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Haut les mains! Vous êtes en état d’arrestation…citoyenne! 

Comment une loi datant de l'époque médiévale s'applique-t-elle en 2020?

Par
François Breton-Champigny
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Si on vous dit les mots «arrestation citoyenne» et «Scooby-Doo», probablement que le lien entre les deux ne vous vient pas automatiquement à l’esprit. Pourtant, la gang de hippies se baladant en van pour pogner des méchants est pas mal pro en la matière.

Bon, évidemment, tout ce qui entoure une véritable arrestation citoyenne, ou « arrestation sans mandat par quiconque » dans le jargon légal, est plus complexe et suppose plus qu’enlever le masque d’un mécréant déguisé en fantôme flanqué d’un shérif à grosse moustache.

Tout ce qui entoure une véritable arrestation citoyenne est plus complexe et suppose plus qu’enlever le masque d’un mécréant déguisé en fantôme flanqué d’un shérif à grosse moustache.

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Dans la vraie vie, on ne peut pas avoir recours à cette loi qui découle de l’Angleterre médiévale sous n’importe quel prétexte. Plusieurs nuances s’imposent et dans certains cas, sa mauvaise interprétation peut mener à des dérives, comme a pu le constater le journaliste de Radio-Canada à Ottawa Daniel Thibeault la semaine dernière, lorsqu’un grand gaillard l’a accosté en pleine rue, clamant que le journaliste était sous état d’arrestation citoyenne.

Brian Kidder, le justicier du dimanche, a pris l’animateur des Coulisses du pouvoir pour Mario Beaulieu, un député du Bloc québécois qu’il jugeait responsable, comme tous les législateurs d’Ottawa, d’un «traitement inéquitable dans sa cause découlant d’un accident de travail», selon La Presse.

En « l’arrêtant » en pleine rue, l’homme faisant partie du groupe anti-masque The Canadian Revolution jugeait qu’il exerçait son «droit constitutionnel», puisqu’il y avait «entrave à la justice» dans son cas.

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Dans un contexte où la confiance envers les autorités semble s’effriter à mesure que la COVID gagne du terrain et où des groupes se déclarant «libérateurs» et «révolutionnaires» poussent comme de la mauvaise herbe, on peut se demander comment dealer avec une telle loi.

Pour comprendre ce que ça implique, on s’est entretenu avec Arij Riahi, avocate s’intéressant aux libertés civiles et au droit constitutionnel.

Une loi nécessaire, mais pas si simple à comprendre

«On ne peut pas arrêter n’importe qui, n’importe quand, déclare d’emblée Me Riahi. Il faut d’abord savoir que l’article 494 du Code criminel canadien, celui régissant une arrestation par un simple citoyen, est encadré par plusieurs règles».

Pour justifier l’utilisation de cette loi, monsieur et madame Tout-le-Monde doivent, entre autres, être témoins de l’«individu en train de commettre un acte criminel», avoir des motifs «raisonnables» de croire que l’individu a commis une infraction criminelle ou vouloir intercepter le malfrat en train de fuir les autorités.

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La personne qui procède à l’arrestation doit le faire dans un «délai raisonnable après l’infraction de l’acte criminel» et livrer le malfaiteur aux agents de la paix.

«Ce que la loi dit, c’est que non seulement la personne doit être prise en flagrant délit, mais il faut que l’acte soit jugé comme criminel.»

Encore pas trop clair? L’avocate a un exemple précis pour vous. «On peut penser à un agent de sécurité. Il n’a pas les mêmes pouvoirs que les policiers, mais il peut tout de même arrêter un voleur pendant son shift et le détenir en attendant les forces de l’ordre. Il exerce dans ce cas-là son droit en vertu de l’article 494 du Code criminel», explique Arij.

Malgré son rôle «essentiel» dans notre système de justice, l’avocate reconnaît que les règles régissant l’arrestation sans mandat peuvent être techniques et difficiles à comprendre pour un citoyen moyen. «Ce que la loi dit, c’est que non seulement la personne doit être prise en flagrant délit, mais il faut que l’acte soit jugé comme criminel».

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Par exemple, si un fêtard fait du tapage en pleine nuit, on ne peut pas l’arrêter en vertu de l’article 494 puisque ce n’est pas considéré comme un acte criminel aux yeux de la loi.

«Sentir qu’on subit une injustice ne concorde pas nécessairement avec un acte criminel. Ça peut être complexe pour quelqu’un de juger du caractère de l’infraction au moment des faits s’il ne sait même pas ce qui est criminel ou non», explique Arij.

Quand la loi se retourne contre soi

En 2009, un épicier du quartier chinois de Toronto et deux de ses employés ont été arrêtés après avoir capturé un voleur et l’avoir gardé en otage durant une heure.

Les trois hommes croyaient appliquer leur droit constitutionnel en voulant stopper le malfrat, mais les policiers dépêchés sur les lieux ont jugé qu’ils avaient dépassé les limites de la loi et les ont coffrés pour voies de fait et séquestration.

L’épicier et ses deux compagnons ont finalement été blanchis de toutes accusations un an plus tard. Le juge de l’époque a décrété qu’ils avaient utilisé correctement leur droit d’arrestation sans mandat.

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Cet incident a mené à un amendement de la loi en 2012 qui a donné une plus grande autonomie aux Canadiens souhaitant utiliser l’arrestation citoyenne dans un délai «raisonnable».

«Si on regarde les cas d’arrestation sans mandat dans la jurisprudence, c’est rare que ça finisse bien.»

L’histoire de ces trois hommes ne représente cependant pas la majorité des cas d’arrestation citoyenne selon l’avocate. «Si on regarde les cas d’arrestation sans mandat dans la jurisprudence, c’est rare que ça finisse bien».

Il peut même être risqué d’agir au nom de l’article 494. «Mal interpréter la loi peut carrément mener à de nouvelles accusations», observe Arij.

«Ce qui est important de comprendre, c’est que cet article de loi ne permet pas de se faire justice soi-même. Il ne sert qu’à agir de manière exceptionnelle pour empêcher un crime d’arriver et appuyer les policiers. C’est tout».

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En d’autres mots: si un voyou s’enfuit avec votre sac à dos, vous pouvez essayer de l’intercepter. Mais pensez-y à deux fois avant de jouer à Batman.