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Guerres, grippe espagnole et Jim Crow : tour d’horizon de couvre-feux

Celui-ci passera-t-il à l'histoire?

Par
François Breton-Champigny
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À partir de samedi prochain jusqu’au 8 février, les petites marches pour digérer le souper ne pourront plus se faire après 20h, sauf quelques exceptions, afin de respecter le couvre-feu décrété par le gouvernement Legault pour essayer d’aplatir une bonne fois pour toutes cette satanée courbe des infections à la COVID-19 dans la province.

Si cette mesure a été accueillie avec froideur pour certains, il faut mentionner que ce n’est pas la première fois que le Québec reste encabané le soir. Des évènements majeurs comme la pandémie de grippe espagnole en 1918 ou la hausse de criminalité chez les petits bums à char gris de Huntingdon en 2004 ont aussi eu droit à leur couvre-feu respectif.

Ailleurs dans le monde, cette tactique fut adoptée à maintes reprises pour une multitude de raisons parfois…louches. Très louches, même.

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Pour faire un tour d’horizon de cette pratique à travers les époques, on s’est entretenu avec l’historienne Évelyne Ferron.

Vous allez voir: quand on se compare, on se console.

Une expression aux multiples définitions

On s’en doute, «couvre-feu» ne signifie pas «mettre une couverte sur un rond de poêle». Mais sa signification originale se rapproche un peu de ça. «C’est une expression qui date du Moyen-Âge. Les maisons étaient pour la grande majorité faite en bois et le moindre tison pouvait démarrer un brasier hors de contrôle. Donc, on incitait les gens à couvrir leur feu avec des couvercles en fonte à une certaine heure pour éviter ce genre de catastrophe», explique l’historienne.

«On a eu recours à ça dans à peu près n’importe quelle guerre pour protéger les populations d’attaques ou de bombardements ennemis.»

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Au fil du temps, certains villages ont commencé à utiliser des cloches pour signifier aux gens qu’il était temps d’éteindre leur feu. «Éventuellement, on a utilisé cette expression pour marquer le temps. Par exemple, pour indiquer une heure pour rentrer à la maison ou pour signifier aux enfants le moment d’arrêter de jouer».

L’expression a ainsi évolué jusqu’à être couramment adoptée lors de moments de crise. «On a eu recours à ça dans à peu près n’importe quelle guerre pour protéger les populations d’attaques ou de bombardements ennemis. On peut aussi penser au couvre-feu du quartier de Whitechapel à Londres en 1888, à l’époque où le tueur en série Jack l’Éventreur y semait la panique».

Des couvre-feux racistes

Les couvre-feux peuvent aussi avoir un aspect raciste. On ne parle pas de celui imposé par François Legault, mais bien des couvre-feux «Jim Crowe» aux États-Unis.

«À l’époque, on jugeait qu’ils représentaient une menace pour les jeunes femmes blanches si on les laissait “sans surveillance” et qu’on devait les empêcher de sortir après une certaine heure.»

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«À partir de la fin du 17e siècle jusqu’à l’adoption du 13e amendement de la Constitution par Abraham Lincoln pour bannir l’esclavage en 1865, certains états comme le Rhode Island et le Connecticut imposaient des couvre-feux aux personnes noires et aux autochtones. À l’époque, on jugeait qu’ils représentaient une menace pour les jeunes femmes blanches si on les laissait “sans surveillance” et qu’on devait les empêcher de sortir après une certaine heure», explique l’historienne.

Selon elle, ces couvre-feux sont parmi les plus marquants de l’histoire puisque leur fonction première «ne correspondait pas aux autres utilités de cette tactique» qu’on avait pu observer par le passé. «Si un policier voyait une personne noire ou un autochtone dans la rue après le couvre-feu, la personne pouvait subir des coups de fouet. On ne se le cachera pas, c’était une tactique pour imposer davantage la suprématie blanche», estime Évelyne Ferron.

Efficace ou pas, les couvre-feux?

Pendant la conférence de presse du 6 janvier dernier qui réunissait François Legault, Horacio Arruda et Christian Dubé, Sébastien Bovet de Radio-Canada a posé une question que bien des gens se demandaient: quelle est la science derrière ce choix du gouvernement? Ce à quoi monsieur Arruda a répondu «Qu’il n’y a pas de science qui est capable de dire que telle mesure aura tel pourcentage d’effet», mais que l’adoption d’un couvre-feu s’inscrit dans l’ensemble des mesures pour empêcher le plus possible les rassemblements.

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Quand on demande à Évelyne Ferron si les couvre-feux sont efficaces en général, sa réponse s’apparente à celle du directeur de la santé publique. «C’est dur à dire. Il n’y a pas vraiment de données ou d’archives sur l’efficacité de telles méthodes».

«Ce qui passe à l’histoire, c’est ce qui mène aux couvre-feux. Et dans le cas de la pandémie de COVID-19, on va s’en souvenir très très longtemps.»

Elle admet cependant que certains couvre-feux, comme ceux utilisés lors de tempêtes météorologiques ou de conflits armés, semblent «assez efficaces». «Le but est de permettre aux autorités de dégager les rues pour faire leur travail. Mais dans un cas où on implante un couvre-feu sans système de surveillance accru, l’efficacité est difficile à mesurer. Reste à voir comment se déroulera celui qui s’en vient».

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Dans tous les cas, Évelyne Ferron est catégorique quand on lui demande si le couvre-feu du prochain mois va passer à l’histoire. «Non. Les couvre-feux ne sont jamais bien excitants. Les gens sont pognés chez eux à rien faire. Ce qui passe à l’histoire, c’est ce qui mène aux couvre-feux. Et dans le cas de la pandémie de COVID-19, on va s’en souvenir très très longtemps».