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Ça faisait des mois que Jonathan – sorti du placard depuis belle lurette – me parlait des bienfaits de l’application iPhone Grindr.
Il disait que c’était la folie dans la communauté gaie et que, grâce au système GPS, des homosexuels se rencontraient pour des échanges purement sexuels. Par une belle soirée d’été, je lui ai donné rendez-vous dans le Village, histoire de tester l’application.
19h, jeudi soir. Il fait beau, il fait chaud, et les rues du Village sont pleine à craquer. Jonathan me rejoint au Second Cup coin Sainte-Catherine et Panet. Un café glacé dans une main, un iPhone dans l’autre, on s’installe sur la terrasse. «Es-tu prête? me demande-t-il. Tu vas voir, c’est vraiment fou!»
Sans attendre une minute de plus, je dépose délicatement mon téléphone sur la table comme s’il s’agissait du Saint-Graal et télécharge l’application.
C’est parti.
Première étape : Grindr me demande de créer un profil d’usager… avec photo. Lisant le désarroi dans mes yeux, Jonathan me recommande d’en choisir une sur le site guyswithiphones.com, où des hommes téléversent des photos d’eux avec leur iPhone dans les mains, parfois habillés… parfois moins. Instinctivement, je choisis celle du plus cute pour mettre toutes les chances de mon côté : un gars, torse nu, taillé au couteau, avec une casquette bleue et un immense tatouage sur le bicep.
Après avoir téléchargé la photo, je m’attaque au reste de la fiche. Sous les bons conseils de Jonathan, je crée le profil le plus réaliste possible et m’invente un nom, un poids, un âge et une taille : JF, 28 ans, 180cm, 83 kg. Dans ma description, j’écris également que je suis là à des fins sexuelles. J’appuie enfin sur la touche sauvegarder. Mes mains moites et mon ventre, plein de papillons.
On passe à l’attaque
Une fois mon profil complété, j’attéris sur la page principale de l’application, où je découvre une vingtaine de photos de profil : grâce au système de GPS, Grindr a repéré tous les hommes qui se trouvent à proximité de moi et m’offre la possibilité de chatter avec eux. Le choix est grand.
En moins de 10 secondes, j’ai déjà plusieurs messages d’inconnus. Ça va de «Salut!!!» à «Beau tatou» ou de «Very sexxxy» à «Je sors de TVA, je me dirige vers le Pont Jacques-Cartier, j’ai le goût de te faire une fellation tu me rejoins au terrain vide juste en-dessous?»
Disons que ça commence plutôt raide.
Pour ma part, je choisis d’y aller en douceur en poursuivant la conversation avec l’homme qui me complimente sur mes tatous: François, un beau brun aux yeux verts.
– Merci. T beau toi aussi.
– As-tu des photos de ton pénis? me demande-t-il, sans préliminaires.
– Non, je suis là juste depuis une heure. Va falloir que j’en prenne. Ça l’air d’un must ici, LOL.
– Tu regardes pour quoi? me demande-t-il.
– Une pipe? lui réponds-je spontanément, en me disant que j’allais ainsi mettre toutes les chances de mon côté.
Après quelques minutes de discussion avec François, je lui donne finalement rendez-vous au Second Cup sur la terrasse du resto, juste en face du Second Cup, coin Sainte-Catherine et Panet. Dix minutes plus tard, il est là, vêtu d’un chandail bleu pâle. Beau comme un coeur. Et il m’attend. «T’es où? me demande-t-il après cinq minutes. Le iPhone me dit que t’es à 2 mètres de moi.»
Réalisant que j’avais complètement oublié le système «GPS» compris à l’intérieur du Grindr, je ferme aussitôt l’application en prenant bien soin de bloquer son profil, afin qu’il ne puisse plus me retracer à l’avenir.
François quitte quelques minutes plus tard sur son vélo, visiblement déçu.
Pour une première tentative, c’est assez concluant.
T’es game ou pas game?
Assis sur la terrasse du Second Cup, Jonathan et moi étions un peu sous le choc après cette première expérience. Tout s’était déroulé tellement vite : moins de trente minutes après mon inscription, un homme se trouvait devant moi, prêt à me faire une fellation.
Le service était encore plus rapide que chez Pizza-Hut.
Pour savoir si tous les hommes sur Grindr étaient aussi «vite en affaire» que François, j’ai décidé de tenter l’expérience une deuxième fois. J’ai ouvert la discussion avec un joli blond, affichant de faux-airs de David Boutin, qui se trouvait à moins de 500 mètres de moi.
– Salut! Ça va?
– Oui, toi?
– Oui.
– Es-tu top ou bot? me demande-t-il après quelques minutes de chat.
Les pupilles en forme de points d’interrogation, je me retourne vers Jonathan dans l’espoir qu’il me traduise la question. «Top, c’est le mot utilisé pour parler des hommes qui aiment pénétrer pendant l’acte sexuel. Bot, c’est celui utilisé pour décrire ceux qui aiment être pénétré», m’explique-t-il avec le sérieux d’un prof d’université.
Même si je trouve qu’il est «un peu» tôt pour plonger dans le vif du sujet, je me lance :
– Je suis bot.
– Et ton pénis est comment?
– Un vrai 8 pouces LOL, écris-je spontanément.
– Es-tu cut ou uncut?
Encore une fois, Jonathan en profite pour faire mon éducation. Il m’indique que cut est le surnom utilisé dans la communauté pour parler des hommes circoncis et uncut, pour ceux qui ne le sont pas. Sans raisons précises, je choisis uncut. Deux minutes plus tard, il me demande si je désire qu’il me sodomise.
– Oui, que je lui réponds, même si ce n’est pas le cas.
– Uro?
– C’est quoi?
– Pisse
Pas besoin d’en ajouter davantage. Je comprends rapidement qu’il veut que j’urine aussi sur lui.
J’accepte.
Sans plus attendre, le blondinet me fait parvenir un googlemaps qui indique son positionnement géographique. Il est au coin de ma rue, sur Panet. Paniquée, je lui propose de venir me rejoindre à l’adresse juste à côté du Second Cup, où se trouve un édifice à condos. Dans l’énervement, j’invente un numéro d’appartement.
Deux minutes plus tard, il est là, dans l’entrée, et Jonathan et moi l’observons à partir de la terrasse du café. Il porte des lunettes et est beaucoup (beaucoup) plus maigre que sur sa photo. Mettons qu’il ressemble plus au chanteur de ZZ Top qu’à David Boutin.
Devant la porte, il sort son téléphone pour m’écrire: «Y’a pas d’appartement 6. Es-tu sûr que c’est la bonne adresse?» Le iPhone caché sous la table, je ferme notre fenêtre de conversation et appuie ensuite sur la touche bloqué, afin qu’il ne puisse plus me contacter.
J’ai eu chaud.
Le test ultime
Dans les heures qui ont suivi, j’ai chatté avec une dizaine d’hommes différents sur Grindr. Certains se trouvaient dans leur appartement du Village, d’autres sur des terrasses de la rue Sainte-Catherine à quelques mètres de moi. Certains passaient immédiatement aux choses sérieuses. D’autres, attendaient une dizaine de minutes avant de me faire des avances ou se défilaient à la dernière minute.
À la fin de la soirée, j’ai fixé un dernier rendez-vous à un jeune homme qui se disait «très très chaud» au café. Après cette troisième tentative, j’avais compris le concept de Grindr.
Jonathan avait raison : c’est fou, cette affaire-là. Avant de se quitter, lui et moi, il m’a quand même fait remarquer que mon profil était particulièrement invitant et que ce ne devait pas être tous les gais qui connaissent le même succès.
***
Le lendemain, j’ai passé toute la journée au bureau en ligne, comme ça, juste pour prolonger l’expérience. En tout et partout, je dois bien avoir reçu une trentaine de message d’hommes. Des garçons d’une vingtaine d’années avec des traits de gamin, des Adonis comme on voit dans le magazine, des poilus, des voyageurs de passage à Montréal, un animateur de télé ontarienne… des gars normaux.
***
Ce soir-là, après le travail, je suis retournée chez moi en passant par le Village. Étrangement, la faune du quartier n’avait plus le même visage que la veille. J’avais la drôle d’impression de connaître tout le monde sur les terrasses parce que j’avais vu leur profil sur Grindr ; j’avais l’impression que tous les hommes avec un iPhone dans les mains naviguaient sur l’application et n’attendaient qu’un «go!» pour recevoir une fellation dans une auto.
Ce qui n’est pourtant pas le cas du tout.
En arrivant à la maison, j’ai fermé mon compte. Je me suis assise sur le sofa, légèrement traumatisée, et j’ai écouté Des Kiwis et des Hommes en reprise, histoire de remettre en place mes idées.