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Gyros, « sud-ouest love » et vélo de route avec Guillaume Cliche-Rivard

Entretien avec le nouveau député de Québec Solidaire dans Saint-Henri-Sainte-Anne. 

Par
François Breton-Champigny
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Le clivage social est omniprésent. C’est mon premier constat lorsque je débarque au métro Atwater, un coin que j’ai peu fréquenté depuis mon arrivée à Montréal, il y a près de dix ans.

En face du métro, des sans-abri se protègent de flocons gros comme des deux piastres dans l’entrée d’une église en se partageant une quille tandis que des touristes françaises aux manteaux puffy cherchent le marché sur Google Maps. Sur Notre-Dame, des restos hips aux cartes de vins natures bien garnies partagent le trottoir avec des enseignes datant du siècle dernier.

Mon entrevue avec le nouveau député de Québec Solidaire, Guillaume Cliche-Rivard, qui vient de rafler le bastion libéral de Saint-Henri-Saint-Anne aux dernières élections partielles, est prévue dans quelques minutes au Greenspot, une institution montréalaise d’après tous mes collègues qui me regardent avec de gros yeux lorsque je leur avoue que je n’y ai jamais mis les pieds.

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Le diner datant de 1947 est plein à craquer pour le lunch. Ici aussi, la mixité sociale est impressionnante. Des baraqués aux dossards fluos et aux caps d’acier sont voisins de banquettes avec des hommes d’affaires aux vestons ajustés. Une petite famille de touristes accoudée au bar regarde tout autour, en plein choc culturel et gastronomique.

Je reconnais tout de suite le grand gaillard à l’écharpe bleue que j’ai vu partout, ces derniers jours. « Ça va, ça va. Occupé. Je ne réalise pas trop encore ce qui se passe. Je pense que ça va me rentrer dedans quand je vais arriver au Salon bleu », répond Guillaume Cliche-Rivard quand je lui demande comment se déroule son récent saut de l’ange dans l’univers politique québécois.

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Il y a à peine 72 heures, l’avocat spécialisé en immigration s’est vu titulaire de l’ancien château fort de Dominique Anglade en remportant plus de 44,5 % des voix. On y reviendra. Pour l’heure, c’est choisir parmi les 27 poutines et autres délices graisseux du Greenspot qui importe.

« Tout est un classique, ici. On peut pas se tromper. On a même amené Gabriel [Nadeau-Dubois] pendant la campagne. Me semble qu’il avait pris une poutine au smoked meat », se remémore Guillaume à propos du co-porte-parole du parti de gauche. Aujourd’hui, le douzième député de QS prend un gyros avec un Pepsi. On est loin du classique deux hot-dogs all dressed avec une frite, son choix de bouffe de cantine de prédilection.

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Je lui exprime ma surprise face à l’absence de poutine dans sa sélection. « Il faut que je la “mérite”. Comme après une grosse ride de vélo », illustre le papa de 33 ans originaire de Saint-Jean-sur-Richelieu qui fait quelques sorties de 100 km par année. Même si on se reconnaît entre amoureux du sport sur deux roues en spandex, pour ma part, pas besoin de suer ma vie pour manger graisseux. J’opte donc pour une poutine avec une rondelle d’oignons en extra.

Politicien par la force des choses

Avant de tâter l’idée d’aller en droit, le jeune Guillaume s’est tourné vers les relations internationales. « Je me suis toujours intéressé aux conflits internationaux et à l’injustice. Vers la fin de mon bac, je me suis particulièrement penché sur le monde arabe et je suis partie faire mon dernier stage en Syrie. »

Au moment de booker ses billets d’avion en 2011, le futur avocat était loin de se douter qu’il serait plongé en plein cœur d’une des crises sociales les plus marquantes de notre époque; celle du « Printemps arabe ». « Il y a eu des moments difficiles. Nous, les étrangers, on s’est fait extrader, tandis que plusieurs de mes connaissances syriennes étaient prises sur place. Beaucoup d’entre elles ont fini par faire des trajets terribles pour changer de pays et certaines ont même péri en chemin. » Cette épreuve a cristallisé la notion de « privilège » pour Guillaume, en plus de le motiver à poursuivre ses études en développement international à la maîtrise.

«Je me suis toujours intéressé aux conflits internationaux et à l’injustice.»

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« J’ai rencontré une prof qui avait besoin de quelqu’un pour faire la liaison terrain dans un centre d’accès à la justice en Ouganda. On faisait des dossiers d’appels pour éviter la déportation d’immigrés de guerre qui n’ont finalement jamais été traités. C’est là que j’ai réalisé que je voulais travailler dans un système de justice qui puisse fournir de vraies réponses aux causes défendues. »

C’est avec cette idée en tête que Guillaume a regagné les bancs d’école afin d’entamer un bac en droit avec l’idée de se spécialiser en immigration. Quelques années plus tard, l’avocat a fondé son propre cabinet et a été au cœur de cas ayant marqué la société québécoise, comme le rapatriement de « deux anges gardiens d’Edward Snowden » depuis Hong Kong et l’affaire Mamadi Camara, cet homme accusé à tort d’avoir agressé un policier du SPVM.

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« Ce sont des cas qui m’ont suivi longtemps. C’est sûr qu’on traîne cette détresse-là à la maison, à la fin de la journée », avoue le trentenaire entre deux bouchées de gyros.

J’essaie tant bien que mal de garder le fil de la conversation en prenant des notes d’une main tout en mangeant ma poutine de l’autre. Pas de temps à perdre avec cet avocat qui a (presque) un horaire de premier ministre.

D’ailleurs, qu’est-ce qui l’a poussé vers cette autre arène de gladiateurs à cravates? « L’arrivée de la CAQ », répond du tac au tac le politicien. L’annulation de quelque 18 000 dossiers d’immigration du gouvernement Legault en 2019 a été le premier gros affront pour Guillaume. « Ça n’avait aucun sens. Plusieurs de mes clients faisaient partie de ces dossiers mis à la poubelle. Certains m’appelaient le soir en pleurant. Je voyais les choses aller et je me disais que je devais aller challenger ça davantage. »

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Je lui partage par la bande ma récente expérience au chemin Roxham dans le cadre d’un reportage. S’il reconnaît l’ampleur de la crise des migrants actuellement, il ne s’en cache pas : le chemin devrait être fermé. « La vraie solution serait de revoir l’entente des tiers pays sûrs qui fait en sorte que des personnes peuvent demander l’asile à un poste non-officiel de douane. Pourquoi est-ce qu’on ne permet tout simplement pas aux gens de demander le statut de réfugié aux postes frontaliers, à la place? Ça permettrait de les rediriger vers les ressources locales et ça éviterait bien des casse-têtes. »

Saint-Henri-Sainte-Anne tatoué sur le coeur

Début 2022. L’avocat commence à se faire courtiser par Québec Solidaire qui aimerait bien le compter dans ses rangs pour l’élection du 3 octobre. Il accepte le défi, tout en sachant qu’il affrontera la cheffe du parti Libéral Dominique Anglade pour le comté de Saint-Henri-Sainte-Anne. Après des résultats décevants pour le parti, Anglade décide de quitter la vie politique un mois plus tard. La voie est donc libre pour le jeune avocat.

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Encore un peu sous le choc, Guillaume s’explique difficilement cette récente victoire. « On a fait énormément de terrain, peut-être un peu plus que les autres. Les gens du sud-ouest ont vraiment un fort sentiment d’appartenance aussi, donc d’avoir un gars du coin qui défend leurs intérêts pour vrai, c’est fédérateur, je pense. »

Pour le moment, c’est la transition vers la vie politique qui représente le plus de points d’interrogations. « On va devoir regarder pour un appartement à Québec, penser à la logistique avec la garderie pour le petit, le covoiturage, puisque je n’ai pas d’auto… C’est quand même intense. »

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Même s’il n’est pas born and raised dans sa circonscription, l’avocat se dit très attaché au quartier dans lequel il habite depuis environ dix ans. Pour lui, le canal demeure encore à ce jour l’emblème de la place. « C’est à la fois un parc pour se rassembler, un moyen de se déplacer avec la piste cyclable, une place pour les petits commerces qui émergent. On peut même faire un pub crawl du canal avec toutes les microbrasseries! » J’avoue aimer particulièrement cette dernière idée. J’en prends mentalement note pour cet été.

«Évidemment, il n’y a pas de recette miracle pour régler cet enjeu. Il faut mettre en place un ensemble de mesures pour que ça fonctionne.»

Le passage des années a également amené son lot de défis pour Saint-Henri-Saint-Anne, notamment la damnée gentrification. « Malheureusement, ça va toujours mettre de la hausse sur les prix, ce qui est autant nuisible pour des commerçants qui essaient de s’implanter ici que des personnes à la recherche de logements abordables. Mais en même temps, on ne peut pas condamner la revalorisation. Le gros défi est d’avoir un équilibre à travers tout ça. »

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L’avocat avoue lui-même contribuer à sa façon à la gentrification puisqu’il est propriétaire d’un logement dans Saint-Henri avec sa conjointe. « Je ne peux pas le nier. Mais on vit dans 800 pieds carrés. On est loin de la démesure », se défend-t-il.

L’accès au logement est justement son principal cheval de bataille pour ce début de mandat. « On parle beaucoup du projet Bridge-Bonaventure, dans Pointe-Saint-Charles, qui permettrait de créer des unités d’habitation abordables. Pour le moment, c’est sur la glace parce que les fonds du provincial ne sont pas là. Mais évidemment, il n’y a pas de recette miracle pour régler cet enjeu. Il faut mettre en place un ensemble de mesures pour que ça fonctionne. »

Je l’avoue, j’ai de la misère à comprendre cet optimisme et cette détermination, surtout à notre époque où chaque challenge n’en attend pas un autre. C’est peut-être une déformation générationnelle, à force de se faire dire de toutes les manières possibles que l’humanité est vouée au précipice, mais quand même, comment rester motivé à travers tout ça?

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Guillaume a une réponse bien simple pour cette question philosophico-emo sur fond de poutine aux rondelles d’oignons. « Je le vois comme un devoir de responsabilité, dans un sens. Avec tous les privilèges auxquels j’ai droit, je me dis que je dois au moins essayer de changer les choses. »

Notre heure de lunch tire à sa fin. Avant de partir, je lui demande s’il a des attentes pour son futur mandat comme député. « Il va y avoir des victoires et des déceptions. Comme c’est présentement le cas avec ma job d’avocat », lâche-t-il candidement avant d’aller régler l’addition.

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Dehors, le député prend la pose devant le Greenspot, les poings levés comme un boxeur prêt à en découdre dans le ring. Reste à voir s’il saura canaliser son Rocky intérieur dans le Salon bleu.

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