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Harry Styles et le queerbaiting : une éternelle énigme

Esthétique vide ou identité réprimée? Personne ne semble totalement convaincu.

Par
Malia Kounkou
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Ici-bas, tout est cyclique : le roulement lent des quatre saisons, le mot de passe fort que l’on oublie car il est justement fort et le débat mensuel sur Harry Styles et le queerbaiting (soit « l’appât queer »). Cette semaine, la discussion a été ressuscitée à la suite d’une entrevue parue lundi dans le magazine Rolling Stone et dans laquelle le chanteur et acteur britannique se livre sans se livrer mais en se livrant quand même (sa grande spécialité) sur sa vie personnelle et ses futurs projets cinématographiques.

« Le nouveau Roi de la Pop », est-il couronné en page de couverture et ainsi éclate déjà le premier scandale, la fanbase de Michael Jackson comme le neveu de la regrettée légende musicale absolument furieux de voir ce titre octroyé au plus offrant. Puis, le magazine est ouvert à la page de l’entrevue et éclate un nouveau festival d’outrages, l’un d’entre eux plus amplifiés que les autres. Et vous aurez bien sûr deviné lequel : celui du queerbaiting.

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Queerbaiting 101

Pour bien comprendre pourquoi cette accusation spécifique suit Harry Styles plus férocement qu’un stalker en chandail « Treat People With Kindness », il faut comprendre ce qu’est exactement le queerbaiting et ce que cette pratique implique.

«Lorsque nous critiquons le comportement de quelqu’un comme étant du queerbaiting […], nous mettons l’emphase sur ses intentions et pas seulement sur ses actions.»

Dans sa traduction littérale française, la présence du mot « appât », aussi brutale soit-elle, n’est pas anodine. Il s’agit effectivement ici d’emprunter les codes et éléments culturels propres à la communauté queer sans soi-même en faire partie pour ensuite capitaliser dessus et s’attirer sympathie et soutien de la part des personnes LGBTQ+. Une similarité de logique est décelable avec le procédé d’appropriation culturelle par lequel certain.e.s n’hésiteront pas à emprunter l’esthétique d’un peuple entier, mais enjamberont allègrement les bagages politique et identitaire qui s’y raccrochent.

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« Lorsque nous critiquons le comportement de quelqu’un comme étant du queerbaiting […], nous mettons l’emphase sur ses intentions et pas seulement sur ses actions », explique Justin Bengry, docteur et professeur en histoire queer à l’Université de Londres, chez Euronews. « En effet, nous les accusons d’abuser délibérément de leur privilège et même de nous tromper sur leur propre compréhension d’eux-mêmes pour attirer l’attention et même bénéficier socialement et financièrement de cette attention. »

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Un pied dedans, un pied dehors

Harry Styles verse-t-il donc dans ce stratagème trompeur ? Pour beaucoup, l’indice est dans la garde-robe. Car certains jours, le chanteur posera avec une robe à froufrous dans un média, puis il se présentera avec un sac à main sur un tapis rouge, puis il se revêtira d’un manteau rose fluo au festival Coachella, puis il inaugurera sa propre gamme de vernis. Et le reste du temps, il ne sortira publiquement qu’avec des femmes et ne décrira principalement que des relations hétérosexuelles dans ses chansons.

Malin ou prudent; il n’en reste que Harry Styles est ici dans son plus grand droit.

S’il y a ici une grande dissonance pour de nombreuses personnes, pas pour le concerné. En effet, selon lui, l’un n’empêche pas l’autre lorsque tout est fluidité. « Si je vois une belle chemise et qu’on me dit : “Mais c’est pour les femmes”, je pense : “Okaaaay? Ça ne me donne pas moins envie de le porter” », partage-t-il ainsi à The Guardian en 2019. D’une entrevue à l’autre, il manie le flou avec clarté et ne confirme ni n’infirme sa sexualité au grand jour. « Ce n’est pas un cas de : “Je ne te le dis pas parce que je ne veux pas te le dire” », poursuit-il dans cette même entrevue, après que sa potentielle bisexualité ait été supposée par le journaliste. « C’est : “Qui s’en soucie?” »

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Malin ou prudent; il n’en reste que Harry Styles est ici dans son plus grand droit. Personne ne peut le pousser au coming out, si coming out il pourrait y avoir, et ce, quand bien même serait-il une personnalité publique dont les faits et gestes sont internationalement connus et observés. L’obligation à prouver sa non-hétérosexualité devant le monde entier est d’ailleurs pointée du doigt comme de l’hypocrisie ciblée, pour ses fans. « C’est [toujours] : “personne ne te doit de coming out“, “la sexualité n’est l’affaire de personne mais la tienne”, “la communauté est un endroit sûr”, “exprime-toi comme tu veux” jusqu’à ce qu’il s’agisse de Harry Styles », souligne en ce sens une internaute sur Twitter.

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Une ambiguïté qui dérange

Malgré cela, le doute du queerbaiting n’est jamais loin. Cette semaine, lorsque le chanteur est apparu dans Rolling Stone pour promouvoir le prochain film de romance gaie dont il est le héros, My Policeman, il a mis le feu aux poudres avec cette réflexion spécifique : « Une grande partie du sexe gai dans les films, c’est deux gars qui se donnent, et cela enlève en quelque sorte la tendresse. » Dans un monde où Moonlight ou encore Call Me By Your Name existent, cette observation a été perçue comme une marque de dédain et d’ignorance extrêmes à l’endroit de la culture cinématographique queer. « Il n’a clairement pas vu beaucoup de films LGBTQ », a déploré la journaliste Jude Dry dans Indie Wire. « À moins qu’il ne parle de porno, la plupart des cinéphiles auraient du mal à nommer de quels films parle Styles. »

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Dans la foulée, des membres de la communauté queer ont fait ouvertement part de leur irritation quant à l’ambiguïté sexuelle de longue date cultivée par Harry Styles, car d’un côté, elle lui procure une liberté que personne ne peut lui enlever, mais de l’autre, elle lui donne une autorité que nul.le ne sait légitime sur des problématiques qui pourraient ne pas être les siennes. « Harry Styles doit arrêter de cosplay en tant que gai. Arrête de jouer avec nous et notre expérience pour ta propre exposition commerciale », a réagi le journaliste Benjamin Butterworth sur Twitter. « Le fait est qu’il n’a jamais rien dit de substantiel, mais continue de prononcer ces commentaires vagues qui obtiennent de la publicité plus rapidement que presque tout ce qu’il peut dire. On doit se demander, pourquoi ? »

Un combat à l’interne

Mais ce « pourquoi » est délicat et nous ramène encore à la liberté sexuelle de l’autre ainsi qu’à notre légitimité à exiger qu’elle soit nommée. Il nous ramène aussi au fait qu’au sein même des adorateurs et adoratrices de Harry Styles, un groupe considérable de fans spécule sur sa sexualité et sa vie amoureuse plus férocement encore que ses détracteurs extérieurs.

Cette affaire est si dense qu’elle porte son propre nom — la conspiration « Larry Stylinson » — et mériterait son propre article.

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Et ces spéculations précises ne datent pas d’hier, oh que non. Elles remontent à ses débuts adolescents au sein des One Direction et allèguent dur comme fer qu’il est depuis en couple caché avec Louis Tomlinson, un autre membre de ce boysband. À la manière du DaVinci Code, les fans qui en sont persuadé.e.s voient les signes de cette union partout : dans leurs regards, dans leurs postures, dans leurs tatouages, dans leurs tweets, dans leurs paroles de chansons et même dans leurs peluches. Ces fans se donnent alors pour mission de faire triompher coûte que coûte leur amour, convaincu.e.s de combattre une homophobie dont Harry Styles et Louis Tomlinson seraient victimes, et pour ce faire, anéantissent à grands coups de harcèlement en ligne, diffamations poussées et théories rocambolesques tout ce qui pourrait entraver cette relation de près ou de loin.

Ce violent baptême du feu, tout le monde y passe : les ami.e.s proches de Harry Styles et Louis Tomlinson, leurs collègues de travail, les membres de leurs familles respectives, mais surtout, surtout, leurs partenaires. « Pouvez-vous imaginer aller à un deuxième rendez-vous romantique avec quelqu’un et dire : “OK, il y a ce coin de [ma communauté de fans], et ils vont dire ceci, et ça va être vraiment fou, et ils vont être vraiment méchants, et ce n’est pas réel” », a déploré Harry Styles dans Rolling Stone, décrivant avec lassitude cette partie habituelle de son quotidien. Louis Tomlinson, dont l’existence de son enfant a été niée et diabolisée par ce même groupe de fans, a également réfuté toute existence de romance et rendu ceux et celles qui y croient responsables de son lien dégradé avec Harry, la sur-analyse constante de leurs faits et gestes ayant eu raison de leur amitié.

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Cette affaire est si dense qu’elle porte son propre nom — la conspiration « Larry Stylinson », mélange linguistique de « Louis Tomlinson » et « Harry Styles » — et mériterait son propre article. Elle met également en lumière une toute nouvelle motivation derrière le mystère que maintient délibérément Harry Styles : celle de ne plus laisser sa sexualité et ses relations être dictées par qui que ce soit d’autre que par lui-même. Et entre cette sphère intime qui lui revient et les craintes légitimes d’une communauté queer, peut-être existera-t-il un jour un terrain d’empathie mutuelle.