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Hier soir, je suis décédée sur une chaise

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Dans le cadre de certaines de mes fonctions de pigiste, il m’arrive, IL M’ARRIVE de quitter le logis et la tiédeur de mon thé. De me retrouver en terrain expérimental. En terrain où mes sandales Teva n’ont guère grip sur le papier peint et où, à défaut de me tenir bien droite, je ne peux que pointer le pied quand on me soulève de terre d’une main latine.

Je n’ai pas vécu l’extraordinaire.
Je n’ai pas sauvé de fille du Roy des périls de la polio ou d’une vilaine ligne de sourcil.
Je suis allée au 281.

AH. Une autre qui va nous conter une histoire d’enterrement de vie de jeune fille de malaise de brassière lousse de quinquagénaire en boisson qui perd connaissance devant un gars qui se verse un pot de Coppertone sur la dine.

Peut-être.

C’est que je suis rentrée là pleine de préjugés. Pour le shift, le globe oculaire qui roulait par en arrière, petite main de Jasmin Roy prête à être présentée d’un geste ferme à tout appendice ou mamelon trop enthousiaste qui pointerait en ma direction.

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C’était jeudi soir. Et le jeudi soir, c’est soir d’auditions, au 281. Parce que ça n’arrive pas de Copenhague dans une belle boîte coiffée d’une poupoune, wrappé dans du papier-bulles et la péperette couverte d’une pellicule plastique pour en préserver le lustre, ces monsieurs-là. Ça auditionne. Dans le vrai monde. Et pas à côté de la machine à eau de la kitchenette en arrière.

Tu veux danser et vivre de la versatilité de ton muscle fessier capable de suivre la cadence de « Malbrough s’en va t’en guerre »? Fantastique. Signe ici et après le numéro de monsieurs qui dansent habillés en blanc (pas celui-là ni le prochain. L’autre), c’est à toi, mon diable.

Et hier soir, il n’y avait qu’un diable. Un seul quidam qui espérait passer du sol au stage et qui avait préparé un petit récital.

UN PETIT RÉCITAL.

Avoir envie de prendre quelqu’un dans mes bras de même, je ne vis pas ça souvent (sauf si ledit quelqu’un s’avère être un animal chaussé de très petits bottillons). Gaminet ajusté aux pores, pantalon kaki équipé de pratiques zips qui permettent de se dénuder le jarret sur commande et le fedora prêt à être mis en valeur par d’habiles manœuvres circassiennes, il était prêt. Le même trac qu’au premier spectacle de flûte à bec, mais avec quelques timides mécaniques pectorales et une suggestion de très, très grand pénis. La maladresse du up tempo. Le regard fuyant, puis le désarroi et le désir soudain que Whitney Houston finisse sa cristi de balade.

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J’ignore s’il eût été bienvenu de m’élancer sur scène pour le soulever d’une poigne ferme, en princesse, et le sauver de sa carrière qui était en train de pas débuter. Je n’ai hélas pas eu le temps d’étudier la question, parce qu’évidemment, évidemment, mes collègues de travail avaient décidé de payer une danse à la stuck up de la gang.

Et la stuck up, c’était moi.

La petite femme funné-fun-FUN qui écrit des articles sur les vedettes et qui se trouve bien smarte, derrière son clavier. Mais surtout celle qui allait payer pour avoir un jour réglé ses bills en écrivant pour Occupation Double. Pas « sur ». « POUR ».

Il y a de ça plusieurs printemps déjà, j’étais de ceuzécelles qui passaient des veillées entières à scruter les caméras de surveillance de la téléréalité pour en pondre des articles phares, des chefs-d’œuvre d’insignifiance qui n’apportaient rien à l’aventure humaine, mais qui fournissaient plutôt des mois d’amertume et d’insécurité aux concurrents éliminés qui découvraient que j’avais écrit huit chapitres sur leur inhabileté à manger un grilled cheese ou le fait qu’ils faisaient ben du bruit en respirant, des fois.

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C’est fou, comme tout ça te revient quand le gars d’Occupation Double, le danseur qui avait créé scandale de par sa simple identité de danseur et non d’homme sexé régulier – JIMMY – vient déposer son petit stage en plastique à tes pieds.

C’est que ça se promène avec une scénette, ces petits hommes-là. Histoire d’être surélevés de trois pouces de plus quand leur regard croisera le tien en contre-plongée et que tu chercheras ta mère.

Savait-il qui j’étais? J’en doute. Le destin, mes collègues chaudailles et un certain pourcentage de vie de marde avaient simplement décidé de me faire vivre ce moment-là.

Alors.

Le respire dans l’oreille suivi d’un « T’as-tu un chum? » qui te fait sentir femme, unique et désirable, débute le trois minutes le plus long de ton existence. Étrangement, je ne me sens pas objet, je ne le trouve pas objet, y’a pas un objet dans c’te sapristi de bar-là, et ça me met mal. Comment ça se fait, donc, que je vis pas de scandale? Que personne ne hurle Mirador?

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Personne ne hurle Mirador parce que tout le monde est hypnotisé par le fait que Jimmy vient de m’écarter les cuisses comme jamais cuisse ne fut écartée, pour mimer une habile spéléologie périnéale de ses deux doigts – DANS MON PÉRINÉE À MOI, CE PÉRINÉE QUI N’ÉTAIT PAS PRÊT – se les sacrer dans la bouche en ne me quittant jamais pupille du regard, puis se les faire aller au vent, d’un geste sûr et souple (j’ai pas tout saisi de cette partie de la chorégraphie, prête à me mettre les pieds dans les étriers et à faire une face de spéculum froid dans le bijou).

Pour l’honneur de mon hypothétique descendance, je me devais de garder la face (une face qui était déjà rendue à la station Namur).

Collègues en liesse, Jimmy était désormais agenouillé dans mon entrejambe à me faire constater que bien que mes jeans manquaient furieusement d’élasthane, il était impossible, IMPOSSIBLE que ce genre de moment-là ne m’arrive pas en plein peak menstruel, l’utérus qui se sépare les eaux et le kotex qui ne s’attendait pas à tant d’attention quand je l’ai sorti de sa boîte avant de partir.

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Le pinnacle de ma vie de femme? Un Jimmy gentleman devant ma détresse qui me rassure d’un langoureux « Inquiète-toi pas. Tu sens bon ».

Hier soir, je suis décédée sur une chaise.

Juste après que son collègue latin 100% de mèche ne me soulève de terre d’un seul bras, recréant le fameux porté de Dirty dancing, mais par la fourche (UNE FOURCHE AVEC AILES).

Ce sera tout.

La bise.

PS TENDRESSE :: le numéro du gars qui se verse de la Coppertone sur la dine, c’était plutôt chouette.