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Alors que la capitale ukrainienne n’est pas encore tombée aux mains de l’armée russe, Vladimir Poutine pourrait avoir sous-estimé ses adversaires et commettre une erreur stratégique.
Les villes ukrainiennes se retrouvent sous le feu de la Russie. Mercredi matin, l’armée russe a avancé ses pions, s’emparant de la ville portuaire ukrainienne de Kherson, située au sud du pays, près de la péninsule de Crimée. Ces dernières heures, les combats ont été acharnés et relayés par de courageux journalistes sur place. Les forces du Kremlin ont débarqué à Kharkiv, la deuxième plus grande ville d’Ukraine, dans la nuit de mardi à mercredi.
Ces attaques interviennent au septième jour de l’offensive russe en Ukraine, lancée le 24 février, qui suscite une large réprobation. Face au tollé international, Vladimir Poutine fait la sourde oreille. Au risque de commettre une grave erreur. « Poutine a probablement sous-estimé la force de l’Ukraine », souligne Emmanuelle Rousseau, doctorante au Centre d’études et de recherches internationales à l’Université de Montréal.
« Poutine pourrait se tromper et ce ne serait pas la première fois. La Russie n’a aucun intérêt à s’enliser dans une guerre longue. »
D’autant que la résistance ukrainienne est galvanisée par un fort sentiment nationaliste qui a été renforcé depuis l’annexion de la Crimée en 2014. Opposées à la deuxième puissance militaire mondiale, les troupes ukrainiennes ne font pas le poids sur le papier. Cependant, elles bénéficient d’une poignée d’avantages : des civils se mobilisent en continu et les Ukrainiens tirent aussi parti d’une très bonne connaissance du terrain.
Autrement dit : s’il existe un déséquilibre militaire évident entre la Russie et l’Ukraine, la force du peuple ukrainien a été sous-estimée. De là à avoir fait une faute stratégique? Guillaume Sauvé, expert de la Russie et chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), répond : « Poutine pourrait se tromper et ce ne serait pas la première fois. La Russie n’a aucun intérêt à s’enliser dans une guerre longue, à la fois pour des raisons de politique étrangère et de politique intérieure. »
« Poutine n’en sortira pas plus fort économiquement et politiquement »
Preuve que le Kremlin n’avait pas prévu une telle résistance de la part de son adversaire, les médias affiliés à Moscou avaient déjà commencé à crier victoire. C’est ce que note Emmanuelle Rousseau : « Sur le site Ria Novosti – l’une des plus importantes agences de presse en Russie – était évoquée la prise de la capitale ukrainienne, Kiev. La dépêche a rapidement été retirée. »
Si Moscou patine sur le plan militaire, ce ne pourrait être qu’une question de temps avant que le pouvoir russe ne parvienne à ses fins. « Certes, la guerre va être plus longue, mais est-ce qu’elle va se solder dans le sens de l’Ukraine? Je ne pense pas », reprend la spécialiste.
Mais encore faut-il savoir dans quel sens veut aller la Russie et c’est là que le bât blesse. « J’ai du mal à cerner le calcul qui a été réalisé. Certains pensent qu’il ne fait pas un coût bénéfice-risque maintenant, mais qu’il écrit l’histoire pour les manuels scolaires », avance Guillaume Sauvé.
« Ce n’est pas un hasard s’il a déclenché la guerre au même moment que la réunion du conseil de Sécurité des Nations uniEs. »
Le chercheur avoue qu’il n’avait pas anticipé une invasion russe de l’Ukraine. Même sentiment du côté d’Emmanuelle Rousseau, qui a été surprise par cette attaque dont elle ne perçoit pas les intérêts immédiats. « Poutine n’en sortira pas plus fort économiquement et politiquement, mais je pense qu’il estimait qu’on ne prenait pas suffisamment au sérieux la Russie sur le plan international. Derrière cette offensive, il y a une forme de révisionnisme historique et de quête de statut », analyse Emmanuelle Rousseau ajoutant que « ce n’est pas un hasard s’il a déclenché la guerre au même moment que la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies ».
Si cette action militaire permet à Poutine de dicter l’agenda international, elle risque de plonger Moscou dans un bourbier économique : les batailles sur le terrain présentent un coût financier et les sanctions économiques brandies par les Occidentaux risquent d’étrangler un peu plus le pays.
Le chef de Moscou isolé sur la scène internationale
Mardi dernier, le ministre de l’Économie en France, Bruno Le Maire, n’a pas mâché ses mots, déclarant vouloir « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie », dans l’objectif assumé de « provoquer l’effondrement de l’économie russe ».
Depuis 2014, Moscou se trouve sous le coup de sanctions économiques qui coûteraient à l’économie russe entre 1,5 et 2 points de PIB par an, selon une note de l’Institut français des relations internationales publiée en août 2021. Ces travaux évoquent qu’à partir de 2014, la baisse du niveau de vie a été progressive (de 2 à 5 % par an). Cependant, la chute significative du taux de change du rouble en 2015-2016 doit moins aux sanctions qu’à l’effondrement des prix du pétrole.
« Cette guerre peut affaiblir Vladimir Poutine, car le pouvoir d’achat des Russes risque encore de diminuer. Il faut savoir que c’est le nerf de la guerre en Russie », prévient Emmanuelle Rousseau.
« Ce qui pourrait faire basculer le régime de Vladimir Poutine, c’est ce mouvement très présent en Russie des mères de soldats. Que va-t-on leur dire si leurs fils meurent alors qu’il n’y a pas de guerre? »
Sur le volet de la politique intérieure, la population russe affiche moins d’enthousiasme que lors de l’annexion de la Crimée en 2014. En témoigne la pétition contre l’offensive militaire en Ukraine, qui a recueilli près d’un million de signatures sur Internet. De son côté, la propagande du Kremlin évoque une « opération spéciale au Donbass », sans mentionner la guerre. Et les médias qui dérogent à cette règle sont sanctionnés. « Une radio d’opposition avait annoncé que le pouvoir russe faisait la guerre. Les autorités ont annoncé sa fermeture, preuve qu’il existe une censure », rappelle la spécialiste. Si l’invasion venait à durer, les Russes pourraient voir d’un mauvais œil cette offensive contre une population avec laquelle ils entretiennent des liens presque fraternels. « Ce qui pourrait faire basculer le régime de Vladimir Poutine, c’est ce mouvement très présent en Russie des mères de soldats. Que va-t-on leur dire si leurs fils meurent alors qu’il n’y a pas de guerre? », s’interroge Emmanuelle Rousseau.
Par conséquent, cette guerre ukrainienne pourrait mettre des bâtons dans les roues au chef du Moscou, tout en fragilisant sa position sur la scène internationale. Évincée de la Coup du monde de football 2022, la Russie pourrait se transformer en paria sur la scène internationale.
Ce mardi, le président américain, Joe Biden, a martelé que Poutine était « plus isolé que jamais du reste du monde », lors de son premier discours sur l’état de l’Union à Washington. Certes, les pays occidentaux font bloc, mais la communauté internationale avance en ordre dispersé. Quand certains applaudissent à l’instar du Venezuela et de la Syrie, d’autres se distinguent par un silence éloquent à l’instar de la Chine. « L’Inde aussi adopte une position extrêmement ambiguë, c’est un grand importateur d’armes », reprend le Guillaume Sauvé.
Une chose est sûre : la guerre en Ukraine pourrait changer le visage de l’Europe à tout jamais.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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