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Il faut (encore) qu’on parle de Jordan Peterson

Le documentaire « The Rise of Jordan Peterson » offre un portrait aussi nuancé que possible d'un personnage qui ne l'est pas du tout.

Par
Benoît Lelièvre
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Ceci n’est ni le premier ni le dernier article à propos de Jordan Peterson.

Le très populaire (et très polarisant) psychologue ontarien a beau pleurer au milieu d’une vidéo YouTube en parlant de Pinocchio, rien ne semble lui ravir un iota de crédibilité. Pas que pleurer devrait lui enlever de la crédibilité (au contraire, il est l’un des rares hommes à avoir le courage de s’émouvoir spontanément en public), mais si tu pleures à cause de Pinocchio, y’a peut-être d’autres émotions que t’as pas vécues, big.

Au départ, la croisade de Jordan Peterson se voulait à propos de la liberté d’expression et de la loi C-16, qui protège l’identité et l’expression de genre contre la discrimination. Peterson craignait que la loi C-16 criminalise son droit de choisir ses propres pronoms quand il parle, crainte qui fut démentie maintes fois par des expert.e.s en droit. Sept ans après son arrivée dans l’espace public, le phénomène Jordan Peterson ne prend encore que de l’ampleur.

Sept ans après son arrivée dans l’espace public, le phénomène Jordan Peterson ne prend encore que de l’ampleur.

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Il est désormais un auteur à succès. Il fait le tour du monde. Il rencontre le gratin. On l’invite à la télé pour discuter de sujets à propos desquels il n’est pas du tout qualifié. Comment diable est-il devenu aussi populaire? Est-ce que ça sert même à quelque chose d’essayer de le combattre dans ce qu’il appelle « la guerre culturelle » ? Est-ce qu’il y a quelque chose à apprendre de sa fulgurante ascension?

Bien que je m’intéresse au phénomène depuis plusieurs années, je n’ai jamais trouvé de réponses aussi satisfaisantes que celles fournies par le documentaire The Rise of Jordan Peterson, une patate chaude culturelle qui date de 2019, mais qui est disponible au grand public sur Amazon Prime Video depuis septembre seulement.

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« I’ve figured out how to monetize social justice warriors »

Laissez-moi vous rassurer, The Rise of Jordan Peterson n’est pas une évangélisation du personnage. La réalisatrice Patricia Marcoccia dresse un portrait complet et responsable du psychologue et passe en entrevue les gens qui le connaissent, les gens qui le détestent, ses adversaires dans « la guerre culturelle » et le bonhomme en question. Le documentaire est complet, équilibré et néanmoins un tantinet terrifiant.

Parce que la montée en popularité de Jordan Peterson est indicative de beaucoup de choses. Pas seulement de la montée en popularité de son discours ultraconservateur, victimisant et très, TRÈS souvent intolérant. Elle est aussi indicative de la façon dont les idées se propagent au XXIe siècle.

Alors qu’il se retrouvait sous les feux nourris des critiques, le psychologue a commencé à être invité par des figures importantes de la médiasphère conservatrice : Sam Harris, Ben Shapiro, Dave Rubin, etc.

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Peterson le dit lui-même si bien dans un extrait d’entrevue avec Joe Rogan : « I’ve figured out how to monetize social justice warriors » (« J’ai trouvé comment monétiser les “guerriers de la justice social” », un surnom utilisé pour caricaturer les activistes). Les gens (et plus particulièrement les étudiants de l’Université de Toronto) ont réagi tellement fort à sa croisade contre la loi C-16 qu’ils lui ont donné une plateforme médiatique et (c’est ma théorie), Peterson n’attendait que ça. Alors qu’il se retrouvait sous les feux nourris des critiques, le psychologue a commencé à être invité par des figures importantes de la médiasphère conservatrice : Sam Harris, Ben Shapiro, Dave Rubin, etc. Il était prêt à ça et il avait quelque chose à dire.

Ce que The Rise of Jordan Peterson illustre bien, c’est la interdépendance technologique et idéologique de notre époque. On a beau être bien intentionné.e.s, on a beau livrer un combat auquel on croit, on est tous et toutes branchés sur la grille technologique des réseaux sociaux où plus on fait jaser, plus on est populaire. C’est en partie pour ça que Jordan Peterson tient le discours qu’il tient. La nuance n’est pas payante pour lui.

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Un individu comme lui était un problème inévitable à notre époque. Si ça n’avait pas été lui, ça aurait été quelqu’un d’autre.

« Whoever will win will be who tells the best story »

Un autre angle intéressant abordé par The Rise of Jordan Peterson est le point de vue des proches et des collègues de Peterson, dont le regretté Bernard Schiff, responsable de son embauche à l’Université de Toronto.

L’homme raconte l’histoire d’un différent Jordan Peterson. Un jeune professeur passionné et dévoué à aider les autres. Le cœur visiblement brisé, Schiff explique les raisons qui l’ont poussé à écrire un article pour dénoncer son ancien protégé. Schiff raconte une conversation téléphonique à l’origine de leur froid. Peterson y parlait d’un rêve fait par sa femme Tammy où l’humanité était au bord du gouffre, qu’il interprétait comme une invitation à en devenir le sauveur.

Si vous connaissez un peu le personnage, vous connaissez aussi son amour pour la pensée religieuse et l’interprétation jungienne des rêves.

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Si vous connaissez un peu le personnage, vous connaissez aussi son amour pour la pensée religieuse et l’interprétation jungienne des rêves. Dans 12 Rules for Life, il affirme à plusieurs reprises que la Bible est la fondation de l’ordre social depuis 2000 ans. Dans Beyond Order, il insiste pour interpréter toutes les problématiques sociales à travers le filtre du mythe biblique. Oui, c’est une manière extrêmement alarmante de voir les choses. C’est tout aussi inquiétant de comprendre que ce que Jordan Peterson désire vraiment, c’est d’avoir sa congrégation à mener. Qu’il y croie dur comme fer comme il l’a admis à son vieil ami au téléphone ou que son projet soit cynique et dévoué à son propre culte, le résultat est le même.

Jordan Peterson est un leader charismatique. Ce qu’il veut ultimement, c’est raconter la meilleure histoire. Les dégâts sociaux qu’il cause en chemin, il s’en fout.

Mon opinion sur Jordan Peterson

Si vous lisez 12 Rules for Life, c’est clair comme de l’eau de roche qu’à un moment donné (loin dans le passé), Jordan Peterson a aidé beaucoup de gens à regagner un sentiment de contrôle sur leur vie.

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Il le fait encore jusqu’à un certain point à travers ses ouvrages et ses discours sur YouTube, mais il se sert maintenant de cette valeur ajoutée dans la vie des gens afin de recruter de jeunes personnes vulnérables dans son culte de la personnalité. Il réconforte d’abord et endoctrine ensuite.

Ce qu’il veut, c’est que vous achetiez ses produits, des billets pour ses conférences, et surtout, SURTOUT, que vous ne le questionniez jamais.

J’utilise le terme « culte de la personnalité » dans une optique contemporaine ici. Jordan Peterson ne veut pas que vous vous rasiez la tête et chantiez des chansons en son honneur. Ce qu’il veut, c’est que vous achetiez ses produits, des billets pour ses conférences, et surtout, SURTOUT, que vous ne le questionniez jamais, comme on ne questionne jamais un père de famille qui nous outille pour la vie.

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La croyance principale du culte de Jordan Peterson, c’est que le monde est bien comme il est et que les gens qui proposent des changements veulent la perte des gens comme lui, qui ont du succès dans le monde tel qu’il est. Regardez The Rise of Jordan Peterson en fin de semaine. Surtout si vous l’aimez beaucoup. Il n’est pas ma tasse de thé, mais je comprends ce que certaines personnes trouvent au bonhomme. J’ai lu ses livres. J’ai trouvé quelques passages de 12 Rules for Life franchement inspirants. Ne vous laissez juste pas avoir par son manque de nuance quand il se met à raconter des atrocités sur les réseaux sociaux. Ça lui profite à lui. Pas à vous.