient-il.
Un sourire complice traverse brièvement le visage de sa petite sœur et collègue Anouk, qui semble aussi se rappeler de ce visionnement familial avec la même intensité. « Moi, c’est mon père qui m’a initié au cinéma de genre alors que j’étais beaucoup trop jeune. Il le disait pas à ma mère. On allait “voir un film pour enfants” ensemble au cinéma et pour vrai, on allait voir Terminator 2 », renchérit François Simard, la troisième pointe du triangle créatif RKSS.
Les créateurs de Turbo Kid et Summer of 84 viennent promouvoir leurs films We Are Zombies et Wake Up au Festival Fantasia qui bat présentement son plein. Deux films qui traitent d’apocalypse à leur manière, un sujet on-ne-peut-plus à propos par les temps qui courent. Avec la guerre, les divisions sur le plan politique et les multiples périls écologiques qui nous guettent, je les ai confrontés à leurs propres démons (zombies inclus).
Divertir d’abord, conscientiser ensuite
Les Roadkill Superstars ont-ils peur de la fin du monde?
« Je pense que tout le monde a peur de la fin du monde parce que tout le monde a peur de perdre son petit confort. Quand je pense au premier Mad Max, mettons, on voit en quelque sorte les débuts de l’apocalypse. À des moments où ça ne va pas bien dans le monde comme par les temps qui courent, on se demande si c’est ça qui nous guette », théorise Anouk.
Malgré que la thématique est plus ou moins récurrente dans au moins trois de leurs films, le trio ne s’estime cependant pas être une sommité en matière d’effondrement social.
« On est peut-être une coche trop dans l’imaginaire pour projeter une situation réelle dans ce qu’on fait. On cherche tout d’abord à divertir les gens », m’explique Yoann-Karl, mi-sérieux, mi-amusé par ma question.
We Are Zombies est effectivement campé dans un réel lointain. Leur adaptation de la bande dessinée The Zombies That Ate The World de Jerry Frissen et Guy Davis explore un monde où les zombies ne sont pas dangereux. Ils causent tout simplement une foule de problèmes allant de l’ordre du social au logistique par leur simple présence.
Prémisse des plus farfelues s’il en est une, l’univers fantaisiste de leur film ne les empêche quand même pas de s’exprimer sur des questions d’actualité.
« La règle d’or, c’est de ne jamais emmerder ton public », renchérit François à propos de la philosophie créative du groupe. « Si tu t’es levé le matin, puis que t’es arrivé en retard à la job parce que t’as eu un flat, ton boss te crie après, tu rentres chez vous, puis tu veux t’échapper pendant deux heures, si on est capable de te faire oublier ta journée de boîte pendant deux heures, c’est que nous, on a réussi ce qu’on voulait faire. »
« C’est important d’avoir ces échappatoires-là. Surtout quand tout va mal », ajoute Anouk.
Le public qui se déplacera pour voir We Are Zombies en salle aura quand même droit à un angle éditorial par la bande. « On voulait parler de la façon qu’on traite nos personnes âgées, comment on les met de côté. De comment on exploite les populations vulnérables », précise Yoann-Karl.
RKSS a cependant un autre film à la programmation de Fantasia : Wake Up, qui sera présenté le 3 août prochain. Une œuvre qui se veut plus sérieuse, sans pour autant tomber dans le réalisme dramatique. Elle met en scène de jeunes militants environnementaux qui se butent à une équipe de gardiens de sécurité pendant l’invasion d’un magasin à grande surface.
« La prémisse de ce film, c’est une guerre idéologique. On s’en sort pas », affirme François qui me semble être le plus interpellé par les enjeux discutés.
« C’est vraiment une réflexion sur notre société d’en ce moment, sur la polarisation et le refus d’avoir des discussions avec les gens qui ne pensent pas comme nous. On y voit ce qui arrive quand ça part en couille. C’est quelque chose qui nous guette tous. »
Le trio est indéniablement engagé, mais en ses propres termes. « On ne jettera jamais le message au visage du monde. Il y a trop de projets comme ça présentement et je trouve que ça manque de subtilité. Personne ne voudra regarder un film s’il n’est pas d’abord divertissant », conclut Yoann-Karl.
Faire des films en gang, réussir en gang
Si le réalisateur hollywoodien est une bibitte étrange et égocentrique dans l’imaginaire collectif, ce n’est pas du tout l’image que renvoie le trio québécois au parcours atypique.
Celui-ci s’est d’abord fait connaître avec le court-métrage Le Bagman au festival SPASM, mais c’est en participant au concours de courts-métrages ABCs of Death à la suggestion de Jason Eisener (le réalisateur du film Hobo with a Shotgun) qu’ils attireront l’attention d’un producteur néo-zélandais prêt à leur donner leur première chance.
« Les portes qui se sont ouvertes à nous étaient sur le marché anglophone. On a essayé pendant longtemps de faire un film de genre en français, mais on s’est beaucoup fait dire non », explique Anouk que ses deux partenaires qualifient de cerveau de l’opération RKSS. « On engage quand même des acteurs d’ici parce qu’on trouve ça important. »
Dans We Are Zombies, on peut voir Alexandre Nachi (L’empereur, Arlette, 1991), Vincent Leclerc (Sortez-moi de moi, Les pays d’en haut), Patrick-Emmanuel Abélard (IXE-13, Complètement Lycée) et même ce bon vieux Guy Nadon (toute). Les Roadkill Superstars sont très fiers de leurs liens avec le Québec et n’ont toujours pas abandonné l’idée de faire un jour un film dans la langue de Molière. Ils estiment que les esprits sont beaucoup plus ouverts aujourd’hui, même si la production de films de genre a encore du mal à décoller au Québec.
« Après le succès de Bagman, on s’est tout de suite mis à écrire un long métrage. On était jeunes et naïfs. Premier script. Premier long métrage. C’était pas aussi bon que ça aurait dû être, mettons. J’aimerais quand même remercier la SODEC de l’avoir lu. C’était respectueux de leur part parce qu’ils ont dû se dire what the fuck une couple de fois », ajoute Yoann-Karl.
RKSS m’assure que le fait de créer à trois crée peu, voire pas de problèmes et j’ai tendance à les croire. Après tout, ils ne se coupent jamais la parole quand ils parlent et il règne une harmonie gracieuse entre Yoann-Karl, Anouk et François. Leur machine créative semble bien rodée.
Après l’entrevue, ils me racontent leur rencontre avec Takashi Miike et Michael Ironside. Yoann-Karl me partage aussi son amour pour John Landis, John Hughes et sa certitude que Maman, j’ai raté l’avion! est un scénario parfait. Pour sa part, François me confie qu’il aimerait un jour diriger Marc Labrèche et Anouk me parle de l’influence du cinéma de Steven Spielberg sur sa propre vision.
Je pourrais jaser avec eux pendant des heures.
Les Roadkill Superstars ne sont peut-être pas prophètes en leur propre pays, mais leur refus de compromettre leur vision demeure une réussite en soi.