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Guy Lafleur n’est plus, mais le Démon blond demeure
Bien rares sont ceux et celles qui savent pointer Thurso sur une carte routière. Mais ce village de quelques milliers d’habitant.e.s en Outaouais, pour le Québec en entier, c’est tout simplement « la ville à Guy Lafleur ». L’aréna porte son nom. Une statue en bronze trône fièrement devant l’hôtel de ville. Tout indique que la légende est née ici.
Guy Lafleur est décédé ce matin. Mais sa légende, elle, est éternelle.
La culture populaire du hockey est peuplée de figures mythiques devenues avec le temps plus grandes que nature. C’est ce qui rend savoureuse cette tradition pleine d’oralité et d’exagération. « J’en ai serré des mains dans ma vie, mais aucune n’a été aussi fermement empoignée que celle échangée avec Guy Lafleur. Crisse, je m’en souviens encore », raconte Donald, un colosse de Notre-Dame-du-Bon-Conseil, en regardant sa main droite.
C’est à croire que toute la génération ayant eu la chance de côtoyer ses exploits semble avoir une histoire de près ou de loin mettant en scène le Démon blond. Et même leurs enfants.
Un ami, qui pourtant ne l’a jamais vu jouer, s’exclame d’indignation après quelques bières : « Ben voyons, Lafleur, first pick overall du repêchage amateur de 1971. Y’a joué pour les Remparts dans le Q. 133 buts. » Comme quoi les passions traversent les époques.
En effet, très tôt dans la carrière de Guy Lafleur, les gens de partout venaient voir la jeune sensation qui remplissait le Colisée avec des foules records de 10 000 spectateurs et spectatrices. Pour Normand, 75 ans, mon voisin qui l’a vu jouer à Québec comme au Forum : « C’est lui qui a mis le Junior sur la map. C’est l’une des dernières grandes icônes québécoises du sport. Tout le monde l’aimait. » Le Trophée Guy Lafleur est aujourd’hui remis au joueur le plus utile des séries éliminatoires de la LHJMQ.
Après avoir signé mon affiche avec élégance et générosité, il a pris soin de se pencher et de me serrer l’épaule. Il n’en fallait pas plus pour émouvoir le garçon que j’étais.
Je me souviens, enfant – je devais avoir 8-9 ans –, avoir attendu des heures, poster en main, à la suite d’un match entre les anciennes étoiles du CH et l’équipe de mon père. Un match pour amasser des fonds quelconques. Sur la petite passerelle du centre Marcel-Dionne, de grandes vedettes d’antan défilaient et signaient mon affiche, mais la seule qui comptait vraiment, c’était Guy Lafleur, et ce, même si je n’ai vu aucun de ses 560 buts. Après avoir signé mon affiche avec élégance et générosité, il a pris soin de se pencher et de me serrer l’épaule. Il n’en fallait pas plus pour émouvoir le garçon que j’étais.
« Guy Lafleur, pour moi, c’est le beau bonhomme, le fumeur de clope, le slap shot à l’aile droite, le gros accent en anglais qu’on pouvait tous se reconnaître dedans », analyse Richard, le conducteur de la zamboni d’un aréna qui a déjà vu de meilleurs jours.
On pourrait faire l’éloge et décortiquer les statistiques d’une carrière absolument exceptionnelle : Six saisons de suite avec au moins cinquante buts et cent points. Premier au classement des meilleurs pointeurs de la plus grande franchise de l’histoire du hockey. Deuxième au chapitre des buts derrière Maurice Richard. Mais il représente bien plus que des exploits de carte de hockey.
Pour Claude, vénérable gardien de but de 72 ans que j’intercepte dans le couloir après une game de garage, « Lafleur, c’est l’époque des joueurs sans casque, l’incarnation des glorieuses années 1970, des Canadiens et leurs cinq coupes Stanley; du hockey qui était plus que des millions, qui était la vie ».
J’ai appelé mon père pour écouter ses souvenirs. « La première fois que j’ai vu Lafleur, c’était à l’école moderne de hockey à Montréal, me raconte-t-il. J’avais 14 ans, lui 16. Il participait à des entraînements et tout le monde le regardait les yeux grands ouverts sachant que c’était la prochaine grande vedette. C’était un phénomène. »
« Même vieux, il patinait comme une fusée. Mais le plus impressionnant, c’était à quel point il était vraiment un chic type. »
« J’ai joué trois fois contre lui après sa carrière dans la LNH, poursuit-il. Écoute, même vieux, il patinait comme une fusée. Mais le plus impressionnant, c’était à quel point il était vraiment un chic type. Avant une game, dans le couloir entre les deux chambres, il m’a passé son bâton, me parlait comme si on était des amis. Il était sympathique, facile d’accès, toujours disponible pour tout le monde même si c’est le plus grand joueur de son époque. »
Propriétaire de restaurants, vigneron, pilote d’hélicoptère, gambler, membre du Temple de la renommée du hockey, décoré de l’Ordre national du Québec : on pourrait ainsi s’étendre longtemps. Il aura eu une vie bien remplie malgré qu’il soit parti si jeune, mis en échec suite à une longue lutte contre un cancer des poumons. Il avait 70 ans. On savait tous et toutes que Flower ne fumait pas juste entre les périodes.
Il nous quitte en héros, proche d’un peuple qui l’a aimé – et qu’il a aimé.
Il nous quitte en héros, proche d’un peuple qui l’a aimé – et qu’il a aimé. Une relation presque intime de réciprocité. Il aura signé un nombre incalculable d’autographes. C’était un joueur gracieux, flamboyant, tout en restant toujours un gars d’ici. Guy Lafleur. Quel nom.
Après la perte de Mike Bossy, la mort du célèbre #10 s’ajoute au deuil de la communauté sportive qui doit graver un nom de plus au mémoriel des grands. On perd un autre fabuleux marqueur naturel, lui qui comptait aussi sans effort, le sourire fendu jusqu’aux oreilles et surtout, les longs cheveux au vent.
Guy Lafleur symbolisait quelque chose de plus grand et de plus beau que le hockey. Un immortel, maintenant au paradis.
Le film d’une vie exceptionnelle se termine. Par ses exploits et sa classe, il aura marqué bien plus que des buts sur la glace, mais la mémoire collective de toute une nation.