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« Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas là pour servir et protéger »

Un policier du SPVM se vide le coeur.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je prends un risque en vous écrivant, puisque le SPVM interdit formellement la communication aux médias, il y a même eu une directive en 2012 qui déconseillait fortement toute prise de position politique sur les réseaux sociaux », m’a tout bonnement écrit le policier, avant de conclure son courriel anonyme par un pessimiste : « Bref, la police est malade ».

Le ton était donné.

De mémoire, c’est rare qu’un policier lance – même anonymement – un pavé dans la mare, voire la moindre opinion à contre-courant sur la place publique ou virtuelle.

Le milieu semble opaque et prête peu à la dissidence. D’un côté, il y a le syndicat, de l’autre, la direction, avec son département des communications, qui sortent à tour de rôle dans les médias, au gré de l’actualité et des enjeux.

Entre les deux, il y a quelque 4000 policiers, anonymes, qui ne prennent pas la parole individuellement, sauf à l’occasion, sous le couvert de sources anonymes dans différents reportages.

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Mais le cri du coeur d’un flic lambda souhaitant partager un ras-le-bol qu’il estime généralisé parmi ses confrères et consoeurs de travail, ça arrive aussi souvent que l’unanimité après un Bye Bye.

Donner un chèque en blanc à un policier, à l’heure où les personnes racisées et marginalisées peinent à trouver une visibilité médiatique, c’est un pensez-y-bien. Le policier abonde exactement dans le même sens. Ça fait d’ailleurs partie des raisons qui l’ont mené dans nos bureaux par un jeudi caniculaire.

PVI, je n’ai pas donné de pseudonyme au policier parce que je trouve ça un peu nono de l’appeler mettons Sylvain ou Harold. Ça sera donc «le policier».

PVI, je n’ai pas donné de pseudonyme au policier parce que je trouve ça un peu nono de l’appeler mettons Sylvain ou Harold. Ça sera donc «le policier». C’est peut-être aussi une policière by the way, pour brouiller les cartes. Je suis rusé de même. Pourvu bien sûr que mon téléphone ne soit pas sur écoute, mais me semble que le SPVM n’est pas le genre à faire des affaires de même avec des journalistes.

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Le policier est entré dans le bureau. Pas de description physique ici ni l’adresse du poste de quartier (PDQ) où il travaille, pour ne pas l’identifier.

Comme j’ai écouté beaucoup de films dans ma vie, j’ai d’abord demandé à voir son badge. Un faux policier qui veut planter la vraie police, ça aurait eu le mérite d’être original. Le badge est vrai, comme la carte avec photo.

Un vrai de vrai policier donc.

Voyons voir ce qu’il veut maintenant.

Culture de la paresse

Le policier commence à me parler de George Floyd, des rapports difficiles avec la population sur le terrain, au plus bas depuis le printemps érable de 2012. Il revient sur les évènements de Minneapolis, du regard hostile dirigé contre sa profession. « Être policier c’est un privilège qui me pèse chaque jour, c’est un boulet. Depuis [le meurtre de George] Floyd, c’est sûr qu’il y a un stress. Comme les policiers ont trop abusé, on paye», observe-t-il.

«Ça n’aide pas les personnes racisées quand on se contente de parler de racisme. Ça ne suffit pas. Il faut agir concrètement. Qu’est-ce que Valérie Plante fait concrètement pour les aider ? Rien.»

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Il est urgent à ses yeux d’aller au-delà des carrés noirs en photo de profil du Facebook ou de la reconnaissance du racisme systémique pour faire bouger les choses. « Ça n’aide pas les personnes racisées quand on se contente de parler de racisme. Ça ne suffit pas. Il faut agir concrètement. Qu’est-ce que Valérie Plante fait concrètement pour les aider ? Rien, mais ça paraît bien de s’arrêter à dénoncer le racisme systémique », souligne le policier qui s’attend à plus que de simples paroles pour éradiquer le problème.

Le SPVM a pour sa part reconnu le concept de « racisme systémique », comme recommandé dans un rapport déposé à la mi-juin par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM). Ce document écorche durement le SPVM, faisant notamment état du profilage racial.

La discussion va bon train, puis le policier se met à me parler d’une « culture de la paresse » qui règne selon lui au SPVM, et qui entraînerait – toujours selon lui – de vives tensions à l’interne.

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Cette culture de la paresse irait de pair avec le « gaspillage éhonté » qui sévirait actuellement au service de police, sous la forme de centaines de « postes-tablettes », renchérit le policier.

Ces « postes-tablettes » seraient occupés par des policiers affectés à des tâches administratives, un fléau et un secret de polichinelle connu de tous les policiers, toujours selon lui. « Ils sont partout au Quartier général, dans les centres opérationnels et les PDQ. C’est vraiment terrible. Certains ont eu des chocs post-traumatiques (plusieurs dans les manifs de 2012 notamment), mais ils restent ensuite là pour toujours et ne reviennent plus sur la route », déplore le policier, notant aussi au passage l’inaction de la Ville et des syndicats à ce sujet.

Résultat: le ton serait acrimonieux à l’interne. « Sur les pages FB de policiers, ça chiale, ça sacre en majuscules, le ton est très haineux envers les boss », illustre le policier, dénonçant le manque de solidarité des effectifs en télétravail avec leurs confrères-soeurs en première ligne. « On manque d’effectifs sur le terrain, c’est terrible et gênant. Avec la COVID en plus, nous avions des horaires de 12h à cause des mesures d’urgence », peste le policier.

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Interrogée à ce sujet, la Fraternité des policiers et policières de Montréal confirme que des policiers ont effectivement été mis en télétravail, mais pour « protéger les troupes de la COVID-19 et s’assurer d’avoir suffisamment d’effectifs sains si la contamination se répandait de façon marquée au SVPM ».

Le porte-parole du syndicat policier ajoute que l’opinion du policier « n’est pas vraiment représentative».

De son côté, le Service de police de la Ville de Montréal s’est montré surpris des allégations du policier, niant l’existence d’un climat de travail malsain dans son organisation. « Le SPVM est fier du travail accompli par l’ensemble de ses policiers depuis le début de la pandémie. Le sentiment exprimé par ce policier, qui a droit à son opinion, n’est pas partagé au sein du Service », a indiqué un porte-parole, sans s’avancer sur l’origine, l’existence et le nombre de ces «postes-tablettes».

«On compose avec des gens dont personne ne veut, des personnes sans-abris, marginalisés ou qui ont des problèmes de santé mentale. Pendant ce temps, des centaines de policiers sont à la maison et ne font rien, c’est indécent.»

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Mais le policier persiste et maintient que le climat de travail est houleux, polarisé entre ceux qui vont sur le terrain et ceux qui restent chez eux à ne rien faire. « C’est toujours les patrouilleurs qui écopent en première ligne », peste le policier, qui se demande sérieusement ce que ça fait concrètement une police en télétravail. « Tu aides la population de quelle façon de chez vous au juste?», s’interroge-t-il, raillant à l’idée de voir l’armée débarquer en renfort dans les CHSLD. « L’armée crisse! Ça aurait pu être des policiers en télétravail non? »

Si les besoins étaient criants en CHLSD, ils le sont tout autant sur le terrain pour la police. « On compose avec des gens dont personne ne veut, des personnes sans-abris, marginalisés ou qui ont des problèmes de santé mentale. Pendant ce temps, des centaines de policiers sont à la maison et ne font rien, c’est indécent », déplore-t-il, convaincu que la situation est hautement d’intérêt public.

Surtout, ajoute-t-il, à l’heure où le définancement semble planer au-dessus de la police, d’abord aux États-Unis, mais ici aussi, où des voix commencent à s’élever.

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Cul-de-sac relationnel

En plus des frictions à l’interne, les relations avec la population seraient selon lui dans une sorte de cul-de-sac depuis dernières années, exacerbées dernièrement en marge des tensions raciales aux États-Unis. « On n’a pas de capital de sympathie. On a l’impression que la police est contre la population, mais on est complice de ce qui se passe en gardant le silence. »

Même s’il observe les choses se dégrader, le policier est d’avis que personne n’ose se plaindre en raison des bonnes conditions de travail et aussi parce que tous savent que la population ne se rangerait pas derrière eux.

« Je trouve ça compliqué d’attirer la sympathie envers la police. C’est pas facile, il y a eu des bavures dans le passé et parfois même des bavures dont les policiers n’étaient pas responsables, mais notre direction ne nous défend jamais », plaide-t-il.

Le policier estime que la direction devrait se soucier davantage de l’image de ses troupes et accepter parfois de montrer un visage plus humain.

«En 2012, on l’a échappé. On a arrêté du monde qui n’a rien fait, c’était n’importe quoi…»

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Il écorche au passage l’EMRI (Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance) – dont le travail a souvent fait les manchettes – qualifiée de « show de boucane ». « On ne les voit jamais, ils ne répondent à aucun appel, c’est un stunt, une job de PR. Ils nous demandent parfois d’aller prendre des nouvelles de tel ou tel itinérant, euh…vas-y toi?! », souligne le policier, ajoutant – cinglant – n’avoir jamais croisé un membre de l’EMRI sans café dans les mains.

Le policier dresse également un constat sévère de la gestion du SPVM lors des manifestations étudiantes du Printemps érable, à l’origine d’une détérioration importante des relations avec la population. « En 2012, on l’a échappé. On a arrêté du monde qui n’a rien fait, c’était n’importe quoi…»

C’est à ce moment qu’il dit avoir réalisé que les policiers n’étaient pas seulement détestés du milieu criminel, mais aussi de « monsieur et madame tout le monde ». Un mouvement anti-police qui l’inquiète.

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Pour améliorer les relations, il se dit en faveur des caméras portatives sur les policiers – à l’instar de la majorité de ses collègues – pour les protéger, mais aussi pour calmer ceux qui seraient tentés d’abuser de leurs pouvoirs.

S’occuper de ceux dont on ne parle jamais

Malgré le sombre portrait qu’il fait de son métier, le policier n’a pas l’intention de remettre son badge. Il souhaite juste pouvoir le pratiquer sans « les bâtons dans les roues de tout le monde ».

«Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas là pour servir et protéger et c’est triste…»

Surtout que ce n’est pas le boulot qui manque. « Il faut s’occuper de ceux dont on ne parle jamais, ceux en détresse. L’itinérance et la santé mentale constituent un gros pourcentage de nos interventions. Si on coupe dans la police, j’ai peur qu’on coupe dans les services pour cette clientèle vulnérable. C’est pour eux que je fais ça », tranche-t-il au sujet de cette sortie médiatique, ajoutant que la plupart des policiers n’habitent pas Montréal et sont donc un peu déconnectés de la réalité des quartiers de la métropole. « Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas là pour servir et protéger et c’est triste…», soupire-t-il.

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L’entrevue se termine. Le policier se lève pour partir, me demande si je vais pouvoir tirer quelque chose de tout ça. Il l’espère en tout cas, convaincu que son travail est important et qu’on gagnerait à avoir plus de transparence dans les relations entre la police et la population.

Je ne sais pas s’il va y parvenir, mais d’amorcer un dialogue – même anonymement – est peut-être un pas dans cette direction.