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Frédéric Marinelli
Photo: Rodolphe Erinoff

Il s’appelait Frédéric Marinelli

La conjointe et les proches du muraliste racontent l’homme.

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« Notre ami est en train de devenir un potin. »

Quelques jours après le décès tragique de leur ami, Rodolphe Sueur et Alex Legault prennent une bière ensemble dans un bar du Plateau-Mont-Royal et entendent des étrangers discuter du drame qui les afflige, comme s’il s’agissait d’un banal sujet de conversation parmi tant d’autres. Et ça les dérange. Empathique, le barman explique aux badauds que des proches du défunt sont sur place et que leur conversation est déplacée.

Rodolphe, Alex et Amélie Goulet Morissette, la conjointe du regretté Frédéric Marinelli, m’ont donné rendez-vous dans un parc de Rosemont bondé de familles souriantes en cette belle journée d’octobre. Une semaine plus tôt, Frédéric leur a été cruellement arraché pendant qu’il sirotait paisiblement une bière dans son bar favori. Un meurtre gratuit, commis par un inconnu qui l’aurait confondu avec un autre avant de retourner l’arme contre lui. Une rupture qui a mal tourné, dit-on.

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Aujourd’hui, les trois amis ne veulent pas parler de mort. Ils veulent parler de vie. Ils veulent qu’on se rappelle de Frédéric pour autre chose que les circonstances de sa mort.

Personnage plus grand que nature, Marinelli était connu et apprécié des milieux de l’art visuel et de la restauration à Montréal. Il y a fort à parier que vous avez contemplé ses œuvres sans le savoir. Parce que Marinelli rendait le monde meilleur. Plus beau.

« On veut parler de ce qu’on ressent, mais sans écraser la peine des autres », explique Rodolphe. « Plein de gens qu’on ne connaît pas ont manifesté leur peine sur les réseaux. Notre ami a touché tellement de monde. »

Rodolphe Sueur, Amélie Goulet-Morissette et Alex Legault
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Redevenir Zepo1

Quand Amélie Goulet Morissette a rencontré Frédéric Marinelli, il ne peignait plus.

« J’ai rencontré Fred au MR250 (le même bar où le drame s’est déroulé), où ma meilleure amie travaillait. Je venais d’avoir un accident d’auto. J’avais la clavicule cassée, pas d’emploi. Trois mois plus tard, on habitait ensemble. Un an après, on partait peindre ensemble à l’autre bout du monde », raconte la jeune artiste endeuillée.

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette

Graffeur depuis l’adolescence, il a couvert les murs du quartier Outremont de son nom d’artiste : Zepo1. Enfant de bonne famille qui s’accordait mal avec le cadre trop rigide de l’école, la contre-culture artistique et l’éthique punk lui permettent de trouver une communauté. « Il ne se sentait pas comme un vrai artiste parce qu’il y en a tellement qui en faisaient encore plus. Il était insécure. Il nous demandait tout le temps si on aimait vraiment ses toiles et ses murales », ajoute Amélie.

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« On s’est chicanés il y a quelques années et c’est pour acheter une de ses toiles que j’ai repris contact avec lui. Je l’ai engagé pour faire l’entrée de ma boutique de tatouages. Quand il me demandait si j’aimais vraiment son travail, je lui disais : “Je dépenserais certainement pas mon argent sur quelque chose que j’aime pas” », renchérit Rodolphe.

Le « black book » de graffiteur où Frédéric collectionnait ses vieux exploits.

À l’âge adulte, c’est dans le monde de la restauration que Marinelli investira sa créativité. Une carrière idéale pour rencontrer de nouvelles personnes tout en ayant la liberté de voyager à son gré. « Fred a eu une super carrière en cuisine. Il bossait beaucoup avec François Forest. Il a, entre autres, ouvert le Grenade et le Quai No. 4, dans Rosemont. C’était un créatif. Il aimait partir des projets, pas les gérer. Il voulait pas faire du 9 à 5 », se souvient Alex.

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Au contact d’Amélie, Fred se remet à créer. « Au début, on faisait ça à la maison. On dessinait sur nos murs avec des marqueurs. J’aime dire que je l’ai reconnecté avec son ado intérieur », raconte sa conjointe en riant. « Quand on est partis en voyage ensemble, la première fois, il s’est mis à peindre partout : sur le bord de la plage en Indonésie, sur de vieux murs de bois pourri. Même sur les murs d’une vieille prison pour femmes abandonnée. Il était tellement heureux. »

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette

Vous avez probablement vu une de ses œuvres à Montréal. Les murales chez Slice & Soda? Les siennes. La magnifique murale dans l’entrée de la Taverne Saint-Sacrement sur Mont-Royal? Le travail de Fred et Amélie aussi. Celle du MTL Bar? Leur première création commerciale commune.

« Chaque fois qu’il griffonnait, il y avait le prénom d’Amélie quelque part dans le dessin », se rappelle Rodolphe.

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
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Jamais de conversations superficielles

« C’était un enfant unique, mais il s’est bâti une famille. Tous ses amis proches te le diront : il les appelait ses frères », confie Amélie.

Si Frédéric Marinelli a marqué son milieu avec sa passion et son caractère bohème, c’est avant tout sa curiosité qui a fait de lui un être spécial. « S’il voulait apprendre à te connaître, il allait te poser des questions inconfortables pour te connaître vraiment : de quoi t’as peur? De quoi t’as honte? Pendant la COVID, il avait le droit de sortir plus tard avec son chien et il venait chez moi parler seul à seul, le soir. Il était tellement bon pour t’emmener sur des sujets que t’aborderais avec personne par peur du jugement. Il avait jamais peur de toucher des zones sensibles, même si on risquait de se pogner. Ça m’a beaucoup aidé à cheminer », se rappelle Alex.

Un sourire triste se dessine sur les lèvres de Rodolphe. « Quand on s’énervait, il disait : “Pourquoi tu te fâches? Tu le sais que je t’aime.” »

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Après avoir perdu son père, il y a quelques années, il était devenu encore plus sensible aux tourments de ses nombreux « frères ». « Quand un de ses amis perdait son père, il changeait de personnalité. Ça devenait important d’être là pour eux. Je me rappelle, il y a quelques années, après le décès du père d’un de ses amis, il était allé fumer un joint avec devant l’appartement où le papa habitait. Il avait les mots et l’empathie pour ce genre de situation. Il n’avait pas peur de la douleur des autres », raconte Amélie.

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
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Cette générosité et ce courage, Fred avait toutefois de la difficulté à se les accorder à lui-même. Amélie et Alex ont souvent dû lui tordre un bras pour qu’il accepte qu’on lui rende cet indéfectible soutien en temps de crise. « Ça arrivait qu’il s’ouvre. Je suis retombé sur un de ses messages, hier. Après avoir perdu son père, il m’avait écrit : “Je vais avoir besoin que tu me donnes du love” », mentionne Rodolphe.

Amélie, Alex et Rodolphe feront leurs derniers adieux à Fred vendredi, lors de ses obsèques. Malgré le deuil qui pèse lourd sur leurs visages, notre conversation est sereine et ponctuée de rires nostalgiques. Une conversation à l’image de l’artiste.

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
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« Fred, il faisait des déclarations d’amour au monde. C’est comme ça qu’il appelait ses conversations. Tout le monde a toujours su qu’il était super intelligent, même si, au départ, personne ne savait quoi faire avec. Il avait bâti son intelligence émotionnelle dans la rue, avec toutes les défaites et les douleurs que ça implique », évoque sa conjointe.

Il s’appelait Frédéric Marinelli et il continuera à vivre sur les murs de Montréal et dans le regard de ceux et celles qui l’ont connu.

Photo courtoisie d’Amélie Goulet-Morrissette
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