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Hommage aux rues barrées de Montréal

(Pour vrai.)

Par
Rose-Aimée Automne T. Morin
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Pas une voiture qui roule, pas une stationnée non plus. Qu’une large surface parfaitement sécuritaire sur laquelle défiler, à notre rythme, sans le moindre tracas. Même pas besoin de s’arrêter aux lumières. On n’a qu’à rouler et sourire en entendant les enfants s’amuser (ou les adultes sacrer en montant la maudite côte Berri).

La semaine dernière, j’ai compris pourquoi des dizaines de milliers de cyclistes participent chaque année aux évènements organisés dans le cadre du Tour de l’Île de Montréal. C’était mon premier Tour la Nuit, et je n’en suis toujours pas revenue.

Les virées de cyclistes

Étonnamment, tandis que je découvrais avec délectation l’effet grisant de la liberté sur deux roues, certaines personnes vivaient une grande frustration.

En lisant La Presse, j’ai appris que la conseillère municipale de Côte-Saint-Luc souhaitait le malheur des cyclistes qui participeraient au Tour de l’Île.

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Ruth Kovac, par exemple. En lisant La Presse, j’ai appris que la conseillère municipale de Côte-Saint-Luc souhaitait le malheur des cyclistes qui participeraient au Tour de l’Île. Elle l’avait même spécifié sur Twitter : « Il y a déjà beaucoup de détours à cause de chantiers de construction. Ça tient les résidents en otage, c’est irresponsable et égoïste. J’espère qu’il pleuvra fort toute la journée. »

C’est sans doute une réaction vaguement immature, mais j’ai envie de déménager dans son quartier juste pour voter contre elle. En même temps, si je voulais affronter chaque personne qui a manifesté son ras-le-bol du Tour de l’Île, il faudrait probablement que je prenne une sabbatique…

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Oh, celui-là est particulièrement intéressant! Montréal est une ville adaptée aux cyclistes, alors pourquoi vouloir rouler au milieu des rues une fois par année, hein?

Man, notre ville est tellement adaptée que j’évite complètement certaines artères de peur de me faire frapper. Que même lorsque je roule dans les bandes cyclables, certaines voitures s’amusent à me frôler. Que je croise souvent des vélos blancs. Qu’on se braque quand une rue devient une autoroute cyclable. Qu’on a chialé pendant des années contre un maire qui pensait moindrement son arrondissement en fonction des cyclistes…

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Certes, cet automne, Montréal a été nommée meilleure ville cyclable d’Amérique, mais ça ne veut pas dire que tout est parfait. Et même si tout l’était, pourquoi les cyclistes n’auraient-ils pas droit à leur tournée montréalaise un week-end par année?

Ce n’est pas une manifestation, c’est une fête! Une célébration de la ville, de son architecture qu’on peut découvrir sous un angle différent (j’ai roulé au milieu du Stade olympique, ce n’est pas rien!); de ses citoyens festifs qui déploient leurs encouragements le long du parcours; de ses terrasses où on a envie de s’arrêter; de ses odeurs de lilas, de pain et d’herbe mouillée; de sa magnifique vitalité.

C’est un moment de communion dans la bonne humeur et l’exercice physique. Qui peut vraiment s’opposer à ça (à part une hypothétique femme forcée d’accoucher sur le trottoir, incapable de traverser l’Avenue du Parc, mettons)?

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Les ventes trottoir

Je vous préviens : si je vous tape déjà sur les nerfs, vous allez m’haïr dans les minutes qui suivent.

J’habite au coin d’une artère très achalandée. Une artère qui était complètement fermée la fin de semaine passée, à cause d’une foire commerciale. Alors quand j’ai terminé mon tour de nuit, je suis rentrée chez moi en sachant que je ne pourrais pas circuler en voiture dans les jours suivants. Que ce serait rien de moins que l’enfer de sortir mon char.

Je fais donc partie de ces personnes PRISONNIÈRES des activités montréalaises. Et vous savez quoi? Je n’en suis pas fâchée.

Pourquoi? Parce que pendant 72h, j’ai vu des milliers de personnes déambuler sans leur aura de stress habituel. Et que j’en ai profité pour errer, moi aussi, sur une rue que je croyais connaître, mais que je prends rarement le temps d’observer pour vrai.

C’était doux comme le fumet de sloppy joe qui imprégnait l’avenue.

Je ne dis pas que Montréal devrait bannir ses chars. Je comprends la frustration des personnes qui doivent réviser leur itinéraire, changer leur horaire, se cogner le nez à des détours indéchiffrables. Mais j’ai envie de croire que ces mêmes personnes ont à cœur la santé de leur ville.

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J’ai même croisé des voisins que je n’avais jamais rencontrés. Ils bénéficiaient de ce week-end sans voiture pour revitaliser notre ruelle. Plusieurs personnes y roulent trop vite, d’autres y jettent illégalement leurs déchets. De manière 100% citoyenne, ils ont donc entrepris de construire de grands bacs à fleurs, avec des palettes de bois gracieusement offertes par le supermarché d’à côté, question de signifier que cet espace est habité.

Ils nous construisaient un cocon meilleur.

Est-ce que ça se serait passé sans rues barrées? Peut-être, mais ç’aurait été moins simple, moins sécuritaire et moins paisible. Contrairement à tous les autres jours de l’année, des enfants courraient dans la ruelle. J’en suis convaincue : cette pause et cet espace sont infiniment importants pour la vitalité d’un quartier.

Je ne dis pas que Montréal devrait bannir ses chars. Je comprends la frustration des personnes qui doivent réviser leur itinéraire, changer leur horaire, se cogner le nez à des détours indéchiffrables. Mais j’ai envie de croire que ces mêmes personnes ont à cœur la santé de leur ville. Et que si elles étaient témoins du bonheur qui émerge quand on se laisser aller aux évènements collectifs que nous offre la métropole, elles ne s’opposeraient plus à une poignée d’avenues [très] momentanément fermées.

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À qui la rue?

Bref, j’adore ces rares moments où on nous offre les rues toute entières. Comme une petite brèche dans l’ordre établi pour nous rappeler à qui elles appartiennent, pour nous faire rêver à ce qu’on pourrait devenir ensemble.

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Et je suis peut-être trop romantique, mais je vous jure que les sourires d’enfants que j’ai croisés dans les derniers jours valaient amplement vos 90 minutes de retard au brunch dominical.

– Signé : une fille qui habite le supposément infernal Plateau-Mont-Royal et qui possède une voiture