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Guindon chez le voyant africain

Par
Frédéric Guindon
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Ce texte est extrait du #28 spécial Escrocs, maintenant dans les kiosques

Tintin est allé au Congo, a combattu auprès des Picaros et s’est amusé avec les bijoux de la Castafiore. Frédéric Guindon est allé à Laval, a combattu auprès des Chiefs de Saint-Hyacinthe et s’est amusé avec une pompe à pénis. Dans le cadre de notre super plan pour faire revivre à ce dernier toutes les aventures de Tintin en version compressions budgétaires, voici ce qui pourrait sans doute être l’épisode des 7 boules de cristal.

Mise en garde : Je tiens à spécifier à tous les dieux africains, quels qu’ils soient, que ce ne sont pas EUX que je cherche à dénigrer par le truchement de ce texte, mais bel et bien les vils chenapans qui prétendent pouvoir les influencer en échange d’argent. S’il vous plaît, ne me fustigez pas. Merci.

Depuis que je suis en âge de lire le Journal de Montréal, j’ai toujours été intrigué par les petites annonces de médiums-marabouts-voyants africains. Elles sont à la fois si persuasives et convaincantes, mais si reléguées aux bas-fonds de pages que personne ne lit, entre les pubs de putes et les avis de changement de prénoms…

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Cela met en relief un paradoxe pour le moins fascinant : si les marabouts sont si bons que ça, pourquoi ne sont-ils pas à la une du journal en train de guider la planète entière vers de meilleurs jours? Pourquoi ne tiennent-ils pas boutique sur de grandes artères et n’ont-ils pas plus de visibilité à la télévision? Pourquoi n’usent-ils pas de leur don, de leur « talent spécial », de leur canal de conversation privé avec les hautes instances pour participer à l’élaboration d’une société meilleure? L.O.U.C.H.E.

Puisque je me considère moi-même comme un « participant à l’élaboration d’une société meilleure », j’ai pensé que le numéro « Escrocs » d’Urbania était un bon prétexte pour répondre à toutes ces questions. Au McDo de la Place Bercy, j’ai pris un Journal Métro (plus gratuit et moins en lock-out que le JdeM…) et j’ai appelé M. Tambacounda (nom fictif).

On va régler tout de suite l’histoire du nom fictif. Je ne donne pas son « vrai » nom parce que j’ai peur que M. Tambacounda découvre que je suis un imposteur et qu’il me lance de mauvais sorts. OK, là?

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Ma conversation initiale avec M. Tambacounda a été tout ce qu’il y a de plus banal : combien ça coûte, c’est quoi le problème, on peut se voir quand, bla-bla-bla. C’était comme prendre un rendez-vous chez le dentiste, à la différence que mon interlocuteur m’avait l’air d’un beau chilleur et que j’avais quasiment l’impression de le déranger. On repassera pour l’ambiance de spiritisme occulte…

Il m’a donné rendez-vous le lendemain. Pour une rare fois dans ma vie, j’ai fait exprès de m’habiller sobrement. Il était hors de question que je porte mon t-shirt « LOL! » ou mes pantalons Zubaz. J’ai mis des bermudas tout ce qu’il y a de plus ordinaire et un chandail gris à manches longues, puis je suis parti. Je devais me rendre à la station de métro Namur et l’appeler une fois à destination. De nouvelles instructions me firent aboutir devant un pittoresque bloc HLM. Mamans bengalies qui trimballent des bébés salvadoriens, encerclées par des bambins tunisiens qui deviendront sans doute de rudes ados ivoiriens, sans compter le concierge juif polonais probablement rescapé d’on sait où…

Oui, mon médium habitait un immeuble all-dressed…

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Avant d’entrer, j’ai pris un grand respir et j’ai repensé à mon alibi une dernière fois. Évidemment, je ne pouvais pas me présenter chez l’afro-druide juste pour jaser des frères Kostitsyn ou de l’apparition de Sébastien Tougas à la télévision d’État plus tôt cet été. Non. Il me fallait un problème. Un vrai. Et puisque je savais que je devrais raconter cette histoire dans les pages d’un important magazine branché, mon problème ne devait pas être trop intime. Par exemple : mon pénis est trop petit et je cherche à le rallonger. Ça aurait été gênant à raconter.

Mon problème ne devait pas être faux non plus, parce qu’advenant que j’émette le souhait de devenir architecte et que mon devin soit réellement connecté aux Autorités suprêmes, eh bien, j’aurais été un architecte malheureux.

J’avais un problème : je n’avais pas de problème.

« Yo, Guindon, que je me suis dit, t’as juste à raconter à ton Gargamel Diouf ce que tu voudrais vraiment faire dans la vie. Un, c’est pas gênant. Deux, si c’est un charlatan, ça va rien changer. Trois, si yé dans les top friends des Dirigeants du Temps et de l’Espace, peut-être qu’il va pouvoir te pistonner un peu… »

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Voilà, j’étais blindé. J’allais jouer franc-jeu avec mon extralucide.

J’ai sonné à l’interphone et M. Tambacounda m’a demandé de monter à son appartement. Après avoir gravi quelques marches et franchi un mini-corridor, je suis arrivé devant sa porte. J’ai frappé timidement pour ne pas brusquer les dieux qui auraient pu se trouver derrière. J’ai attendu. Un peu trop longtemps. Et même si j’entendais des bruits de va-et-vient de l’autre côté, j’ai décidé de re-cogner, en me souciant un peu moins des dieux cette fois-ci. De toute façon, ils devaient se douter de ma présence. Puis, j’ai senti que l’œil magique m’observait…

La porte s’est ouverte lentement et il est apparu là, devant moi : M. Tambacounda. Il était (presque) exactement comme je l’imaginais : grand, noir, vêtu d’une longue toge de sorcier africain en peau de tigre, affublé d’une coiffe traditionnelle subsaharienne, le regard perçant. Il m’a serré la main et m’a invité à le suivre. Dans le corridor, dont on ne voyait pas l’issue, il faisait noir comme chez le yâble. Une rangée de bougies posées au sol traçait le chemin à suivre.

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Entendons-nous bien là-dessus, je me trouvais dans un contexte idéal pour disparaître à tout jamais de la surface de cette planète : quartier défavorisé, HLM miteux, personne ne savait où j’étais, un sorcier présumé charlatan m’invitait à le suivre dans ses ténèbres pour une séance de discussion avec les Créateurs du Passé, du Présent et du Futur… Honnêtement, je pense que 50 % des gens dans ma situation auraient pris la poudre d’escampette, parce que c’était FUCKING épeurant.

Mais bon, je savais que j’étais en train de vivre un des plus grands moments de mon existence, alors je l’ai suivi, en prenant bien soin d’imiter sa démarche faussement solennelle. Au bout du passage se trouvait le salon. La pièce était seulement meublée de deux chaises, d’un canapé et d’une télévision allumée, qui éclairait un peu les lieux.

Mon hôte m’invita à prendre place sur le sofa et à me déchausser. À ce moment-là, j’ai eu toutes les difficultés du monde à me défaire de mes godasses : à la tévé, les Gremlins jouaient à TVA. Je ne pouvais juste pas croire que je participerais à une session de spiritisme mettant en vedette Gizmo, et que celui-ci déciderait de mon avenir. J’aurais flanché et je serais parti à rire, créant ainsi une situation très inadéquate.

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Une fois à pieds de bas, mon divinateur me demanda de l’accompagner dans une autre pièce, de la grosseur d’une chambre pour enfants. Fiou! Derrière un rideau, sur le sol, se trouvaient une variété pour le moins impressionnante de bouteilles. Eau de source, bière, jus, produits nettoyants, alouette. Les messieurs du recyclage auraient été contents de tomber là-dessus.

Un ou deux contenants de plastique étaient dotés d’une bougie, qui éclairaient les murs de la pièce. Recouverts d’affiches qui présentaient des inscriptions en arabe, ceux-ci donnaient l’impression que la chambre était encore plus petite qu’elle ne l’était en réalité et me confirmaient également la provenance du mage : l’Afrique de l’Ouest.

Mon hôte s’installa dans un coin et me fit m’asseoir devant lui. Il commença ainsi :

– Alors, que se passe-t-il? Pourquoi viens-tu me voir?
– Je… J’ai de la difficulté à m’orienter professionnellement. Plein de choses m’intéressent, mais je ne sais pas quoi choisir.
– Écoute-moi, j’ai besoin de savoir précisément quel est ton besoin. Si tu ne me dis pas ce que tu veux, moi, je pourrai pas te l’avoir, voilà… Alors, concentre-toi, cherche à l’intérieur de toi et dis-moi ce que tu souhaites pour toi dans le futur, voilà…

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Concentration, respiration, déclaration :
– Je veux être animateur à la télé.

(Ben quoi, c’est vrai… Pas obligé d’animer Tout le monde en parle tout de suite en partant. Mais je suis certain que je serais parfait pour une émission du samedi après-midi à V. Genre, une émission de chars coanimée par une petite poupoune qui commenterait la banquette arrière et la finition du tableau de bord… Ça ou n’importe quelle émission animée par un ex-athlète olympique. Anyway…)

Les yeux de Nostradioufus se sont posés sur moi et je pense avoir entendu un genre de gulp! qui voulait dire : « Ah non! Je suis en train de passer à J.E. »

Mais non, c’est pire, c’était un tapon du Urbania.

[…] la suite à lire dans le #28 spécial Escrocs, maintenant dans les kiosques

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