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Guerre en Ukraine : la Slovaquie, un pays modĂšle en termes dâaccueil?
Aux points de passage de VysnĂ© NemeckĂ© et dâUblâa, des milliers de rĂ©fugiĂ©.e.s affluent chaque jour. Pour lâinstant, le gouvernement slovaque et les associations travaillent de concert pour rendre cet accueil fluide.
Au milieu des poussettes qui roulent Ă toute allure, un homme reste immobile. Ă VysnĂ© NemeckĂ©, il se tient droit devant la frontiĂšre qui sĂ©pare la Slovaquie de lâUkraine. Bonnet noir sur la tĂȘte, le vingtenaire fixe lâhorizon depuis la fin de la matinĂ©e. « Jâattends dâautres membres de ma famille, ils doivent arriver aujourdâhui. Ils ont trouvĂ© refuge Ă Oujhorod â ville frontiĂšre situĂ©e Ă une dizaine kilomĂštres du petit pays slave », indique Najimul dâun air mĂ©fiant.
Ses yeux cernĂ©s parlent pour lui, ce rescapĂ© ne dort pas depuis quatre jours : « De notre maison Ă Kiev, on entendait les bombardements. DĂšs que je fermais les yeux, jâavais peur de mourir. » Il dĂ©roule son rĂ©cit dâun ton monocorde, presque automatique. « Je viens du Bangladesh. Avec ma famille, nous Ă©tions Ă Kiev juste le temps de traverser pour ensuite aller en Pologne. » En arrivant en Ukraine, il Ă©tait loin dâimaginer le pire. « Certes, il y avait des militaires russes positionnĂ©s le long de la frontiĂšre ukrainienne depuis un petit moment, mais on ne pensait pas devoir fuir le pays si tĂŽt. »
« Ma ville a été détruite par les Russes »
Plusieurs fois, dans la journĂ©e, des bĂ©nĂ©voles, reconnaissables Ă leur gilet fluo, lui tendent un prospectus rĂ©sumant les droits des rĂ©fugiĂ©.e.s. Au total, on en compte plus dâune centaine rĂ©partie sur le site de VysnĂ© NemeckĂ©. En premiĂšre ligne, les volontaires de lâOrdre de Malte alpaguent les premiers arrivant.e.s pour connaĂźtre leur destination. Du cĂŽtĂ© des Ukrainien.ne.s, les questions fusent et les informations sont digĂ©rĂ©es au fur et Ă mesure.
En quelques jours, le village de VysnĂ© NemeckĂ©, peuplĂ© de 200 habitant.e.s, s’est muĂ© en repĂšre des familles brisĂ©es.
AprĂšs avoir attrapĂ© un cafĂ© et un dĂ©jeuner Ă emporter, les familles se dirigent vers un arrĂȘt de bus improvisĂ©. Ici, plusieurs cars gratuits sâarrĂȘtent rĂ©guliĂšrement direction Bratislava, la capitale, Kosice, deuxiĂšme ville de Slovaquie et Prague. Une initiative mise en place deux jours aprĂšs le dĂ©but de la guerre en Ukraine, le 24 fĂ©vrier. En file indienne, les voyageurs et voyageuses montent calmement dans le vĂ©hicule, parfois obligĂ©.e.s de rĂ©aliser plusieurs allers-retours pour monter leurs bagages. « Pour lâinstant, la situation reste stable, mais elle peut basculer Ă tout moment en fonction de ce qui se passe en Ukraine », indique Milan Capka, qui dirige lâĂ©quipe de bĂ©nĂ©voles de lâOrdre de Malte.
En quelques jours, le village de VysnĂ© NemeckĂ©, peuplĂ© de 200 habitant.e.s, sâest muĂ© en repĂšre des familles brisĂ©es : des grand-mĂšres, des mĂšres, des filles⊠Les hommes de 18 Ă 60 ans eux, restent au front.
Une assiette Ă la main, son tĂ©lĂ©phone dans lâautre, Yulia discute avec sa mĂšre, absorbĂ©e. Les capuches noires Ă©paisses qui entourent leurs deux visages font ressortir leurs yeux bleu pĂąle. « Je viens de Kharkiv, ma ville a Ă©tĂ© dĂ©truite par les Russes. Nous sommes arrivĂ©s ce matin Ă VysnĂ© NemeckĂ© en train », rembobine la jeune Ukrainienne. Le reste de sa famille est encore Ă Oujhorod â mĂ©tropole Ă une dizaine de kilomĂštres de la frontiĂšre. « Ma sĆur a un garçon de 18 ans, mais il ne veut pas partir au combat et il ne peut pas traverser la frontiĂšre », explique-t-elle. Le duo de rĂ©fugiĂ©es attend le bus pour aller Ă Bratislava, oĂč il sera pris en charge dans un logement temporaire.
Ă la frontiĂšre, une organisation fluide
Petit pays de 5 millions dâhabitant.e.s, la Slovaquie sâactive depuis lâoffensive russe pour accueillir les milliers de rescapĂ©.e.s qui arrivent chaque jour. PrĂšs de 140 000 personnes ont traversĂ© la frontiĂšre slovaque depuis le 24 fĂ©vrier.
Parmi les dispositifs mis en place : la protection temporaire qui permet aux citoyen.ne.s ukrainien.ne.s un accĂšs rapide et illimitĂ© au marchĂ© du travail et aux soins de santĂ©. La ville de Bratislava se prĂ©pare Ă©galement Ă accueillir des milliers de personnes si la situation lâexige, a annoncĂ© le 7 mars le maire de la capitale slovaque, Matus Vallo. Preuve que les acteurs locaux se mobilisent, la mairie dâUblâa sâest transformĂ©e en lieu dâaccueil dâurgence pour les rĂ©fugiĂ©.e.s. LaissĂ©es Ă lâentrĂ©e du bĂątiment vert, des caisses de nourritures attendent dâĂȘtre transportĂ©es jusquâĂ la salle principale oĂč se trouvent une centaine de familles.
«Quand ils arrivent ici, les arrivants sâorganisent en trois groupes : ceux qui savent comment aller dans la ville quâils souhaitent, ceux qui ont un plan en tĂȘte, mais ne savent pas comment y aller et les autres qui nâont aucun plan.»
Une soixantaine de lits individuels sont placĂ©s les uns Ă cĂŽtĂ© des autres. SerrĂ©s sur un seul matelas, une mĂšre et ses enfants. « Câest une zone oĂč les familles doivent se sentir en sĂ©curité », affirme une responsable du centre. Elle nous fait signe de ranger notre appareil photo, avant de filer Ă toute allure. Une autre bĂ©nĂ©vole, au sourire timide, prend le relais. Queue de cheval chĂątain au sommet du crĂąne, la jeune Slovaque a pris cinq jours pour sâoccuper des rĂ©fugiĂ©.e.s.
Ă lâinstar de VysnĂ© NemĂ©ckĂ©, lâorganisation sâavĂšre fluide et les rĂ©fugiĂ©.e.s rapidement pris en charge. « Quand ils arrivent ici, les arrivants sâorganisent en trois groupes : ceux qui savent comment aller dans la ville quâils souhaitent, ceux qui ont un plan en tĂȘte, mais ne savent pas comment y aller et les autres qui nâont aucun plan », raconte Laura.
Ă lâextĂ©rieur du bĂątiment, quatre femmes se regardent en silence. La plus loquace sâappelle Masha, elle a 19 ans. « Voici mes deux soeurs, ma tante et ma mĂšre », Ă©numĂšre-t-elle fiĂšrement. Les autres membres de sa famille se contentent de hocher la tĂȘte. Le petit groupe est arrivĂ© ce matin, en provenance de la banlieue de Kiev. Lâoncle de Masha les a conduites Ă la frontiĂšre en voiture.
« Jâarrive Ă avoir quelques nouvelles et ce nâest pas rassurant. Il y a une demi-heure, le lieu oĂč il se trouvait a Ă©tĂ© bombardé », murmure sa sĆur, Anastasia, reconnaissable Ă ses taches de rousseur. La dĂ©cision de partir nâa pas Ă©tĂ© facile, mais les jeunes femmes souhaitent faire une croix sur lâUkraine. « Ma mĂšre veut y retourner, mais moi, je veux Ă©tudier en Allemagne », reprend Masha.
«La maison de ma grand-mÚre a été bombardée, heureusement toute ma famille a fui dans une autre ville ukrainienne.»
Si la guerre ukrainienne brise des foyers, certains rĂ©fugiĂ©.e.s tentent de tisser de nouveaux liens pour Ă©craser le sentiment de solitude. AccoudĂ©s Ă une petite table ronde, un jeune couple de lycĂ©ens, Dasha et Dimitri, dĂ©jeunent avec une jeune femme quâils viennent de rencontrer.
Lorsque les deux tourtereaux originaires de Kharkiv ne trouvent pas les mots anglais, Victoria fait office de traductrice. « La maison de ma grand-mĂšre a Ă©tĂ© bombardĂ©e, heureusement toute ma famille a fui dans une autre ville ukrainienne », raconte Dasha. PrivĂ©e de ses proches, elle se repose sur son petit ami qui connaĂźt des personnes Ă Bratislava. « Câest toi, ma famille, maintenant », glisse le jeune homme en lâembrassant sur la joue.
Parmi les rĂ©fugiĂ©.e.s interrogĂ©.e.s, tous et toutes se disent satisfait.e.s de la prise en charge slovaque. Preuve que le gouvernement de Bratislava se mobilise, plusieurs « hot spot » fleurissent rĂ©guliĂšrement pour dĂ©finir la situation administrative de chaque arrivant.e. Idem du cĂŽtĂ© des hĂ©bergements. Un nouveau centre dâaccueil ouvre ce week-end dans le nord du pays. Cependant, le soutien de lâĂtat slovaque va-t-il perdurer? Dans les mĂ©dias locaux, plusieurs journalistes tirent dĂ©jĂ la sonnette dâalarme, insinuant que lâĂ©lan de solidaritĂ© pourrait sâessouffler si la guerre sâenlisait.
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Ce texte a dâabord Ă©tĂ© publiĂ© sur urbania.fr
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