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Hell Camp : Teen Nightmare et le marché des ados « en détresse »

La vie était pas nécessairement meilleure avant Internet.

Par
Benoît Lelièvre
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De prime abord, je ne suis pas une personne foncièrement nostalgique.

C’est partiellement dû au fait que le passé est facilement accessible en ligne depuis trente ans. C’est difficile de se sentir nostalgique de choses dont j’ai jamais eu le temps de m’ennuyer. Aussi, cétait pas si hot, la vie avant Internet. On se faisait des peurs avec rien et ça faisait parfois souffrir beaucoup de monde.

Pensez-y. À l’époque, Donald Trump était une icône de prospérité. On voyait aussi des satanistes partout et les parents étaient constamment terrifiés de ce que leurs enfants allaient devenir. Pour pallier cette angoisse, on cherchait des solutions magiques aux problèmes de drogue et de sexe chez les adolescents (réels ou imaginés), mais surtout à l’impolitesse et aux différends idéologiques.

Ainsi est née l’époque où l’on a commencé à envoyer les ados dans des camps disciplinaires. Une époque où c’était jugé inquiétant de préférer Kurt Cobain et Marilyn Manson à ses parents et le président des États-Unis. Oui, on a fait beaucoup de chemin.

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Le documentaire de Liza Williams Hell Camp : Teenage Nightmare, paru en catimini le 27 décembre dernier sur Netflix, nous renvoie vers ce passé sans iPhones, ni tablettes, où l’on était tous bien ancrés dans le moment présent. Pour le meilleur et surtout, pour le pire.

Fausses bonnes idées et mauvaise gestion

L’histoire de Hell Camp : Teenage Nightmare débute avec les bonnes intentions d’un dénommé Steve Cartisano, ex-membre des forces de l’armée de l’air américaine (ça impressionne toujours les gens), qui affirmait avoir trouvé la solution à tous les problèmes de la jeunesse en perdition. Parce que cette idée selon laquelle la jeunesse est plus intoxiquée, désespérée et moins respectueuse que jamais ne date pas de hier.

La solution? Leur faire littéralement traverser le désert.

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Oui, oui! Je ne vous niaise pas. Steve Cartisano et ses chums de l’armée ont commencé à traîner des ados rouspéteurs en rando dans le désert de l’Utah sur une distance d’environ 800 km à la fin des années 80. L’objectif de ce traitement choc? Mettre les jeunes en situation où ils n’ont pas le choix de devenir responsables pour eux-mêmes et les amener à comprendre qu’ils ne sont pas le centre du monde. Ça fait du sens sur papier, non?

Au début de l’entreprise aussi, ça faisait du sens. C’est-à-dire, lorsque c’était juste Cartisano et ses employés qui faisaient la traversée eux-mêmes avec un seul groupe d’adolescents à la fois. Dans le documentaire, certains de ces ados ont même témoigné que l’expérience avait été formatrice, pour eux.

Sauf que ces succès ont rapidement permis à Cartisano de trouver une tribune dans les médias sensationnalistes de l’époque (on peut penser ici à l’émission du journaliste de Fox News Geraldo Rivera) et que ce dernier s’est mis à vanter sa méthode comme étant la solution ultime à tous les problèmes de comportements des adolescents. Plein de monde l’ont cru, parce qu’il avait démontré que ça pouvait fonctionner et qu’à l’époque, on prenait toutes nos informations à la même place, c’est-à-dire, dans les talkshows américains d’après-midi.

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Le charisme de Cartisano lui vaudra une vague de nouveaux clients, un besoin urgent de nouveaux employés et en le moins de temps qu’il n’en faut pour crier « problématique », ses randonnées à travers le désert de l’Utah sont devenues abusives et une jeune personne en est morte. Si vous pensez que c’est horrifiant, il ne s’agit malheureusement que du début de l’aventure.

Ce que Hell Camp : Teen Nightmare ne dit pas, mais démontre bien

Comme tout bon documentaire, Hell Camp : Teen Nightmare trace un portrait plus large que celui de l’histoire qu’il raconte. Notamment, celui d’une panique morale causée par une évolution culturelle inévitable : l’avènement de la télévision câblée.

Dans les années 80, alors que les postes de télévision ne cessent de se multiplier, la compétition pour les cotes d’écoute est devenue féroce et la priorité des diffuseurs est passée de « relayer l’information avec exactitude et pertinence » à « raconter l’histoire la plus racoleuse et sensationnaliste » afin de pouvoir garder l’argent des annonceurs et c’est à partir de cette époque que la télé s’est mise à prioriser l’émotion sur l’exactitude.

Les enfants, la morale et l’éternelle perdition des jeunes générations ont toujours été des sujets sensibles chez nos voisins du sud, un contexte qui aura permis à Cartisano de se transformer en véritable messie pour cette industrie et son besoin grandissant de contenu.

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Est-ce que la mort de la jeune Kristen Chase aurait pu être évitée? C’est difficile à affirmer. Tout ce qu’on peut dire hors de tout doute, c’est que même si Cartisano fut déclaré non-coupable suite à un procès hautement médiatisé, c’est cette mort qui a alerté la population à la nature abusive de ces excursions.

Toutefois, avant que l’adolescente ne rende l’âme, la popularité des camps de « thérapie sauvage » était en pleine expansion. Le manque de réflexion critique autour d’une mode parentale a mené un organisme à gonfler au-delà de ses capacités et son fondateur à prioriser les profits plutôt que la sécurité des adolescents dont on lui confiait la garde.

Personnellement, je tiens Steve Cartisano comme principal responsable de la mort de Kristen Chase et des sévices subis par une foule d’autres jeunes. Cependant, je reconnais que cette situation est le résultat direct de la folie médiatique créée autour d’une supposée panique morale et qui a fourni l’environnement nécessaire à l’éclosion de ces fameux camps de redressement.

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Non, je ne m’ennuie pas de cette époque et après avoir regardé Hell Camp : Teen Nightmare, je m’en ennuie encore moins. J’aime notre époque où on questionne systématiquement les tenants et les aboutissants de tout avant qu’il n’y ait des victimes. L’anti-nostalgie ne sert pas juste à cesser de s’ennuyer du passé. Elle nous aide aussi à mieux apprécier les acquis de notre époque.