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Gouverner sans les citoyens: la politique du «quitte ou double»

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Cohue, applaudissements, caméra chambranlante. Bien étrange que cette vidéo dans laquelle on voit des journalistes crier leurs questions au premier ministre Stephen Harper, alors qu’il venait tout juste de s’adresser publiquement à ses députés au sujet de la démission de son chef de cabinet Nigel Wright, dans la foulée de l’affaire Mike Duffy.
Une scène surréaliste et aberrante. Pour tout le monde, sauf Stephen Harper, visiblement, qui trônait là sans rien dire. Avec son inépuisable sourire d’ours Paddington…
Je vous épargne les jurons, mais j’ai failli m’étouffer.
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« Un communiqué suffira ». Point, barre. Soit. Semblerait-il qu’au Canada, on gouverne dorénavant derrière des portes closes.
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Reste qu’avec cette histoire du sénateur Duffy, la lubie inquiétante du cabinet du Premier ministre atteint des sommets d’absurdité. Curieusement, les boucliers se lèvent bien peu, dans la population. Seuls les journalistes, pour l’instant, semblent s’indigner véritablement.
C’est bien normal, dira-t-on. Les journalistes entretiennent par nature avec la sphère gouvernante un rapport autant marqué par la coopération que l’antagonisme. La coopération pour l’acquisition d’information; l’antagonisme parce qu’une trop grande connivence presse-pouvoir rend la pratique journalistique obsolète. On le sait, ça. Et on ne s’étonne plus d’entendre les journalistes critiquer les dirigeants pour un tout ou pour un rien.
En revanche, ce qui est inquiétant, c’est que le gouvernement Harper se zèle actuellement à devancer les critiques plutôt qu’à les essuyer. Le problème, c’est qu’en méprisant le travail des journalistes, le gouvernement affirme par le fait même qu’il se fout de l’opinion des gouvernés.
Tâter le pouls ? Jamais! Et l’imputabilité informelle des élus face à l’opinion publique, en cours de mandat? Connaissent pas, les Conservateurs. L’opinion publique, supposant qu’elle existe, ne compte qu’en période électorale.
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Soit, c’est un choix de gouvernance comme un autre, j’imagine. Et malheureusement, il n’existe aucune loi pour forcer les politiciens à collaborer de bonne foi avec les journalistes. Néanmoins, ce choix délibéré de la « gouvernance opaque » témoigne d’une rhétorique tordue. Parce que gouverner sans la presse, c’est aussi gouverner sans les citoyens.
En refusant de rendre compte des détails et rouages de l’exercice du pouvoir, le gouvernement affirme au citoyen qu’il ne gouverne pas avec lui, mais bien « pour » lui; en vertu d’une logique clientéliste et paternaliste. On ne lui explique rien, au citoyen. On se contente de lui présenter un genre de « produit fini ». Et de lui faire gober, d’une manière ou d’une autre. La plupart du temps à son insu.
Toujours, on force l’opinion publique à se former à retardement. « Bon, okay, on vous l’avait pas dit. Mais ça marche pas si pire, non? » Pratique! Plus que jamais, on tient les citoyens à l’écart du processus de gouvernance, en ne leur demandant leur avis qu’une fois dans l’isoloir.
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C’est au fond la politique du quitte ou double : tout miser sur la sanction ultime et rédhibitoire des urnes. En chemin, suffit de s’en tenir à la ligne idéologique dure. Le reste, on s’en fout.
En choisissant d’ignorer les journalistes, et en contrôlant maladivement leur message, le gouvernement Harper ne laisse aux électeurs comme outils décisionnels, lors du scrutin, que quelques bribes de discours officiel. Ça, et la « liberté » d’évaluer leur degré de bien être au moment du vote. « Boah, allez, ça va pas si mal que ça, au fond ». Et c’est reparti pour quatre ans…
Or, il s’agit à mon sens d’une politique odieuse qui mise avant toute chose sur la désolidarisation et le désengagement. On cultive sans vergogne l’apathie du citoyen, en jugulant le flot d’information mis à sa disposition pour prendre une décision éclairée quant à son propre destin.
Ça prend pas la tête à Papineau pour entrevoir qu’il s’agit d’un mode de gouvernance hautement antidémocratique. Et ça, ça!, c’est véritablement révoltant.
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Et moi, sur twitter, c’est @aurelolancti !

Image: vidéo de Radio-Canada