Vous faites votre café, par un doux matin de mai. Il n’y a que le chant des oiseaux par la fenêtre entre-ouverte et le son du percolateur pour briser le silence. Vous êtes paisible. Puis, soudain, un cantique de Noël résonne à toute force.
« LES ANGES DANS-ANS NOOOOS CAMPAGNES! »
Vous sursautez en vous demandant ce qui pogne à votre voisin. Vous serrez la ceinture de votre robe de chambre et sortez en le maudissant intérieurement. Vous cognez à sa porte et lui ordonnez de baisser le son, franchement! Il est confus. De quelle musique on parle, exactement? Pourquoi il écouterait des chansons de Noël en mai? Est-ce que tout va bien?
Vous rentrez chez vous, confus. Vous vous habillez et décidez d’aller prendre de l’air. La musique vous suit. Vous ne comprenez pas.
Elle ne partira pas.
Qu’est-ce qu’une hallucination auditive?
Quand on parle d’hallucinations auditives, on pense souvent à Normand Brathwaite et CKOI. Soyons francs, c’était le meilleur segment de l’émission Y’é trop d’bonne heure. Celui dans lequel on apprenait que le chanteur de Metallica ne dit pas vraiment « Nous battons des œufs et cui-cui, ils sont durs » dans la toune The Unforgiven…
Maintenant, la réalité des hallucinations auditives musicales est toute autre. Il s’agit d’une condition dont souffrent véritablement des gens – surtout des personnes âgées, et en plus grande partie des femmes.
« Il s’agit souvent de gens qui sont sous-stimulés auditivement, qui ont des pertes auditives, qui vivent seuls et qui ont peu d’interactions », m’explique Sylvie Hébert, professeure titulaire à l’école d’orthophonie et d’audiologie de l’Université de Montréal.
«Il s’agit souvent de gens qui sont sous-stimulés auditivement, qui ont des pertes auditives, qui vivent seuls et qui ont peu d’interactions.»
Selon l’experte, il existe plusieurs types de choses qu’on peut entendre dans notre tête. Des paroles, évidemment; des murmures pas clairs, aussi; des sons; et même de la musique. « Les acouphènes, ce sont des bruits, des cillements simples et beaucoup plus fréquents. Entre 15 et 20% de la population entend des acouphènes, à un moment donné. Une hallucination musicale, c’est comme un acouphène complexe! Et c’est beaucoup plus rare. Souvent, ceux qui en souffrent vont entendre des chansons de leur enfance qui ont été encodées dans leur mémoire. On ne sait pas exactement comment ça s’explique… C’est comme si des réseaux de mémoire devenaient soudainement désinhibés et que le disque se mettait à jouer de façon continue, sans interruption. »
Vous avez bien compris. Une fois la chanson partie, elle joue sans arrêt. Et fort, selon les quelques cas recensés dans la littérature scientifique. Parmi ceux-ci, certains arrivent heureusement à « changer de disque » en écoutant une autre chanson. Reste que le silence, lui, ne revient pas.
Doit-on s’inquiéter?
« Je pense que c’est une bonne raison pour consulter », me répond Dre Sylvie Hébert. Le problème, m’explique-t-elle, c’est que certaines personnes peuvent être gênées d’admettre qu’elles entendent quelque chose qui n’existe pas vraiment. Gênée, et angoissées, également.
On les comprend.
Or, les hallucinations musicales ne sont pas associées à un trouble de santé mentale. Bien qu’elles puissent être présentes dans certaines formes de démence, les personnes qui les subissent ont généralement toute leur tête : « Quand on a un symptôme peu courant de ce genre, c’est bien d’aller en neurologie, mais ce n’est pas une question de psychiatrie, résume la professeure. Dans ce type d’hallucinations, il y a souvent une combinaison de pertes auditives et de problèmes au cerveau. Peut-être une tumeur, un AVC, une lésion… Vaut mieux aller vérifier qu’il n’y a pas de trouble sous-jacent. »
Est-ce que ça se guérit?
« Non. »
Un silence se fait, tandis que j’espère un élan d’espoir de la part de Dre Hébert. Elle rit devant mon angoisse et me rappelle que c’est une condition très rare. Pas de quoi se faire aller l’hypocondrie…
« Peut-être que ça s’atténue avec le temps, poursuit-elle. Je crois que les gens s’y font, en fait. Mais on ne connaît pas vraiment de traitements. »
«Je crois que les gens s’y font, en fait. Mais on ne connaît pas vraiment de traitements.»
Ok, alors est-ce qu’il y a moyen d’y voir une opportunité créative? Est-ce qu’un cerveau aux prises avec des hallucinations musicales pourrait imaginer une chanson jamais entendue? Pourrait-il créer une nouvelle mélodie?
Malheureusement pas. Non seulement toutes les hallucinations rapportées concernent-elles des chansons connues, il s’agit souvent de chansons de Noël.
Imaginez passer le reste de votre vie avec Fa la la dans ‘tête.
Imaginez faire l’épicerie, faire vos mots croisés, faire l’amour sur Fa la la. À perpétuité.
On a beau aimé Bundock, un moment donné…