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Humour : quand la diversité dérange

« Lorsqu’on est habitué aux privilèges, l'égalité ressemble à de l'oppression. »

Par
Marie-Hélène Racine-Lacroix
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C’est étrange, mais, dernièrement, j’attire les confidences de certains collègues masculins sur la difficulté d’être un homme en humour. Dans les loges et les coulisses circule cette idée que les femmes, les personnes queers et les personnes racisées sont injustement favorisées dans les soirées d’humour, les galas et les apparitions télévisuelles. Ça ne serait pas juste pour les hommes blancs.

Je ne surprendrai pas grand monde en vous apprenant que je ne suis pas d’accord. Le milieu artistique a toujours été disproportionnellement avantageux envers les hommes, la blancheur et l’hétérosexualité, et il me semble absurde de voir cette tendance vers une plus grande diversité comme mauvaise. Oui, les personnes marginalisées ont un peu plus de place, mais dans un univers où les plateformes et les soirées d’humour se multiplient, c’est le cas pour tout le monde.

Une plus grande variété d’artistes veut aussi dire une plus grande richesse dans les sujets et l’humour exploré. Je n’y vois que du bien. Honnêtement, combattre les injustices dans notre milieu devrait être un but en soi, point.

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Le 27 juillet dernier, Katherine Levac écrivait que tout aussi récemment qu’en 2014, on lui disait explicitement qu’on ne voulait pas plus d’une femme par gala d’humour. Encore aujourd’hui, beaucoup de soirées ne dépassent pas ce quota, en plus de recevoir très peu d’humoristes racisé.e.s.

J’ai quand même eu des échos d’hommes fâchés par l’existence de soirées comme le Womansplaining ou les Bad girls du rire, où ils ne peuvent pas jouer. Le public de ces soirées se distingue souvent de celui des soirées plus conventionnelles. À mon dernier passage à Drôle en queer, un membre du public m’a confié qu’il pensait détester l’humour, mais qu’on l’avait fait changer d’idée. Ce n’est pas la première fois, ni la dernière probablement, que j’entendais ça. Ces soirées sont nécessaires.

Ça m’attriste de réaliser que certains gars voient la présence de gens différents d’eux comme une menace.

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Ça m’attriste de réaliser que certains gars voient la présence de gens différents d’eux comme une menace. J’ai l’impression qu’ils ne réalisent pas le sous-texte de ce qu’ils disent. S’ils voient une femme comme une voleuse de place, c’est qu’ils pensent, plus ou moins consciemment, qu’elle ne la mérite pas. Quand ils me nomment une femme qui, selon eux, monte trop vite dans le milieu, je ne peux que me demander de quel droit ils jugent son travail. Si elle se fait engager, c’est qu’elle répond aux besoins d’un certain public, non?

Malgré la frustration que j’éprouve face à ces discours, j’ai quand même de l’empathie pour mes collègues masculins qui m’ont exprimé ces idées. Je vois dans ce qu’ils disent une vraie déception, un vrai sentiment de trahison, que je veux essayer de comprendre.

Une citation qui flotte sur internet m’a frappée : « Lorsqu’on est habitué aux privilèges, l’égalité ressemble à de l’oppression. » Je crois qu’on tient une première clé pour comprendre le sentiment de victimisation de ces hommes. On leur a menti. On leur a dit que le terrain de jeu leur appartenait, pas qu’ils allaient devoir le partager. On leur a fait croire que s’ils travaillaient assez fort, leur place serait garantie. Ils voient les contrats qu’ils ne décrochent pas, ou les places sur des spectacles qui vont à d’autres, comme injustement volés par une personne qui est « juste là pour remplir des quotas ».

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L’affaire, c’est que l’humour, comme n’importe quelle industrie capitaliste, n’a jamais réellement été une méritocratie. Les opportunités ont toujours été offertes à ce qui allait vendre. Je ne peux que me dire que c’est tant mieux si en ce moment, ce qui fait vendre, c’est d’avoir un souci d’égalité.

C’est tant mieux si en ce moment, ce qui fait vendre, c’est d’avoir un souci d’égalité.

Il y a aussi une conséquence d’être un homme blanc hétérosexuel dans les arts qui m’a été soulignée et avec laquelle je peux compatir. Puisqu’ils sont majoritaires, et par conséquent nombreux, il peut être dur pour les humoristes masculins de se démarquer. Il est plus difficile d’être choisi quand, du point de vue d’un diffuseur par exemple, on est interchangeable avec dix autres humoristes faisant du matériel semblable au nôtre. Bien que j’aie de l’empathie pour cette frustration, je remarque quand même que la majorité des plus grands vendeurs sont toujours des hommes, tout comme les personnalités nommées aux Olivier.

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Aussi, ce problème n’est aucunement la faute des femmes ou des personnes marginalisées, et nous dire que notre réalité est « plus facile » à cause de ça me semble un peu niaiseux quand on considère tous les autres défis reliés à nos identités. Beaucoup d’hommes blancs en humour n’ont pas de difficulté à travailler et à se démarquer, et surtout, ne blâment pas les femmes pour leurs échecs.

C’est là, je pense, que le bât blesse quand on entend parler de ces hommes et de leur sentiment d’injustice. Même s’ils sont sincères, il est difficile de ne pas rouler des yeux quand on compare ce sentiment aux réelles injustices vécues par les autres. J’espère seulement qu’il ne s’agit que d’un mouvement passager, et non d’une descente vers une hostilité de leur part. Je leur souhaite de remettre leur vision en perspective et, sincèrement, de décrocher toutes les opportunités qu’ils désirent.

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