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Guava Island : l’art au service du culte de personnalité

Qu’est-ce que le film de Donald Glover essaie de nous vendre exactement?

Par
Simon Tousignant
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J’ai toujours trouvé que Donald Glover (aka Childish Gambino) semblait être un humain sympathique, humble. Si je ne suis pas spécialement fan du rappeur, j’apprécie par contre l’acteur, si génial dans Community et Atlanta, et le chanteur qu’on a découvert sur le surprenant Awaken, My Love!. Tout ça a un peu changé quand j’ai regardé Guava Island, la dernière aventure cinématographique de Glover avec ses collaborateurs habituels, son frère Stephen et le réalisateur Hiro Murai sortie cette semaine en exclusivité sur Amazon Prime. Parce qu’après avoir regardé le film, comme mon collègue Benoît Lelièvre… j’avais des questions.

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Rater la cible

Il faut d’abord vous mettre en contexte : Guava Island est une comédie musicale de 55 minutes qui met en scène la vie de Deni Maroon, musicien d’exception qui habite donc Guava Island, une île tropicale fictive inspirée de toutes les îles tropicales et d’aucunes en même temps. Interprété par Donald Glover, Deni est le symbole d’un peuple à la recherche de liberté, dominé par la tyrannie exercée par la famille Red et son dirigeant Red Cargo, qui maintient son emprise sur l’industrie de la soie, source principale de revenus sur Guava Island. Deni partage sa vie avec Kofi (Rihanna) et il tente d’organiser un festival pour ramener la joie dans le cœur des habitants de Guava Island.

Rien n’existe dans Guava Island sauf Donald Glover.

Voilà, c’est tout. J’aimerais pouvoir vous dire qu’il y a derrière ça une trame narrative habile, qui installe des références subtiles aux injustices sociales du monde qu’on connaît et des difficultés historiques des peuples afro-américains et afro-caribéens, mais ce n’est pas le cas. Cependant, ce n’est pas par manque de possibilités, Guava Island étant un monde à mi-chemin entre la dystopie orwellienne et la république de bananes, fait sur mesure pour le commentaire sociopolitique.

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Pourtant, rien n’existe dans Guava Island sauf Donald Glover. Même pas Rihanna, vedette internationale, second rôle de cette comédie musicale qui… ne chante pas une seule fois dans le film. La chanteuse originaire de la Barbade n’étant pas une actrice, il aurait été judicieux de maximiser sa pertinence en utilisant son talent principal : sa voix. Sauf que non, c’est le show de Donald et puis c’est tout.

Une publicité déguisée

L’affaire, c’est qu’il est facile de tomber sous le charme de l’artiste multidisciplinaire; son sourire est contagieux et sa performance est généreuse. Sauf que son omniprésence fait un peu le même effet que celui du vilain Red Cargo sur les habitants de Guava Island : on se tanne et on attend le changement. Sérieux, Glover ne doit pas quitter l’écran plus de cinq secondes consécutives pendant le film. C’est donc environ 54 minutes de matraquage de la face de Childish Gambino qui nous chante la pomme sous thématique de black struggle, parce que c’est toujours plus facile de ploguer ses affaires sur fond de revendication; allez demander à Kendall Jenner.

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Parce qu’il ne faut pas s’y méprendre : au-delà d’un film, Guava Island est surtout une publicité servant à faire grandir le mythe derrière l’artiste qu’est Donald Glover. Tout le long du film, on nous met dans des situations où on doit constamment s’émerveiller de l’humour, de la légèreté, de la profondeur de l’acteur. Sauf qu’au moment de reprendre la chanson This Is America dans le contexte du film, après une vingtaine de minutes, on se rend compte que Guava Island n’est en fait qu’un gros infomercial. La chanson arrive alors que Deni essaie d’expliquer à un ouvrier qui rêve d’immigrer aux États-Unis que les States, c’est pas une place, c’est un état d’esprit. Jusque là, OK, ça passe. Sauf que l’exécution est franchement déconcertante et vient complètement casser le rythme d’un film qui, du haut de ses 55 minutes, ne s’en remettra jamais vraiment.

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Cacher le tableau

C’est malheureux, parce que derrière Glover se trouve le potentiel de célébrer l’afrocarribéanisme dans toute sa splendeur. Visuellement, les couleurs vibrantes offrent le background parfait à la mise en avant de cet esprit de résistance et d’humilité véhiculé par la population de Guava Island. La grande majorité, si ce n’est la totalité des acteurs dans le film sont noirs. Glover et son équipe ont mis les efforts nécessaires pour rendre un hommage marquant aux enjeux auxquels font face les populations noires d’Amérique, mais surtout, à leurs cultures.

Malheureusement, une fois qu’ils ont terminé de peindre cette magnifique toile à l’honneur de l’afrocentrisme, ils ont décidé de foutre la face de Donald Glover en plein devant le tableau et on finit par ne voir que ça. Les autres personnages n’ont ni le temps ni la place pour exister correctement. C’est dommage parce qu’il y avait de nombreux parallèles à faire avec le monde réel, notamment la fin du film qui rappelle tristement la mort du rappeur Nipsey Hussle.

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On termine le film avec l’impression que Guava Island désirait présenter Donald Glover comme la force créative de son époque, un artiste total qui rejette les compromis et qui défend les causes qui lui sont chères à travers l’entièreté de son œuvre. Malheureusement, on a plutôt l’impression d’avoir regardé une publicité qui nous vante Glover, point.