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M. Cohen,
Malgré la distance, nous marchons côte à côte depuis des années.
Vous m’avez appris la beauté et la complexité.
Vous m’avez appris les femmes et les hommes.
Vous m’avez appris à ne jamais prendre une décision lorsque j’avais envie d’uriner.
Il y a quelques années, mon remède à une difficile peine d’amour fut de prendre la voiture vers New York, vos mots en guise de guides vers le sud des Adirondacks. Ce sont vos mots qui m’ont poussé à entrer dans le Chelsea Hotel sans en avoir le droit, puis à visiter cet endroit comme on visite un musée; ce sont eux qui m’ont poussé à mettre le pied à l’intérieur de chambres qui n’appartenaient à personne et à tout le monde.
Je ne pouvais rien y faire, les portes entre-ouvertes permettaient à la lumière d’entrée dans les sombres couloirs.
J’ai perdu l’amour. Je l’ai retrouvé. Ensuite j’ai perdu la santé. Paralysé dans un lit d’hôpital, je me suis bercé sur Popular Problems. Pendant des semaines, hanté par la peur, la larme à l’oeil et la morphine au corps. Vous m’avez accompagné dans ma plus grande fragilité. J’étais laid, mais j’avais la musique.
Je croyais que, comme vous l’avez si bien dit, la fête était terminée. Finalement, je suis retombé sur mes pieds.
Nous avons partagé Joshu Sasaki Roshi. Vous au Mount Baldy Zen Center, moi au Enpuku-ji Zen Center, à quelques pas au nord de votre demeure montréalaise où l’odeur de bagel règne toujours.
Je racontais aux gens que le jour où je vous rencontrerais, je vous poserais trois questions. À chaque fois, on me demandait lesquelles. Je répondais que je les partagerais après votre mort, car elles vous appartenaient. J’ai justement eu cette conversation la semaine dernière.
Finalement, j’ai compris ce matin que je ne les partagerai jamais. Maintenant, elles m’appartiennent.
Ce matin, je ne pleure pas la mort d’un artiste. Je pleure celui qui m’a été le plus fidèle lors des pires moments de ma vie. Les plus grandioses aussi. C’était vous.
Rions de mon innocence, celle grâce à qui j’ai donné 1000$ à un quasi-inconnu afin qu’il m’assure des places pour votre dernière visite à Montréal. Rions de mon manteau de pluie bleu qui ne sera jamais populaire. Rions de nos blessures.
Rions de ceux qui n’entendent pas le sens totalement sexuel d’Hallelujah. Rions de ceux qui n’ont pas encore compris que les bons gars perdent. Rions de ceux qui, toute leur vie, essayeront, à leur façon, d’être libres.
So let’s drink to when it’s over
And let’s drink to when we meet
I’ll be standing on this corner
Where there used to be a street
***
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