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Il y a quinze ans, Transatlanticism changeait ma vingtaine

Hommage à l'album culte de Death Cab For Cutie.

Par
Stéphane Morneau
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En octobre 2003, Death Cab for Cutie était à l’aube de grandes choses, mais le secret était encore relativement intact. Après trois albums indépendants entre 1998 et 2001, DCFC avait amassé un bassin de fans irréductibles, nostalgiques et mélancoliques à l’image des textes de Ben Gibbard et d’une formule relativement simple : celle de la complainte mélodieuse.

L’idée d’un groupe rock sensible, poétique et littéraire était encore nichée et pour les amateurs de la première heure, DCFC venait de commettre l’irréparable : vendre son âme au diable en lançant son nouvel album sous le parapluie d’une grosse compagnie de disque comme Atlantic.

Deux ans après le troublant The Photo Album, Gibbard et son complice Chris Walla unissaient leurs forces afin d’offrir au monde l’album le plus abouti et le plus complexe du groupe : Transatlanticism. Cette proposition audacieuse, doublée d’une visibilité accrue de par leurs nouvelles affiliations contractuelles, offrira à DCFC la rampe de lancement pour les propulser vers les plus hautes sphères de la scène musicale; du jour au lendemain, les tirades nasillardes de Gibbard allaient devenir les hymnes d’une génération résolument amoureuse des sentiments chantés par le groupe.

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Transatlanticism est un concept installé par l’album pour parler de l’amour à distance, une thématique commune pour les onze chansons du disque. « I need you so much closer », répété comme un leitmotiv dans les derniers instants de la pièce-titre, s’imprègne dans nos souvenirs comme une première peine d’amour marque au fer rouge notre parcours sentimental.

https://www.youtube.com/watch?v=ZnSHZ9USUWo

Quand Death Cab for Cutie a dévoilé Transatlanticism au monde, il y avait un climat propice à son éclosion. La populaire série télé The O.C. débarquait sur les ondes la même année et l’un des personnages de la fiction parle abondamment de DCFC comme étant son groupe favori. Du jour au lendemain, Ben Gibbard passa d’obscur chanteur d’un petit groupe indie populaire à l’inspiration des ados accrocs à une série télé dans la lignée des Beverly Hills 90210 de ce monde. Tiraillé entre deux bassins de fans, Death Cab for Cutie s’ouvrait au monde et c’est grâce à la force indéniable des mélodies de Transatlanticism que le groupe a su survivre à ce qui aurait pu vite devenir un désastre pour leur identité.

« What’s the reason why you have been so sad? »

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Au-delà de la crise identitaire du groupe et de ce passage « chez les grands », il faut noter l’intense mélancolie au centre de l’album. Quelque chose comme un journal intime commun partagé par des milliers d’adolescents en quête de repères pour affronter l’âge adulte et ses obligations qui, forcément, les éloigneront de la brutalité des premières amourettes.

Une chanson comme Tiny Vessels, notamment, encapsule merveilleusement cette ivresse ressentie lors d’une rencontre éphémère en voyage, par exemple. « You are beautiful but you don’t mean a thing to me », une honnête déclaration qui n’enlève rien au désir et à l’instantanéité des pulsions. En 2003, nous n’étions par encore dans le marché étourdissant des applications de rencontre et l’amour ne se magasinait pas comme un meuble Ikea. On idéalisait encore le hasard des rencontres et des aléas de la vie; or voilà que Gibbard, à l’aide d’un habile refrain, venait désamorcer cette illusion en plaçant l’accent sur l’inévitable conclusion d’un coup de foudre – aussi fort soit-il.

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L’incontournable effritement des sentiments, tel qu’étalé par les mélodies de Gibbard, devient ici une source de réconfort malgré l’image forte d’un ciel nuageux qui accompagne ce triste constat. Si l’amour comporte des obstacles comme le temps et la distance, les mots de Gibbard et la musique de Transatlanticism restent, eux, imperméables à ces éléments. Il ne reste que les premières impressions de 2003 : la découverte de mes désirs et quelque chose comme un océan de possibles à mes pieds à l’aube de ma vingtaine.

Transatlanticism m’a transporté de multiples façons au fil des ans, dans les joies et les peines, sur la route ou à la maison, mais me laisse toujours de la même façon : au son de la guitare écorchée de la chanson A Lack of Color, longtemps celle qui m’a forcé à revenir vers Death Cab for Cutie malgré les albums moins intéressants qui ont suivis.

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« But I know it’s too late
I should have given you a reason to stay »

Des pièces comme Title and Registration, The New Year ou Passenger Seat ont marqué davantage l’imaginaire collectif, mais j’ai toujours les mains qui tremblotent un peu quand les dernières notes de A Lack of Color s’éteignent doucement dans ma voiture. Il y a, évidemment, des souvenirs intimes reliés à cette chanson, mais aussi à tout cet album de Death Cab for Cutie qui, quinze ans après sa sortie, me rappelle encore d’où je viens et où je voulais aller.

Et je me retourne pour voir le chemin parcouru, sans me soucier de négliger, du même coup, celui qui reste à parcourir. La distance façonne la vie comme les amours et un album, au bon moment du parcours, laisse des traces qui deviendront éventuellement de belles histoires, comme la parois érodées d’une montagne longeant routes et rivières.

« And I’ll sit and wonder
Of every love that could’ve been
If i’d only thought of something charming to say »

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