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Mais pourquoi? Pourquoi l’éclosion saine de nouvelles formations politiques devrait-elle s’arrêter pour rentrer penaude dans l’une des deux Églises PLQ/PQ?
Il y a un problème de division du vote au Québec. Inutile de le nier, c’est mathématique dans ce détestable système uninominal à un tour conçu pour deux partis, un rouge et un bleu qui alternent immanquablement au pouvoir comme si ce pouvoir leur était dû. Quand on en aura assez de ce système, on votera pour ceux qui veulent le changer.
Alors quand un parti qui prône le maintien du système actuel lance un appel solennel au sabordage des autres partis pour qu’ils ne nuisent pas trop à la défense de sa moitié de monopole sur la politique québécoise, on peut rester perplexe. Il faudrait le faire « pour le bien de la cause », disait-on. Ce qui devrait être fait pour le bien d’une cause, ce serait de mettre celle-ci devant des considérations de protection de parti. Ce serait, par exemple, d’accepter de discuter avec une autre formation d’ententes ponctuelles pour contourner le système actuel qui ne respecte pas le choix démocratique de sa population dans l’allocation des sièges. Aucun parti ne mérite le double des sièges que sa proportion des votes n’indique. À l’autre extrême, aucun parti ne mérite d’être écarté de l’Assemblée nationale quand des dizaines de milliers de citoyens l’appuient. Quand Mario Dumont était le seul élu de sa formation malgré l’appui d’un demi-million d’électeurs, c’était un crime démocratique, qu’on aime ou non ses idées.
La cause ici, au sens où je l’entends, c’est de faire du Québec un pays en bonne et due forme qui contrôle lui-même tous ses instruments de décision. Près de 200 autres pays dans le monde le font sans jamais regretter d’être maîtres chez eux. Nous sommes dus, et comment! Mais en quoi est-ce que ça aiderait cette cause qu’un parti clairement souverainiste, qui a le courage d’en parler avant, pendant et après une élection, se saborde pour joindre un parti qui semble avoir perdu la flamme de ce côté? Halte-là les haters, je ne dis pas que les militants d’autres partis ne sont pas souverainistes, suffit la mauvaise foi, maturez un peu.
En fin de semaine, on a cité Bourgault en exemple pour inviter au sabordage des partis souverainistes (sauf un, celui qui suggérait les sabordages…). Le parallèle me semble quelque peu maladroit. D’abord, parce que le RIN était un véhicule plus vieux (fondé en 1960) qui se sabordait pour joindre un nouveau véhicule (fondé en 1968) qui allait être mené par René Lévesque et Jacques Parizeau. Si on veut suivre cet exemple historique, les sabordés devraient donc venir d’une formation plus vieille pour se joindre à une formation toute neuve. Je vous laisse compléter le raisonnement.
Mais aussi, et surtout, parce que citer Bourgault sans trop se souvenir de ce qu’il disait, ça peut être dangereux. Pierre Bourgault mettait régulièrement en garde le « nouveau véhicule » de l’époque qu’il devrait inlassablement faire la promotion de la souveraineté du Québec, sans quoi il était inutile, voire nuisible à la cause. Me croyez pas? Voici une citation de Bourgault que m’a rappelée ma collègue Catherine Dorion:
« Si l’exercice du pouvoir pour les souverainistes ne conduit pas à l’exercice de la souveraineté, alors ce pouvoir est vain et illusoire. Il constitue un piège dans la mesure où il occulte les véritables enjeux en les reportant à plus tard, au risque de les voir disparaître de nos préoccupations collectives. (…) Moi, je dis qu’il est suicidaire pour les souverainistes d’abandonner leur idée tout en disant qu’on ne l’abandonne pas. Il faut en parler de plus en plus, quitte à nous retrouver dans l’opposition, là où se trouve notre idée, de toute façon. Si cette idée, acceptée et défendue par plus de 40 % de Québécois, ne vaut pas la peine d’être prônée ouvertement, alors que le Parti québécois et ses chefs aient le courage de la retirer du programme. Car à qui fera-t-on croire qu’on y tient quand elle ne sert plus qu’à masquer notre volontaire impuissance? »
Pierre, je t’aime (sur celle-là en tout cas).
Bourgault parle de ne pas reporter à plus tard. Un peu comme si le PQ faisait une CAQ 2.0 de lui-même et disait « faisons d’abord le ménage et nous verrons ensuite pour la souveraineté ». Oh pardon, on me glisse à l’oreille que le PQ a dit exactement ça en fin de semaine. Coudonc.
Bourgault parlait aussi d’avoir le courage de faire la promotion de la cause, quitte à se retrouver dans l’opposition temporairement. Ou même perdre son siège, pourquoi pas. Parce que si les leaders de la cause se disent qu’ils vont gagner plus facilement sans leur cause, que diantre foutent-ils dans un parti souverainiste? Si le désir de gagner une élection l’emporte sur la volonté de parler de souveraineté, que ces gens se présentent pour l’un des multiples partis qui ne parlent pas de souveraineté dans leur programme. C’est simple. Il y a de la place en politique pour ceux dont l’objectif premier est carrément d’être député, mais il ne faut pas berner les gens en faisant croire que c’est d’abord pour certains principes. Halte-là aussi les haters, je n’ai jamais dit que tous les députés actuels sont des carriéristes, mais il y en a.
Note aux voteurs « stratégiques »: Faire en sorte que les libéraux ne soient pas au pouvoir n’est pas un projet de société.
Et puisqu’on parlait de gestes à poser pour aider la cause, il y en a un autre qui est grandement nécessaire pour redonner un tant soit peu de légitimité démocratique à nos élections et qui, bonheur, aiderait probablement la cause du même coup: insérer une composante de proportionnalité dans notre mode de scrutin pour l’allocation des sièges qui en découle.
À l’époque de René Lévesque, ce dernier était plus populaire que son parti et son parti était plus populaire que la souveraineté. Qu’il se soit opposé à plus de proportionnalité pour ne pas nuire à l’élection de souverainistes était donc, somme toute, logique (bien que très questionnable sur le plan du respect du vote démocratique, qui devrait toujours être la priorité même s’il rejette nos idées). Or, aujourd’hui, tout s’est inversé. La souveraineté est plus populaire que le PQ et le PQ est plus populaire que sa chef. La conséquence est qu’un système plus proportionnel serait non seulement plus démocratique, il aiderait aussi à l’élection d’un plus grand nombre de députés souverainistes, quel que soit leur parti. Mais encore ici, il faut être capable de se sortir de la dynamique dinosaurienne qui vise d’abord à protéger les acquis de son parti et l’atteinte du pouvoir majoritaire. C’est dépassé et contreproductif dans la nouvelle réalité politique québécoise. C’était donc une double erreur de la part du PQ de retirer cet élément de sa plateforme: à la fois sur le plan démocratique et sur le plan de l’avancement de la cause.
J’y reviens, il faut faire attention quand on cite Bourgault sans trop savoir ce qu’il disait. Pierre Bourgault avait demandé la démission du chef du PQ dans les années 80, le jugeant trop mou et frileux face à la cause indépendantiste. Et ce chef s’appelait René Lévesque…
Si Bourgault prônait un sabordage aujourd’hui, lequel serait-ce?