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Il y a 20 ans, j’ai voulu mourir

Témoignage coup de poing de l'auteur Matthieu Simard.

Par
Matthieu Simard
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Avertissement: le témoignage suivant traite de suicide de façon crue et détaillée et pourrait ne pas convenir aux sensibilités de certaines personnes.

Si vous êtes en détresse ou si vous êtes inquiets pour un proche appelez 1-800-277-3553 ou visitez Suicide Action Montréal.

Ce matin, l’auteur Matthieu Simard a publié ce statut coup de poing, où il raconte ce qui lui est arrivé il y a 20 ans. Il accepté, avec beaucoup de gentillesse, qu’on le publie intégralement ici.

Il y a vingt ans aujourd’hui, le 28 novembre 1999 en matinée, j’ai pris le volant d’une Honda Civic couleur argent et je suis allé au Réno-Dépôt. J’y ai acheté du duct tape et un long tuyau de plastique flexible. Puis, je suis allé à la pharmacie et j’ai acheté des enveloppes pour y enfouir les lettres que j’allais écrire au cours de la journée, à chacun de mes amis, à ma famille.

J’ai eu mal à la gorge, aux poumons, c’était censé être indolore, ce ne l’était pas. J’ai eu mal jusqu’à ce que je perde connaissance.

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Cette journée-là j’ai roulé longtemps, nulle part, m’arrêtant de temps en temps pour écrire un mot, froid, un merci pour le passé, machinal. Je m’en souviens comme si ça avait duré quelques minutes, mais quand je me suis arrêté derrière un centre commercial de ville Mont-Royal, il faisait noir. J’ai attaché une extrémité du tuyau au pot d’échappement, l’autre à l’embrasure de la fenêtre, côté passager. J’ai collé du duct tape partout, étanche comme doit l’être la fin du monde. Je me suis assis sur la banquette arrière après avoir actionné les child-locks sur les portières, pour ne pas flancher, pour ne pas m’autoriser à sortir. Puis je me suis penché jusqu’à la clé, j’ai démarré, j’ai attendu. J’ai eu mal à la gorge, aux poumons, c’était censé être indolore, ce ne l’était pas. J’ai eu mal jusqu’à ce que je perde connaissance.

Puis il y a eu un écho, des cris, du verre fracassé, j’étais sur le dos à côté de la voiture, un masque à oxygène dans le visage, on me parlait en anglais, puis l’ambulance, le soir à l’hôpital, la nuit, la chambre hyperbare le lendemain, avec les mourants du cancer des poumons. Et cette petite promesse que je me suis faite, de ne jamais recommencer.

Deux jours plus tard, je me mettais à écrire plus sérieusement qu’avant, ce qui allait devenir mon premier roman. Il le fallait. Vingt ans plus tard, je suis ici. En vie, d’abord. Chanceux de tout. Privilégié. Entouré de mille raisons de tenir ma petite promesse. Vingt ans plus tard, je pourrais difficilement être plus heureux.

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Et je pense à ceux, à celles qui sont à l’an zéro, qui sont incapables aujourd’hui de s’imaginer dans vingt ans parce que tout est trop difficile, tout est trop invivable, douloureux, vide de sens ou écrasant, à ceux, à celles qui pensent que demain sera encore plus difficile, et qu’après-demain ils feraient mieux de ne plus y être.

C’est dur, des fois, être en vie. Des fois, on a beau se faire dire que le dur, ça finit par passer, qu’il y a mieux après, on est incapable d’y croire. Quand on est à l’an zéro, on ne peut pas penser à vingt ans plus tard, on ne peut même pas penser à deux heures plus tard. Mais on n’est jamais seul. Et même si on a la chienne d’avouer qu’on est à terre, même si on sait que l’aide existe et qu’on n’en veut juste pas, on n’est jamais seul, et il y a quelqu’un, quelque part, qui ne demande qu’à nous aider, qu’à nous tenir le bras, qu’à s’écraser par terre avec nous jusqu’à ce qu’on ait la force se relever.

Un sourire, une oreille, un texto, c’est peut-être la différence entre un lendemain et la fin du monde.

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Mais c’est tough, demander de l’aide. Quand on est au plus bas, on a peur de déranger, d’avoir l’air fou, d’avoir l’air faible. Ou on n’y pense même pas, parce qu’on n’a pas l’énergie pour ça. Pas d’énergie du tout. C’est pour ça que ceux autour sont aussi importants. Ceux qui soupçonnent peut-être presque rien. Qui n’ont qu’un minime doute que peut-être il y a une faille dans leur amie, dans leur frère, dans leur collègue. Ceux autour qui voient l’autre souffrir ou s’effacer et qui attendent un signe, une invitation. Le signe, l’invitation ne viendront sans doute pas. C’est comme ça. Et c’est pour ça qu’un sourire, une oreille, un texto, ce n’est jamais de trop. Un sourire, une oreille, un texto, c’est peut-être la différence entre un lendemain et la fin du monde.

Je ne sais pas ce que ça vaut, raconter tout ça ici. C’est la première fois que je parle publiquement de ma tentative de suicide. Mais je me dis que peut-être quelqu’un lira ceci, trouvera que ma vie d’aujourd’hui a l’air pas pire, et décidera que pour lui aussi, c’est possible.

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Que peut-être quelqu’un lira ceci et composera le 1-866-APPELLE ou le 911 au lieu de démarrer le moteur.